Intervention de Philippe de Ladoucette

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 7 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe de laDoucette président de la commission de régulation de l'énergie et de M. Jean-Yves Ollier directeur général

Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de toutes ces questions. Si vous le permettez, j'y répondrai après les avoir un peu réorganisées, pour éviter de passer d'un sujet à l'autre de façon désordonnée. Cependant, je vais m'efforcer de répondre à toutes vos interrogations.

Ainsi, après la première question, qui concerne les propos que j'ai tenus le 17 janvier 2012, j'aborderai, dans l'ordre, la tarification, c'est-à-dire la production, avec l'ARENH, l'acheminement, au travers des réseaux, et, enfin, les taxes, en évoquant la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, et les énergies renouvelables. Nous aurons, de la sorte, évoqué l'ensemble des sujets qui vous intéressent.

En ce qui concerne l'explicitation des propos que j'ai tenus lors d'un colloque organisé le 17 janvier dernier, je crois utile, par précaution oratoire, de rappeler dans quelles conditions ces déclarations ont été faites.

J'avais à l'époque bien précisé qu'il s'agissait d'une estimation d'évolution des tarifs à législation constante, c'est-à-dire en ne changeant rien à ce qui existe aujourd'hui. Par ailleurs, je suis parti du principe que l'on appliquait cette législation dans toute sa dimension, de manière normale, ce qui n'a pas toujours été le cas. Par exemple, la CSPE a été lissée dernièrement, de sorte que les textes n'ont pas été appliqués comme il avait été prévu initialement.

Une fois ce contexte précisé, je tiens à vous exposer les trois éléments qui m'ont amené à dire que les tarifs pourraient considérablement augmenter d'ici à 2016.

Comme les évolutions tarifaires concernant l'électricité interviennent en été depuis plusieurs années, l'échéance retenue serait juillet ou août 2016. Ma déclaration portait donc sur cinq exercices tarifaires.

Le premier élément est lié aux évolutions concernant l'ARENH. Vous savez que, en application de la loi NOME, à partir de 2014, il revient à la CRE de proposer le montant de l'ARENH au Gouvernement, et non l'inverse. En outre, à partir du 1er janvier 2016, c'est également la CRE, et non le Gouvernement, qui proposera l'évolution des tarifs de l'électricité. Enfin, il faut avoir un dernier élément en tête : la loi NOME prévoit que la période intérimaire jusqu'à 2016 doit être mise à profit pour faire en sorte que les tarifs réglementés de l'électricité rattrapent le prix de l'ARENH. Or, aujourd'hui, l'écart est de 4 % pour les « tarifs bleus » et de 5 % pour les tarifs professionnels.

Le deuxième élément a trait au coût de l'acheminement, au travers du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité, le TURPE.

Je suis parti du principe, assez général - et la mesure est plutôt conservatrice -, que le TURPE évoluerait chaque année de 2 % hors inflation. Avec une moyenne d'inflation de 2 %, son évolution prévisible est donc de 4 % par an. Le TURPE aura donc un impact d'environ 47 % sur les tarifs réglementés.

Le troisième élément tient à l'évolution de la CSPE, laquelle couvre un certain nombre de charges : la péréquation tarifaire, les éléments sociaux et, surtout, la contribution pour les énergies renouvelables.

La conjonction de ces trois éléments m'a conduit à dire qu'il fallait probablement envisager une augmentation des tarifs réglementés de l'électricité de l'ordre de 30 %.

Vous devez garder à l'esprit, même si cela n'a pas une influence considérable pour l'instant, que nous avons retenu comme prix de marché de gros celui qui est actuellement prévu pour 2013, c'est-à-dire 54 euros le mégawattheure.

Grosso modo, la répartition, à 1 % près, se fait à hauteur de un tiers pour chacun de ces éléments. Pour être très précis, cette hausse de 30 % se décompose comme suit : pour le TURPE, de l'ordre de 9 % ; pour l'ARENH, plus le complément de fournitures, plus les coûts commerciaux, de l'ordre de 11 %; pour la CSPE, de l'ordre de 10 %.

Voilà les éléments de réponse que je tenais à apporter à votre première question.

Je vais poursuivre en restant volontairement dans le cadre de l'ARENH, donc dans la partie « production ». Vous m'avez demandé si les tarifs représentaient aujourd'hui fidèlement le coût réel de l'électricité, selon la formule retenue dans la loi NOME.

Vous le savez, les tarifs ne sont pas encore construits par empilement des coûts, notamment à partir du prix de l'ARENH, comme le prévoit la loi NOME pour le début de l'année 2016. Par conséquent, il existe un « ciseau tarifaire », que j'ai évoqué tout à l'heure : les conditions d'approvisionnement des fournisseurs alternatifs ne leur permettent pas, aujourd'hui, de faire des offres compétitives aux clients bénéficiant du tarif réglementé, puisqu'ils n'ont pas de moyens de production compétitifs en propre.

