Intervention de Jean-René Lecerf

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 janvier 2012 : 1ère réunion
Droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et droit de communiquer après l'arrestation — Communication

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf :

Cette proposition de directive participe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, pierre angulaire de la coopération judiciaire, qui suppose une confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes judiciaires respectifs, en particulier dans leur procédure pénale. C'est pourquoi la Commission européenne a présenté en 2004 une proposition de décision-cadre tendant à définir un socle minimal de droits procéduraux accordés aux personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions pénales. Outre le droit de bénéficier gratuitement des services d'interprétation et de traduction, ce texte instituait le droit à l'assistance d'un avocat, celui d'être informé de ses droits, une attention particulière pour les personnes vulnérables mises en cause, ainsi que le droit de communiquer avec sa famille et les autorités consulaires. Après l'échec des négociations sur ce texte, la Commission européenne a opté pour une approche plus graduelle, formalisée dans une « feuille de route » fondée sur une approche par étapes.

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne en décembre 2009, l'Union européenne peut établir des règles minimales en matière de procédure pénale, par voie de directives selon la procédure législative ordinaire combinant majorité qualifiée au Conseil et codécision avec le Parlement européen.

La première application de la feuille de route fut l'adoption de la directive du 20 octobre 2010 sur le droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales. La deuxième étape concerne le droit d'être informé sur ses droits et sur les charges retenues, ainsi que le droit d'avoir accès au dossier de l'affaire. La directive sur ce point semble réunir un consensus. Enfin, le droit d'accès à un avocat et celui de communiquer après une arrestation constituent les troisième et quatrième mesures prévues dans le programme de 2009.

Quelles sont les principales dispositions de la proposition de directive ?

La première concerne le droit d'accès à un avocat, applicable dès qu'une personne est informée qu'elle est soupçonnée d'avoir commis une infraction pénale, ou dès qu'elle est poursuivie à ce titre. L'intéressé devrait avoir, dès que possible, accès à un avocat selon des modalités préservant les droits de la défense. Cet accès devrait être garanti au plus tard au moment de la privation de liberté et dans les meilleurs délais au regard des circonstances de chaque affaire. Qu'elle soit ou non privée de liberté, la personne concernée devrait pouvoir bénéficier d'un avocat dès son audition. L'avocat devrait aussi être autorisé à s'entretenir avec le suspect pendant un temps suffisant et à intervalle raisonnable pour exercer effectivement les droits de la défense ; il devrait pouvoir assister à tout interrogatoire ou audition. Sauf lorsque le risque d'un retard compromettrait la disponibilité d'éléments de preuves, il devrait pouvoir assister à toute mesure d'enquête ou de collecte de preuves pour laquelle la législation nationale exige ou autorise la présence de la personne soupçonnée ou poursuivie, il pourrait accéder aux lieux de détention pour vérifier les conditions de détention. La proposition reconnaît en outre aux personnes privées de liberté dans le cadre des procédures pénales le droit de communiquer, dès que possible après l'arrestation, avec au moins une personne qu'elles désignent, afin de l'informer de la mise en détention. Les détenus étrangers devraient pouvoir obtenir que les autorités consulaires soient informées de leur situation. Enfin, dans le but de garantir les droits de la défense, toutes les communications entre une personne soupçonnée ou poursuivie et son avocat devraient être totalement confidentielles. Les États membres ne pourraient déroger qu'à titre exceptionnel, au droit d'accès à un avocat. Les dérogations devraient être justifiées par des motifs impérieux tenant à la nécessité urgente d'écarter un danger pour la vie ou l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes. Enfin, le texte prend en compte le mandat d'arrêt européen, puisqu'il étend le droit de bénéficier des services d'un conseil aux personnes arrêtées à ce titre dans l'État membre d'exécution. L'intéressé pourrait également avoir accès à un avocat dans l'État membre d'émission, afin d'assister l'avocat désigné dans l'État membre d'exécution.

J'en viens à l'appréciation qu'il nous revient de porter sur cette proposition.

Tout d'abord, nous devons approuver le renforcement des garanties procédurales, qui figure expressément dans le programme pluriannuel adopté en 2010 sous présidence suédoise, dit « de Stockholm ». La méthode graduelle retenue par le Conseil en 2009 permet de mieux sérier les questions et de trouver des points d'équilibre pour chaque aspect.

Conformément au traité, cette démarche doit se limiter à des règles minimales. Une directive ne peut donc tout régler ; elle doit laisser aux États membres une marge d'appréciation faisant la part des spécificités de chaque système juridique. Or, le texte qui nous est soumis s'inscrit dans la logique d'un système accusatoire davantage que dans celle de notre système, largement inquisitoire.

J'en viens au lien entre le droit d'accès à un avocat et l'harmonisation de l'aide juridictionnelle.

