Intervention de Jean-Pierre Sueur

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 29 février 2012 : 1ère réunion
Mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

Les députés ont adopté le texte que j'ai l'honneur de rapporter, aujourd'hui à 1 h 30 ; c'est dire les conditions de grande rapidité dans lesquelles nous avons travaillé pour préparer son examen aujourd'hui.

Le dépôt rapide de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale - la semaine dernière ! - se justifie par les difficultés rencontrées par l'entreprise Petroplus de Petit-Couronne. J'ai travaillé de manière constructive avec son auteur, Mme Françoise Guégot, sur ces mesures de nature à sauvegarder les intérêts de cette société et de ses salariés.

Cette affaire, la presse s'en est fait l'écho, a fait l'objet de discussions entre le Gouvernement et l'opposition ; en l'espèce, entre MM. Fillon et Fabius. Cela peut paraître critiquable mais, après tout, n'est-il pas normal en démocratie que des responsables politiques appartenant à des formations politiques différentes puissent se parler et oeuvrer pour le bien commun ? Les salariés de l'entreprise, reçus lundi dernier par le président Bel, ont d'ailleurs clairement manifesté leur souhait de voir ce texte adopté.

Les six articles de cette proposition relativement technique modifient le livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises : sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire. Il autorise des mesures conservatoires à l'égard de biens appartenant à de tierces personnes à l'occasion de certaines actions judiciaires engagées dans le cadre des procédures collectives. Il est d'une portée générale, bien qu'il vise, dans l'immédiat, à protéger Petroplus Petit-Couronne.

Quelle est la situation ? La holding suisse Petroplus, dont l'avenir économique semble sérieusement compromis, dirigeait de fait Petroplus Petit-Couronne en raison de sa forte immixtion dans sa gestion. Or la filiale se trouve actuellement en redressement judiciaire. Dans ces conditions, son administrateur judiciaire pourrait engager une action en responsabilité contre la holding pour obtenir sa contribution à la procédure de redressement. Le pétrole qui se trouve dans les cuves de Petroplus Petit-Couronne, d'une valeur de 200 millions, serait bien utile pour oeuvrer à la poursuite de l'activité de la société française, mais son propriétaire, la holding Petroplus, peut vouloir le récupérer avant que le jugement au fond sur sa responsabilité dans la cessation des paiements ne soit prononcé.

La proposition de loi, examinée selon la procédure accélérée, prévoit, à ses articles 2 et 3, des mesures conservatoires à l'égard des biens des dirigeants, qu'ils soient de droit ou de fait, dans le cadre d'une action en responsabilité engagée en cas de redressement ou de liquidation. Concrètement, les biens saisis seraient indisponibles pour le propriétaire dans l'attente du jugement au fond sur sa responsabilité. L'article 1er prévoit des mesures conservatoires dans le cadre de l'action en extension, qui existe pour les trois procédures collectives ; cette action vise à étendre la procédure à d'autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui de la société ou de fictivité de la personne morale. Les voies de recours habituelles, prévues dans le code de procédure civile, seront possibles à l'encontre de l'ordonnance du président du tribunal de commerce qui décide les mesures conservatoires.

Pour mémoire, ces mesures conservatoires, qui dérogent à la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, sont actuellement limitées au seul cas de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, dans le cadre de la liquidation. La responsabilité, ce sera là ma seule considération critique, en revient au Gouvernement, dont l'ordonnance du 18 décembre 2008 a, pour des raisons qui m'échappent totalement, restreint le champ de cette action tel qu'il avait été prévu par la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, rapportée par M. Jean-Jacques Hyest. Sans cela, rien n'empêchait sans doute d'engager une action en insuffisance d'actif contre la holding Pétroplus et d'ordonner la saisie du pétrole.

En pratique, les mesures conservatoires évitent la disparition des biens appartenant à un tiers mais susceptibles d'être joints à l'actif de la société en redressement. Elles donnent aussi un pouvoir de négociation avec ce tiers pour discuter de l'avenir économique de sa filiale. Enfin, si la responsabilité du tiers est reconnue, ces biens peuvent contribuer à la procédure de redressement et, donc, servir au paiement des créances et de toutes les obligations de la société en redressement : salaires et avantages sociaux ou encore obligations sociales et environnementales.

Dernier article important, l'article 4 qui concerne le droit de propriété. Parce qu'il est garanti par la Constitution, toute limitation - et c'est le cas ici - doit être encadrée. Nous éviterons ainsi qu'une question prioritaire de constitutionnalité mette en cause le dispositif.

Pour ce faire, le texte prévoit la cession des biens faisant l'objet d'une mesure conservatoire, lorsque leur conservation engendre des frais ou lorsqu'ils sont sujets à dépérissement. Celle-ci sera autorisée par le juge-commissaire chargé de suivre la procédure, au prix et aux conditions qu'il détermine. Le produit de la cession doit être consigné à la Caisse des dépôts et consignations dans l'attente du jugement au fond. Il est somme toute préférable de vendre les biens et d'en consigner le produit plutôt que de les laisser dépérir. Le même raisonnement vaut sans doute pour le pétrole. Le rapporteur de l'Assemblée nationale, Mme François Guégot, j'y ai travaillé avec elle, a apporté des garanties sur les droits du propriétaire des biens, concernant les conditions de cession et la consignation du produit de la cession.

Autre atteinte au droit constitutionnel de propriété, l'affectation du produit de la cession aux frais engagés pour les besoins de la gestion des affaires du propriétaire des biens. Pour limiter la portée de la dérogation, l'affectation du produit de la cession résultera, elle aussi, d'une ordonnance du juge-commissaire. Afin de lever toute ambiguïté, un amendement, adopté majoritairement cette nuit, précise que la gestion des affaires du propriétaire des biens inclut le respect de ses obligations sociales et environnementales. Là encore, l'ordonnance du juge-commissaire sera susceptible des recours habituels du code de procédure civile.

L'information des salariés est une préoccupation légitime. Si le droit actuel des procédures collectives comporte déjà de nombreuses dispositions à ce sujet - notamment, les rapports de l'administrateur judiciaire au comité d'entreprise -, les salariés de Petroplus tenaient particulièrement à ce que la loi mentionnât explicitement une information spécifique. D'où l'amendement du groupe SRC adopté cette nuit à l'Assemblée nationale, qui vise l'article L. 621-2 du code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde. Nonobstant les trois sous-amendements du Gouvernement, il reste quelque peu imparfait. Il eût été plus pertinent de faire également référence aux articles L. 631-10-1 relatif au redressement et L. 651-2 qui concerne les actions pour insuffisance d'actif. Nous le mentionnerons dans le rapport afin de garantir une bonne interprétation de l'amendement adopté hier soir par les députés.

Pour une application rapide de ces mesures à Petroplus, le texte prévoit, à l'article 6, une application aux procédures en cours dès la publication de la loi.

Compte tenu de la situation de l'entreprise, je propose d'adopter le texte de l'Assemblée nationale, nonobstant les améliorations que nous pourrions y apporter. Le délai-limite de dépôt des amendements est fixé demain au début de la discussion générale ; nous les examinerons donc après la discussion générale. Je précise d'emblée que les députés qui défendaient la reprise de certaines mesures de la proposition de loi de M. François Hollande et n'ont pas obtenu satisfaction, ont considéré opportun de voter le texte.

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