Intervention de Rachel Silvera

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 29 mars 2012 : 1ère réunion
Femmes et travail — Audition de Mme Rachel Silvera économiste maître de conférences à l'université paris ouest-nanterre-la défense chercheuse associée au ces-matisse-paris-sorbonne

Rachel Silvera, maître de conférences à l'université Paris Ouest-Nanterre-La Défense, chercheuse associée au CES-Matisse-Paris-Sorbonne :

économiste, maître de conférences à l'université Paris Ouest-Nanterre-La Défense, chercheuse associée au CES-Matisse-Paris-Sorbonne. - La lecture des travaux antérieurs de votre délégation m'amène à penser que les recherches que je mène actuellement sur l'évaluation de la valeur du travail féminin rencontrent vos préoccupations et peuvent contribuer à votre analyse des inégalités salariales. Je les aborderai dans la seconde partie de mon propos.

Mais pour commencer, j'évoquerai le rôle de la notion de salaire d'appoint dans les inégalités salariales. On explique traditionnellement les différences de salaires entre les hommes et les femmes par différents facteurs tangibles, liés à la ségrégation professionnelle, au temps partiel..., mais il reste toujours néanmoins une part qui ne s'explique par aucun facteur repéré : c'est ce qu'on appelle la discrimination pure. C'est précisément cette « boîte noire » qui m'intéresse et sur laquelle je concentre mes recherches. Statistiquement, on estime qu'entre 8 et 10 % environ des différences de salaires relèvent de la discrimination pure. Bien sûr, on pourrait envisager de la compenser par une augmentation proportionnelle des salaires des femmes, mais rien ne nous indique qu'elle ne se reconstituerait pas un peu plus tard sous d'autres formes.

Les origines de cette discrimination viennent en grande partie des stéréotypes qui pèsent sur la conception du travail des femmes et sur la fonction que l'on attribue à leur salaire. On dispose de très peu d'analyses historiques sur l'origine du salaire d'appoint. L'historienne Michelle Perrot me l'a d'ailleurs confirmé.

Néanmoins, on sait que, pendant longtemps, les femmes n'ont été considérées que comme « la fille de.... » ou « la femme de... ». De ce fait, leur salaire n'a jamais été considéré comme un moyen de « survie » mais comme accessoire par rapport à celui de leur père ou de leur mari. N'oublions pas que la notion de salaire d'appoint, inscrite dans les premières conventions collectives, y figurait encore pour certaines en 1936 !

L'acceptation collective de la spécificité d'un « salaire féminin » reposait sur un consensus -qui nous paraît aujourd'hui difficilement audible- que le travail des femmes, fut-il identique à celui des hommes, ne pouvait être payé de la même façon que celui des hommes et qu'il devait subir un « abattement ». On prétendait même parfois le justifier en estimant que les besoins vitaux des femmes étaient inférieurs à ceux des hommes !

Dans le même ordre d'idée, on a longtemps considéré que, pour une femme mariée, travailler était une aberration.

La guerre et l'évolution des moeurs ont bouleversé ce modèle social et, de plus en plus de femmes seules, veuves ou célibataires, se sont retrouvées en situation de pauvreté lorsqu'elles ne disposaient que de leur seul salaire, aligné sur celui des « travailleuses d'appoint ». Cette situation est apparue d'autant plus injuste, que les critères de productivité du travail avaient précisément été relevés pour alimenter la machine de guerre.

Il a fallu attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour qu'un ministre communiste, Ambroise Crozat, mette fin par la loi à l'abattement de 10 % sur le salaire féminin.

Malheureusement, les réticences des partenaires sociaux firent que les abattements de salaire -de 10 %, voire davantage- perdurèrent longtemps après l'entrée en vigueur de la loi.

Il faudrait faire une analyse historique fine des conventions collectives pour en mesurer l'ampleur.

Toujours est-il que nous subissons toujours le poids de ces stéréotypes : l'idée que le salaire d'une femme reste un salaire d'appoint persiste dans l'inconscient collectif.

Et on voit encore, aujourd'hui, des illustrations de la persistance de ces mentalités : il a paru naturel d'assortir d'une compensation salariale le passage aux 35 heures, pour maintenir le pouvoir d'achat, mais on n'a jamais envisagé de compensation salariale au bénéfice des femmes qui font le choix de travailler moins ou à temps partiel. L'idée qu'il n'y aurait pas d'obligation de maintenir un certain niveau de salaire quand il s'agit d'une femme découle directement de celle que son salaire reste un salaire d'appoint.