Dans le rapport d'information que j'ai élaboré conjointement avec Jean-Pierre Michel, nous avons fait valoir que les progrès du droit à l'assistance d'un avocat pouvaient faire courir un risque d'injustice sociale, exigeant que la collectivité revalorise l'aide juridictionnelle. Dans sa feuille de route, le Conseil avait expressément lié l'accès à un avocat et l'harmonisation des règles relatives à l'aide juridictionnelle. Cela me paraît essentiel pour éviter de fortes inégalités de droits entre personnes se trouvant dans des situations juridiquement identiques, mais aux moyens différents. Sur ce point, la Commission européenne n'a pas respecté la feuille de route, en renvoyant aux Etats membres cette question de l'aide juridictionnelle, malgré les très grandes disparités actuelles. La Commission a voulu promouvoir des droits sans se préoccuper de leur effectivité, et nous devons rappeler qu'il est essentiel d'harmoniser très vite l'aide juridictionnelle.

Nous devons aussi concilier les droits de la défense et la recherche des auteurs d'infractions, thème délicat entre tous ! Le conseil des barreaux européens estime que la présence de l'avocat assurerait l'impartialité des procédures et la recevabilité des preuves rassemblées en sa présence ; elle devrait être systématique dès lors qu'une privation de liberté est envisagée. Le conseil national des barreaux français fait valoir que le renforcement du rôle de l'avocat pendant l'enquête pénale est une garantie essentielle de l'État de droit, du procès équitable et du respect effectif des droits de la défense. A l'inverse, dans une note conjointe du 22 septembre 2011, la Belgique, la France, l'Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont exprimé de fortes réserves sur la proposition de la Commission européenne, en invoquant des difficultés substantielles dans les enquêtes et procédures pénales. Dans le rapport élaboré avec Jean-Pierre Michel, nous avons souligné que le droit à l'assistance d'un avocat risquait de judiciariser la garde à vue, ce qui pourrait conduire à confondre les phases policière et judiciaire de l'enquête.

Répondant le 18 novembre 2011 à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a rappelé que le renforcement des droits de la défense n'avait pas pour effet de juridictionnaliser la garde à vue, qui demeure une mesure de police judiciaire : le débat contradictoire sur les éléments de preuve doit se dérouler devant la juridiction d'instruction ou de jugement. Le commentaire de la décision relève que l'évolution possible du droit induite par la proposition de directive ne trouve pas de fondement dans la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel, sa décision du 30 juillet 2010 ayant imposé l'assistance d'un avocat à raison de la privation de liberté. Il n'en va donc pas de même si la personne consent à être entendue librement, un point que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme n'a d'ailleurs pas tranché. J'ajoute que le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions issues de la loi du 14 avril 2011 conformes à la Constitution, avec une importante réserve d'interprétation en imposant deux garanties minimales pour l'audition d'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction : avant de pouvoir être interrogée, elle doit connaître la nature et la date de l'infraction qu'on la soupçonne d'avoir commise ou tenté de commettre ; elle doit être informée de son droit de mettre fin à l'entretien en quittant les locaux de police ou de gendarmerie. Ces garanties étant posées pour l'audition libre, c'est bien l'existence d'une contrainte telle que la privation de liberté qui me semble devoir être le critère du droit d'accès à un avocat, non la notion de suspect figurant dans la proposition européenne.

À mon sens, le droit communautaire devrait se concentrer, conformément au Traité, sur des règles minimales permettant d'assurer un exercice effectif des droits de la défense, autorisant les États membres à les préciser en adéquation avec leurs traditions et systèmes juridiques. Est-il indispensable que l'avocat soit présent pendant la prise d'empreintes digitales ou lors d'un prélèvement ADN ? Faut-il confier à l'avocat le contrôle des lieux de détention, mission qui relève en France des autorités publiques - magistrats, parlementaires et contrôleur général des lieux de privation de liberté ? Je considère que non. En revanche, il est important que l'avocat bénéficie de droits au cours d'un interrogatoire ou d'une audition, mais sans bloquer le déroulement des enquêtes. Le texte doit donc fixer des règles minimales, en préservant la marge d'appréciation des États membres.

Il me semble en outre que le cadre européen devrait prévoir des dérogations adaptées aux infractions les plus graves, dans le prolongement des travaux de notre rapport d'information sur l'intervention de l'avocat auprès des personnes impliquées dans des affaires liées à la grande criminalité ou au terrorisme : nous avons préconisé que l'avocat soit choisi par la personne gardée à vue sur une liste agréée par le barreau, voire, comme en Espagne, prévoir une désignation d'office par le bâtonnier. La Cour européenne des droits de l'homme admettant elle-même des dérogations aux droits de la défense dans des circonstances exceptionnelles et pour des motifs impérieux et notre code de procédure pénale autorisant le report de la présence de l'avocat dans ces cas, la directive doit comporter un régime dérogatoire pour les infractions les plus graves.

Enfin, le droit de communiquer après une arrestation constitue certes une garantie importante, mais il faut l'encadrer : sans aller - comme l'envisage le texte - jusqu'à permettre de communiquer avec toute personne librement désignée par la personne privée de liberté, il serait plus équilibré d'autoriser - comme le fait déjà le droit français - à prévenir un proche et son employeur ou les autorités consulaires.

En conclusion, je crois que nous devons accueillir favorablement cette nouvelle étape dans le renforcement des garanties procédurales, mais nous limiter à établir des règles minimales prenant en compte les traditions et systèmes juridiques des États membres, en évitant toute confusion entre les phases policière et judiciaire de l'enquête.

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