Je le répète, la hausse à opérer sur les tarifs des grands clients professionnels est de l'ordre de 5 %, contre 4 % pour les clients résidentiels et les petits professionnels. Ces chiffres ont été donnés par la CRE dans son avis sur la hausse des tarifs réglementés au 1er juillet 2011.

Nous veillerons chaque année à ce que la problématique du « ciseau tarifaire » soit mise en évidence. Avant le 31 décembre 2015, sur la base de rapports de la CRE et de l'Autorité de la concurrence, les ministres chargés de l'énergie et de l'économie doivent établir un rapport sur le dispositif ARENH et évaluer naturellement son impact sur le développement de la concurrence.

Vous m'avez également demandé si le tarif de l'ARENH fixé par la loi NOME me semblait cohérent, d'une part, avec les conclusions du rapport Champsaur 2 et, d'autre part, avec celles du rapport de la Cour des comptes de janvier 2012.

Si je voulais faire une réponse très rapide, je dirais deux fois « oui », mais le sujet mérite sans doute de plus longs développements.

En premier lieu, le tarif est cohérent avec les conclusions du rapport Champsaur 2, la CRE ayant repris en grande partie la même méthodologie pour préparer son avis sur le prix de l'ARENH. Je m'explique : la loi NOME prévoit qu'un décret fixe les modalités de calcul selon lesquelles la CRE devra définir le prix de l'ARENH. Ce décret n'a toujours pas été pris, mais il devra l'être au plus tard le 31 décembre 2013.

En l'absence de décret, la CRE a élaboré sa propre méthode, qui a donné les résultats que vous savez, c'est-à-dire une fourchette comprise entre 36 euros et 39 euros le mégawattheure. Cette méthode est, à peu de chose près, la même que celle qui est retenue dans le rapport Champsaur 2.

La situation peut évoluer si le décret définissant les modes de calcul à utiliser par la CRE fournit des paramètres différents. Mais il reviendra au Gouvernement d'en décider. La valeur de l'ARENH pourra alors évoluer à la hausse ou à la baisse. En tout état de cause, il n'y a aucun problème à l'égard du rapport Champsaur 2.

S'agissant de la cohérence avec le rapport de la Cour des comptes de janvier 2012, je ne relève pas plus de difficultés. En effet, ce n'est pas le même sujet qui est traité. La Cour a exposé quatre méthodes de valorisation du capital résiduel immobilisé dans les centrales nucléaires, mais n'a pris position pour aucune d'entre elles, se contentant de rappeler que chacune répond à une question différente. Elle précise d'ailleurs que la « méthode Champsaur » est adaptée pour établir un tarif, en l'espèce le prix de l'ARENH.

Concernant la méthode des coûts courants économiques, les CCE, la Cour des comptes explique que cette approche cherche à donner une idée de ce que coûterait aujourd'hui la reconstruction du parc nucléaire historique, à technologie constante. Elle détermine le prix qu'un acteur économique entrant sur le marché de l'approvisionnement en énergie d'origine nucléaire serait prêt à payer pour louer le parc actuel, plutôt que de le reconstruire.

De notre point de vue, il n'y a donc pas plus d'incohérence avec le rapport de la Cour des comptes qu'avec le rapport Champsaur 2. Bien entendu, je vous laisse juge de cette affirmation, monsieur le rapporteur.

Vous souhaitez aussi savoir si l'on peut considérer, après la mise en place de l'ARENH, qu'il existe une rente nucléaire liée à la différence entre le coût de production, y compris les coûts fixes, et le prix de vente. Dans l'affirmative, vous voudriez savoir qui, de l'exploitant ou de l'actionnaire, en est le bénéficiaire.

À notre sens, il n'existe pas aujourd'hui de rente nucléaire. Si les 3 euros par mégawattheure de provision pour Fukushima - c'est-à-dire la différence entre ce que nous avions calculé, 39 euros, et les 42 euros constituant aujourd'hui le prix de l'ARENH -, sont surestimés, ils représenteraient une avance de trésorerie faite à EDF, avance que devrait logiquement rembourser l'opérateur. Nous verrons ce point lorsque nous aurons constaté les investissements effectivement réalisés.

La vente de l'ARENH par EDF aux fournisseurs alternatifs ne génère pas de rente au profit de l'opérateur historique.

À cet égard, il faut garder à l'esprit deux éléments fondamentaux. D'une part, EDF vend l'électricité au prix de l'ARENH, avec un « complément marché » à ses clients en offre de marché. D'autre part, les tarifs réglementés de vente ne prennent pas encore en compte le prix de l'ARENH. Sur l'ensemble de ces ventes, EDF vend donc l'électricité produite par son parc nucléaire historique, au plus, au prix de l'ARENH et ces prix couvrent les coûts de production dudit parc. Ils ne génèrent donc pas de rente nucléaire.