Je voudrais maintenant aborder le deuxième point, qui est au centre de mes recherches actuelles et qui concerne le rôle que pourrait jouer l'évaluation des emplois et des classifications professionnelles dans la réduction des inégalités de salaires. Cette approche, très peu développée en France, a fait l'objet d'études au Québec, en Belgique, en Suisse et dans les pays nordiques. Elle part du constat, -Hélène Périvier a dû le développer avant moi-, que la division sexuée du marché du travail a résisté aux politiques de mixité mises en places ces dernières années et que les femmes n'occupent pas les mêmes emplois que les hommes. Il faut continuer de mener une politique en faveur de la mixité des emplois et je pense qu'il serait judicieux aujourd'hui d'inciter les jeunes hommes à s'orienter vers des métiers à prédominance féminine, parce que c'est là que se trouvent actuellement les gisements d'emplois, mais aussi parce que les hommes doivent faire aussi une partie du chemin pour aller vers l'égalité réelle.

La loi en France garantit « un salaire égal pour un travail de valeur égale » et non un salaire égal pour un travail égal. Ce mot de valeur a une grande importance car il permet de comparer des emplois qui ne sont pas identiques, en termes de fonction occupée ou de contenu, mais qui ont la même valeur pour l'entreprise et pour la société. C'est une notion qui n'est pas facile à faire passer mais qui recouvre des enjeux très importants.

Avec Séverine Lemière, nous avons publié une étude à la Documentation française « Comparer les emplois entre les femmes et les hommes - De nouvelles pistes vers l'égalité salariale », en nous inspirant fortement de la législation québécoise.

Cette dernière se fixe pour objectif de permettre, au sein de chaque entreprise, la comparaison entre les emplois à prédominance masculine et ceux à prédominance féminine, pour repérer objectivement d'éventuelles discriminations dans la classification des emplois.

En nous inspirant de ces méthodes américaines, nous nous sommes efforcés de parvenir à une hiérarchisation des emplois, en fonction de critères classants -tels le diplôme, les responsabilités, le contenu du travail-, qui sont autant de facteurs reconnus et négociés, soit dans la branche, soit dans l'entreprise, auxquels nous attribuons un certain nombre de « points » de pondération, afin d'aboutir à une hiérarchisation salariale objective des postes dans l'entreprise, depuis le directeur jusqu'à l'ouvrier.

Actuellement, dans le cadre d'un groupe de travail mis en place sous l'égide de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), et aujourd'hui repris par le défenseur des droits, nous sommes en train d'élaborer un guide à l'usage des managers et des salariés, mais aussi des magistrats, des juristes, des chercheurs et des responsables politiques, qui permette à tous de se repérer dans ce domaine.

Nous avons « découvert », en travaillant sur ce guide, que la classification des emplois, telle qu'elle existe aujourd'hui dans les conventions collectives, loin d'être neutre, est en réalité le produit d'un modèle de production industriel essentiellement masculin, alors même que notre économie est aujourd'hui fondée sur les services...

Ce guide, dont la première version est en cours de relecture a été transmis aux organisations syndicales dont nous souhaitons recueillir l'avis de manière informelle et devrait paraître dans le courant du dernier trimestre 2012.

Pour illustrer concrètement notre démarche, je vous donnerai quelques exemples :

A niveau de diplôme comparable, une assistante de direction disposant d'un BTS et un technicien titulaire d'un BTS technique ne sont pas nécessairement considérés de manière égale dans une même entreprise.

De même, il existe un ensemble de « savoir-faire discrets », souvent tirés de l'expérience personnelle, et qui sont indispensables, par exemple dans le secteur des soins à la personne, mais qui ne sont absolument pas reconnus par l'employeur.

Cet exemple pose la question de la reconnaissance de la technicité. A cet égard, le travail relationnel -qui est nécessaire dans nombre d'emplois à prédominance féminine, tels les hôtesses d'accueil, les enseignantes ou les infirmières- n'est pas considéré comme une « technique » valorisée dans l'entreprise. S'il vient à faire défaut, la carence de l'employée est pointée du doigt. Mais il ne sera jamais valorisé de manière positive.

Il en va de même de la pénibilité : reconnue dans les emplois « masculins » du bâtiment, par exemple, elle n'est pas prise en compte dans certains secteurs « féminins », tels les soins à la personne, pour lesquels il existe, pourtant, de véritables contraintes physiques -tel le « portage » des personnes soignées ou dépendantes.

Et on pourra faire la même remarque concernant la responsabilité : une infirmière ou une caissière a une véritable responsabilité sur autrui qui n'est, certes, pas la même que celle d'un cadre -mais qui est totalement ignorée. Vous voyez donc l'importance des conséquences concrètes de nos travaux qui, je l'espère, déboucheront sur un guide pratique. Je terminerai mon propos en vous invitant à tirer les enseignements de la notion d' « équité salariale », développée au Québec, et qui pourrait peut-être servir d'exemple pour une future modification de notre législation.

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