Intervention de Jean-Pierre Sueur

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 janvier 2012 : 1ère réunion
Répression de la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi — Examen du rapport

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

si le Conseil constitutionnel était saisi, soit avant la promulgation, soit dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Car le Conseil a la faculté, lorsqu'il examine la constitutionnalité d'une loi, d'examiner aussi celle des textes législatifs antérieurs dans laquelle le nouveau s'enracine. Et la constitutionnalité de la loi du 29 janvier 2001 est douteuse, comme l'a démontré le doyen Georges Vedel en 2005, dans le dernier texte qu'il publia. Le principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, expliquait-il, « met (outre le bon sens) un obstacle infranchissable à ce que le législateur se prononce sur la vérité ou la fausseté de tels ou tels faits, sur leur qualification dans une espèce concrète et sur une condamnation, même limitée à une flétrissure ». Or une déclaration d'inconstitutionnalité de la loi du 29 janvier 2001 serait un recul pour les rescapés de 1915 et pourrait être regardée comme une victoire par les négationnistes - ce que notre commission ne peut pas accepter.

Si, en l'état du droit, seule la négation de la Shoah est susceptible de donner lieu à des poursuites pénales, les rescapés d'autres génocides ne sont pas pour autant dépourvus de voies de recours contre les propos négationnistes. Diffamation, injure raciale ou religieuse, provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine sont passibles de sanctions pénales - l'apologie des génocides et crimes contre l'humanité l'est également. Par ailleurs, de tels faits sont susceptibles de donner lieu à une action au civil, sur le fondement de la responsabilité de droit commun édictée par l'article 1382 du code civil. C'est sur ce fondement qu'un historien a été condamné en 1995 par le TGI de Paris comme ayant « manqué à ses devoirs d'objectivité et de prudence, en s'exprimant sans nuance sur un sujet (...) sensible » ; le tribunal a estimé que ses propos, « susceptibles de raviver injustement la douleur de la communauté arménienne », étaient fautifs et justifiaient une indemnisation.

J'appelle à un débat serein. C'est notre conception du droit qui est ici en jeu, dans le respect infini des victimes du génocide arménien. Je vous propose, comme notre commission l'a fait il y a huit mois à l'initiative de M. Hyest sur la proposition de loi de Serge Lagauche, d'opposer à cette proposition de loi une motion d'irrecevabilité.

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