En outre, vous me demandez si le système belge de prélèvement de l'État au titre de la rente nucléaire institué, en 2008, à la charge des producteurs d'énergie atomique serait transposable en France. À mon sens, il pourrait être transposé, à condition qu'EDF vende la totalité de son électricité nucléaire au prix de marché, lequel est aujourd'hui significativement supérieur au prix régulé de l'ARENH.

Une solution différente, aboutissant à un système d'impôt négatif, aurait pu être imaginée par le Gouvernement et par le législateur lors de la discussion de la loi NOME. Ce n'est pas le choix fait à l'époque. On ne peut donc pas transposer aujourd'hui le système belge sur le système ARENH, sauf à tout changer, ce qui est de la responsabilité du législateur. En l'état actuel de la législation, une telle solution serait incohérente.

Par ailleurs, vous souhaitez savoir si l'acquisition à titre onéreux de l'ensemble de leurs quotas d'émission de gaz à effet de serre par les électriciens à compter de 2013 aura des conséquences sur le prix de l'électricité ou si ce prix est déjà totalement intégré par ces acteurs économiques.

Je dois reconnaître qu'une investigation complémentaire serait nécessaire, mais nous estimons aujourd'hui que ce prix est déjà très largement intégré. Il est vrai que le prix du CO2 est aujourd'hui extrêmement bas, à moins de 10 euros la tonne.

Que se passerait-il si, comme en 2004 et en 2005, le prix du CO2 montait pour atteindre des niveaux assez élevés ? À l'époque, la hausse s'était répercutée sur les prix de gros de l'électricité et, par conséquent, sur les prix libres de l'électricité. Je ne suis pas en mesure de faire une réponse définitive. Déposant sous serment, je ne vois pas comment je pourrais être catégorique sur une prévision. Je serai donc prudent, en disant que, aujourd'hui, à moins de 10 euros la tonne, le prix est intégré. En revanche, si le prix du CO2 est de 30 euros la tonne, il faut s'attendre à une répercussion.

Pour terminer sur cette partie, vous m'avez demandé de vous faire part de mon jugement sur le système d'actifs dédiés à la couverture d'une partie des charges futures du nucléaire, système qui est remis en cause par la Cour des comptes. Vous souhaitez en outre savoir si je préconise une évolution de ce dispositif.

Tout d'abord, je dirai que ce sujet relève non pas de la CRE, mais de la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, la CNEF. Je ne connais pas précisément cette institution, mais elle est incontestablement compétente. (Sourires.)

Par ailleurs, la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC, est chargée, en tant qu'expert, de valider le montant des actifs dédiés.

Je souhaite ajouter un commentaire.

La Cour des comptes n'a pas complètement remis en cause le dispositif, mais elle propose de s'interroger sur la composition du portefeuille des actifs dédiés. Je dois dire que la CRE a également des interrogations sur la liquidité, telle qu'elle est prévue dans la loi. Ainsi, à notre sens, Réseau de transport d'électricité, RTE, ne serait pas parfaitement liquide sous cet angle-là. Cependant, nous ne disposons pas de cette compétence, donc de la pertinence pour nous exprimer sur ce sujet.

Le deuxième bloc de questions porte sur la problématique « réseaux et interconnexions ».

Vous m'avez demandé si l'arrêt de la production d'un nombre substantiel de centrales nucléaires allemandes a eu un impact sur la gestion des pointes de consommation. Ma première réponse, très rapide, est négative.

Je m'explique. Même si je ne peux pas dire qu'il n'y en aura pas un jour, je suis en mesure d'affirmer que, précisément, le jour de la pointe de consommation que tout le monde a en tête, il n'y a pas eu véritablement d'impact.

Néanmoins, de façon plus générale, je dois à la vérité de dire que l'arrêt des huit réacteurs nucléaires en Allemagne peut avoir des conséquences sur la gestion des pointes de consommation futures, et j'insiste sur cet adjectif, car ce n'est pas ce qui s'est passé.

Tout d'abord, l'arrêt des centrales réduit les marges du parc de production allemand pour faire face à la consommation domestique. Par conséquent, la production d'électricité pouvant être exportée vers la France sera moins importante.

Ensuite, le coût de production du nucléaire étant assez réduit, l'arrêt des réacteurs allemands est de nature à renchérir le prix de gros de l'électricité outre-Rhin, et, partant, le coût d'approvisionnement en électricité pour la France pendant les périodes de pointe. Je tiens quand même à souligner un élément très important : le couplage des marchés, impliquant pour l'instant des mécanismes de gestion de l'interconnexion, non seulement entre la France et l'Allemagne, mais également avec le Benelux, en attendant plus, est fondamental, car, en imposant de s'approvisionner auprès de la centrale la moins coûteuse, il tend à faire baisser le prix de gros français, lorsque l'on importe du courant des pays adjacents.

En résumé, l'arrêt des centrales nucléaires allemandes peut faire monter globalement le prix de référence allemand, mais l'importation d'électricité allemande se fera toujours dans le souci de la recherche d'un optimum économique, peut-être moins élevé qu'avant, mais toujours optimal.

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