Intervention de Jean-Louis Bal

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 14 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Louis Bal président du syndicat des énergies renouvelables

Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables :

J'en viens à la question relative aux obstacles au développement des énergies renouvelables. À notre sens, ils sont de trois ordres.

Il s'agit, en premier lieu, des obstacles administratifs. La filière principalement concernée est l'éolien terrestre.

Je vous rappelle qu'a été mis en place un véritable millefeuille, avec une réglementation particulièrement lourde.

D'abord, une double planification a été prévue, avec les zones de développement de l'éolien et les schémas régionaux. Encore une fois, nous ne contestons pas l'intérêt de disposer d'une planification ; mais pourquoi en avoir prévu deux ?

Ensuite, une double autorisation est nécessaire : le permis de construire et la procédure des installations classées pour la protection de l'environnement, ou classement ICPE.

À cela s'ajoute la règle du nombre minimum de cinq éoliennes par parc.

Par ailleurs, se pose la question de la compatibilité entre la loi Littoral et la loi Grenelle 2. La loi Littoral oblige, dans les communes littorales, à construire dans la continuité de l'urbanisme, alors que la loi Grenelle 2 interdit toute construction d'éoliennes à moins de 500 mètres des habitations. Entre ces deux lois, il y a une contradiction évidente.

En deuxième lieu, nous avons identifié des obstacles économiques, particulièrement pour le solaire photovoltaïque.

Le nouveau cadre économique mis en place à la suite du moratoire de mars 2011 est de moins en moins incitatif pour les installations inférieures à 100 kilowatts : la dégressivité du tarif d'achat est automatique tous les trimestres, sur la base d'un mauvais indicateur : l'entrée en file d'attente, et non pas la réalisation d'installations.

Au-dessus des 100 kilowatts, s'applique la procédure d'appel d'offres, qui nous semble peu adaptée à des installations de taille moyenne. Elle convient mieux, semble-t-il, à des installations de plus grande taille. On pourrait d'ailleurs s'interroger sur l'intérêt de ces appels d'offres dans l'optique de la structuration des filières industrielles.

En troisième lieu, les deux filières sont confrontées à un obstacle technico-économique : l'accès au réseau électrique, c'est-à-dire le raccordement, avec des procédures qui risquent de devenir de plus en plus coûteuses.

J'ai évoqué précédemment les schémas régionaux de raccordement au réseau qui, sur le principe, sont une excellente chose : ils permettront de mutualiser les coûts de développement des réseaux entre l'ensemble des producteurs.

La répartition de ces coûts de développement des réseaux, qu'il s'agisse du réseau de transport ou du réseau de distribution, entre gestionnaires de réseaux et producteurs d'énergies renouvelables est une question très importante. Quelle que soit la clé de répartition adoptée, les coûts, qui sont aujourd'hui estimés entre 2 et 3 milliards d'euros d'ici à 2020, devront être ensuite répercutés sur les tarifs, soit le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, pour les réseaux de transport et de distribution, soit le tarif d'achat de l'électricité produite par les producteurs, si l'on répartit la charge sur eux.

En ce qui concerne l'acceptabilité des énergies renouvelables - on pense d'emblée à l'éolien -, contrairement à une opinion répandue, l'acceptabilité de l'éolien est bonne, cela mérite d'être souligné.

Il suffit pour s'en convaincre de relire les résultats des enquêtes d'opinion menées depuis 2001 par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME. Ils montrent que l'acceptation de l'éolien est bonne et s'améliore d'année en année. Malgré cela, il existe effectivement des mouvements contestataires, qui sont plutôt le fait d'une minorité agissante. Il n'y a pas de véritable problème d'acceptabilité sociétale.

La cinquième question concernait la façon dont les énergies renouvelables s'inscrivent dans la structure de l'offre, et leur caractère intermittent, susceptible de les cantonner à un rôle d'appoint.

Je tiens à le dire d'emblée, nous ne contestons pas que l'éolien et le photovoltaïque soient actuellement des formes d'énergie « fatales » ne produisant, effectivement, que lorsque la ressource est disponible, et pas nécessairement en fonction des besoins des consommateurs.

Cette production se substitue aujourd'hui aux moyens marginaux, c'est-à-dire les plus chers mis en oeuvre à un instant donné, qui sont généralement thermiques, évitant ainsi l'utilisation de ressources fossiles et l'émission de gaz à effet de serre.

Tout d'abord, la part de l'éolien dans le mix électrique progresse assez rapidement. Elle a représenté en 2011, en moyenne sur l'année, 2,5 % de parts de la consommation couverte, soit la consommation domestique de près de 5 millions de personnes. Selon les objectifs du Grenelle de l'environnement, cette part devrait atteindre 10 %.

