Intervention de Jean-Pierre Sueur

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 janvier 2012 : 1ère réunion
Répression de la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi — Examen du rapport

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

Je tiens à remercier l'ensemble des orateurs pour le climat dans lequel nous venons de débattre.

Mme Borvo, qui avez estimé que la loi de 2001 n'aurait pas dû être votée, je vous rappelle que mes propos ne portaient que sur les risques de mise en cause de la constitutionnalité de celle-ci.

Je remercie Mme Tasca pour avoir été la première à soulever la question du rôle de la loi, ensuite reprise par plusieurs de nos collègues.

A M. Jean-Jacques Hyest, outre que je partage son opinion sur le fait que la résolution parlementaire constitue un instrument adapté à ce type de sujet, je tiens à dire que, si j'ai tenu à être rapporteur de ce texte, c'est au nom de la continuité des travaux de notre commission. Au-delà des circonstances politiques changeantes, il revient en effet à cette dernière d'affirmer un certain nombre de principes.

Merci, M. Mézard, d'avoir mentionné le remarquable rapport de Bernard Accoyer, qui pourrait inciter son auteur à prendre quelques initiatives ...

Merci, M. Zocchetto, pour vos propos, mais je souligne le paradoxe consistant à vouloir s'inscrire dans une continuité envers une loi dont la constitutionnalité est douteuse. Le doyen Gélard a répondu à ce raisonnement par l'absurde, mais je suis en phase avec M. Zocchetto quant aux lois mémorielles et au devoir de mémoire envers les victimes arméniennes de ce génocide.

Mme Benbassa s'est exprimée avec sa compétence d'historienne. Il est assurément souhaitable que les autorités arméniennes et turques continuent à se parler. Des actes ont déjà eu lieu, comme le fait d'assister ensemble à un match de football. Il serait bon que l'Unesco crée une commission mixte d'historiens, ce que souhaitent certains intellectuels turcs et arméniens.

Je remercie Mlle Joissains d'avoir explicité sa position. Il va de soi que la loi française n'influencera nullement le négationnisme en Turquie, puisque la loi française ne s'applique qu'en France. Les autorités arméniennes n'ont pas fait voter de loi pénalisant la négation du génocide, mais vous avez raison d'affirmer que la paix véritable ne peut être bâtie sur l'oubli.

M. Anziani a défendu la nécessaire séparation des pouvoirs. Le Parlement n'est ni un amphithéâtre universitaire où l'on fait de l'Histoire, ni un tribunal. S'il se charge d'établir la vérité historique, le résultat peut varier selon les majorités...

Merci à M. Collombat, qui s'est fondé sur les grands textes de la République pour plaider contre le rétablissement du délit d'opinion.

MM. Leconte, Cointat et Alfonsi ont mis l'accent sur nos relations avec la Turquie. Me limitant à l'exception d'irrecevabilité, je n'ai pas évoqué la diplomatie, mais il est vrai que la Turquie est un grand pays qui joue un rôle décisif dans une région périlleuse du monde. Les relations avec ce grand pays sont un sujet sensible pour tout ministre des affaires étrangères, notamment l'actuel. J'ai regretté à ce propos qu'une phase de très grande ouverture sur l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne ait débouché sur la fermeture absolue. En tout état de cause, les relations entre l'Union européenne et la Turquie sont très importantes.

M. Gorce, merci pour vos belles paroles sur la loi et la mémoire. Vous avez rappelé qu'en France, la mémoire nationale n'est pas l'addition de mémoires communautaires, mais leur synthèse réalisée par le creuset républicain.

M. Lecerf, merci d'avoir insisté avec chaleur sur la continuité de la commission, lourde de signification si ma proposition est adoptée.

Je souligne également les propos de M. Bas sur la séparation des pouvoirs, me réjouissant d'une forte tendance Montesquieu dans notre commission ... Devons-nous trancher nous-mêmes ou nous en remettre au Conseil Constitutionnel ? Nous pouvons nous prononcer, sans préjudice d'une éventuelle décision des Sages.

M. Béchu a montré les risques de la formule « minimalisation outrancière ». Je ne le rejoins pas au sujet du paradoxe dont a parlé M. Gélard. Dans une décision du 7 décembre 1976, la Cour européenne des droits de l'homme s'est prononcée sur la liberté d'expression et la nécessité de limitations proportionnées.

Enfin, je remercie M. Gélard, qui a rappelé l'opinion du doyen Vedel, dont nous connaissons l'autorité. Je le remercie également d'avoir souligné le paradoxe précité, puis d'avoir dit que le législateur ne peut tout faire : en définitive, notre débat porte sur le champ de la loi.

Vous avez finalement rappelé la liberté de vote laissée par chaque groupe à ses membres, ce dont je me réjouis car la Constitution dispose que « tout mandat impératif est nul.» Nous nous exprimons donc en toute liberté. Il est toujours bon que les autorités de la République disposent d'un Parlement qui s'attache à exercer sa mission dans une certaine indépendance.

La motion d'irrecevabilité est adoptée.

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