La commission des affaires européennes a adopté en décembre dernier une proposition de résolution sur l'accord avec les Etats-Unis concernant l'utilisation et le transfert des données PNR (passenger name record) des passagers des vols aériens au ministère américain de la sécurité intérieure.
Nous avions déjà étudié le dossier en 2004 puis en 2006 et en 2007. En outre, ici- même, sur le rapport de M. Yves Détraigne, nous avions examiné le projet de PNR européen - j'avais proposé une résolution européenne au nom de la commission des affaires européennes.
Les délais d'examen de l'accord avec les Etats-Unis étaient très courts : nous avons été saisis le 1er décembre, pour une adoption par le Conseil européen du 13 décembre. Néanmoins, le Parlement européen devra aussi donner son avis, conformément au traité de Lisbonne. C'est une garantie essentielle dans la protection des libertés fondamentales. Les parlementaires européens auront connaissance de notre position avant de se prononcer.
Les données PNR sont des informations fournies par les passagers et recueillies par les transporteurs aériens pour la réservation et l'enregistrement : dates de voyage, itinéraire, informations relatives au billet, adresse et numéro de téléphone, agence de voyage, informations relatives au paiement et aux bagages, numéro de siège. Elles sont principalement utilisées pour identifier les personnes susceptibles d'intéresser les services répressifs. Leur exploitation dans la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité est jugé utile par les services concernés. Mais il y a débat sur ce point.
En dépit du droit d'accès prévu et des corrections ou rectifications apportées, le texte n'offre pas les garanties nécessaires. L'accord du même type signé tout récemment avec l'Australie nous a paru beaucoup plus précis et rigoureux sur la protection des données personnelles. Je souligne que la proposition de résolution a été votée à l'unanimité par la commission des affaires européennes.
Les données PNR pourront être utilisées pour la lutte contre le terrorisme mais aussi pour la répression d'autres infractions passibles d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois années et de nature transnationale. Une infraction « transnationale » est entendue au sens large, incluant l'infraction commise dans un pays par un auteur qui se trouve dans un autre pays ou qui « a l'intention de se rendre dans un autre pays ». Les dossiers passagers pourront aussi être utilisés en cas de menace grave, ou pour protéger les intérêts vitaux d'une personne, ou si une juridiction l'impose, ce qui élargit considérablement le champ !
Les dossiers passagers pourront également être mis au service de la politique américaine de l'immigration, en particulier pour identifier les personnes « qui feraient l'objet d'un interrogatoire ou d'un examen plus approfondis en arrivant aux Etats-Unis ou en quittant le pays ». Cette extension ne nous a pas paru acceptable.
L'utilisation des données sensibles, celles qui indiquent l'origine raciale, ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l'appartenance syndicale, les données sur la santé ou la vie sexuelle, n'est pas totalement exclue. Elle pourra être autorisée dans des circonstances exceptionnelles, menace sur la vie d'une personne par exemple. La commission des lois a toujours été opposée à une telle exploitation des données sensibles.
L'accord prévoit la conservation des dossiers passagers dans une base de données active jusqu'à cinq ans, puis dans une base de données dormante pour encore dix ans, bien au-delà de ce qu'avait préconisé le Sénat pour le projet de PNR européen : deux fois trois ans. Cette durée de quinze ans nous semble disproportionnée par rapport au but poursuivi.
Un droit de recours administratif et judiciaire sera ouvert quels que soient la nationalité, le pays d'origine ou le lieu de résidence. Garantie importante pour les ressortissants européens, en théorie. Mais comment sera-t-elle mise en oeuvre ? L'accord prévoit que cette faculté s'exercera conformément au droit des Etats-Unis, qui réserve les possibilités de recours aux seuls citoyens et résidents permanents, et les autorités américaines ont toujours refusé de modifier leur législation sur ce point.
Les conditions de partage des données avec d'autres autorités publiques nationales ne nous satisfont pas non plus. Lesquelles sont concernées ? L'accord avec l'Australie n'a autorisé un tel partage des données qu'avec des autorités publiques australiennes dont la liste figure en annexe.
Sur le point crucial du transfert des données à des Etats tiers, l'accord semble bien flou. Le transfert se fera « dans des conditions compatibles avec l'accord » et « conformément à des accords clairs prévoyant des garanties en matière de respect de la vie privée ». Le transfert ultérieur des dossiers passagers et la méthode de transmission seront établis ultérieurement, dans le cadre prévu par l'accord. Faible garantie...
En conclusion, ce nouvel accord ne répondait pas aux priorités retenues par le Sénat pour l'utilisation de données PNR. Manifestement, dans la négociation d'accords avec des tiers, l'Union européenne ne parvient pas à faire prévaloir des standards homogènes et conformes à ses propres règles et ses valeurs. La proposition de résolution réaffirme donc les positions du Sénat sur ce sujet essentiel pour les libertés fondamentales. Souhaitons que nos collègues du Parlement européen soient sensibles à nos arguments.
J'avais été saisi par le Gouvernement d'une demande d'examen en urgence portant sur la signature de ce texte lors de la réunion du Conseil du 13 décembre. Or, pour leur garantir de pouvoir adopter des résolutions en temps utile, les assemblées disposent d'un droit de « réserve d'examen parlementaire ». L'Assemblée ou le Sénat ont ainsi un délai pour manifester leur intention d'adopter une résolution : huit semaines pour un projet d'acte législatif de l'Union, quatre pour les autres actes. Le Gouvernement doit, tant que le délai n'a pas expiré, éviter de prendre une position définitive au Conseil européen, voire proposer un report du vote. Lorsque les délais sont contraints, le gouvernement me sollicite - de même que mon homologue de l'Assemblée nationale, Pierre Lequiller - pour que la réserve d'examen parlementaire puisse être levée en urgence.
Je n'aime pas cette procédure. Quand les circonstances l'exigent, je suis prêt à donner mon accord, s'il s'agit de textes mineurs. Ce n'est pas le cas ici et la commission des affaires européennes était unanime à exprimer des réserves sur le texte. J'ai donc refusé l'examen en urgence et le Gouvernement a dû s'abstenir lors du Conseil européen du 13 décembre. Ce sera un message à l'intention du Parlement européen qui va se prononcer dans les prochaines semaines. Le Conseil devra ensuite, si le Parlement l'a approuvé, autoriser la conclusion de l'accord. Si un certain nombre d'Etats veulent bloquer le processus, ils le peuvent s'ils disposent de suffisamment de voix au Parlement européen. C'est ce qui a failli arriver puisque l'Allemagne s'est abstenue. J'ajoute que les parlements nationaux ont des leviers d'action, même sur un texte approuvé par le Conseil européen.
La proposition de résolution a été votée il y a plus de quatre semaines par la commission des affaires européennes : elle est donc devenue proposition de résolution du Sénat.