On constate chaque année une augmentation notable de la production éolienne lors des mois les plus froids, c'est-à-dire en période de pointes de consommation. C'est le cas, notamment, lors des vagues de froid. Durant le mois de décembre 2011, le parc éolien français a couvert 4 % de nos besoins en électricité, et on a retrouvé des taux similaires lors de la vague de froid de janvier 2012, dont tout le monde se souvient. Ainsi a été évité le recours à des centrales thermiques - charbon, gaz ou fioul - et à des productions au coût élevé. Nous avons réduit d'autant nos besoins en importation d'électricité, qui sont tout de même très carbonés.

De ce point de vue, je reprendrai les conclusions de RTE dans son bilan prévisionnel 2011 : les capacités éoliennes installées permettent d'éviter l'utilisation ou l'installation d'une certaine quantité de centrales thermiques. Ainsi, malgré l'intermittence de sa production, le parc éolien participe à l'équilibre de l'offre et de la demande. On peut retenir que, en France, en termes d'ajustement du parc de production, 25 000 mégawatts produits par des éoliennes équivalent à 5 000 mégawatts produits par des équipements thermiques.

Le photovoltaïque a couvert, quant à lui, 0,5 % de la consommation d'électricité en 2011. Là encore, je prends pour référence RTE, qui considérait, dans son bilan prévisionnel 2009, que, à une échelle globale, sur l'ensemble du territoire, la production photovoltaïque vient directement se soustraire à la courbe de consommation. À l'horizon 2020, l'impact de la production photovoltaïque sera notable en été. Elle viendra effacer en partie la pointe journalière et sera probablement corrélée à la consommation due à la climatisation.

En ce qui concerne la question de l'intermittence, il convient tout d'abord de rappeler que le système électrique est aujourd'hui conduit pour gérer une consommation subissant des variations quotidiennes de l'ordre de 15 gigawatts, et dimensionné pour faire face à des événements imprévus, tels que des pannes subites de groupes de production, qui peuvent atteindre 1 500 mégawatts, ou des erreurs de prévisions météorologiques. Rappelons qu'un seul degré d'écart, en hiver, se traduit par la consommation de 2 300 mégawatts supplémentaires.

En France, grâce au dispositif IPES, Insertion de la production éolienne dans le système, mis en place par RTE, dont Dominique Paillard a dû vous parler et auquel nous avons été associés lors de la phase expérimentale, la production éolienne est suivie en temps réel. Bénéficiant d'un foisonnement à l'échelle du territoire, la variation de la production est relativement lente, et le système IPES permet de prévoir la production éolienne la veille pour le lendemain, avec une précision satisfaisante, limitant ainsi les incertitudes sur les volumes produits. L'aléa résiduel lié aux erreurs de prévision reste donc très inférieur aux autres aléas auxquels doit faire face le système électrique.

Aujourd'hui, le photovoltaïque n'est pas encore pris en compte dans ces prévisions, mais RTE y travaille.

L'observabilité et la prévisibilité des productions « fatales » sont donc actuellement l'enjeu principal de l'insertion à grande échelle dans le système électrique métropolitain. La nécessité de recourir au stockage de l'énergie ne se posera pas avant dix ans au moins. Il n'en reste pas moins qu'il faut s'en préoccuper dès aujourd'hui et commencer à développer de nouveaux procédés de stockage de l'énergie. Cela se fait d'ores et déjà aujourd'hui, via nos stations de transfert d'énergie par pompage, c'est-à-dire les barrages. Il reste donc encore des marges de manoeuvre en matière de stockage d'énergie.

Je ne sais pas si vous avez prévu d'auditionner un représentant de l'ADEME. Cette dernière ayant entamé des travaux sur ce sujet dans le cadre des investissements d'avenir, je pense que cela pourrait être intéressant.

Tout ce que je viens de dire vaut pour la métropole.

Dans les territoires de Corse et d'outre-mer, dont les réseaux électriques sont beaucoup plus sensibles, car non interconnectés, ou, pour ce qui concerne la Corse, peu interconnectés, et surtout de taille réduite, la situation est très différente, et peut être intéressante. À ce titre, les années à venir seront riches d'enseignements. Ces territoires pourraient devenir des laboratoires du point de vue de la gestion des réseaux et de l'intermittence, ainsi que du développement du stockage.

Les limites empiriques des 30 % de pénétration des énergies « fatales et aléatoires » seront bientôt atteintes dans la plupart de ces territoires. La direction des systèmes électriques insulaires d'EDF mène actuellement des travaux sur le développement du stockage de l'électricité qui, associé à des installations d'énergies renouvelables, pourrait permettre de dépasser cette limite. Est ainsi en cours, à la Réunion, un projet de recherche assez intéressant portant sur les batteries sodium-soufre.

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