Intervention de Éric Besson

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 7 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. éric Besson ministre auprès du ministre de l'économie des finances et de l'industrie chargé de l'industrie de l'énergie et de l'économie numérique

Éric Besson, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique :

ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. - La commission Énergies 2050 a étudié différents scénarios en comparant leur impact sur le prix de l'électricité, sur les émissions de gaz à effet de serre et sur notre sécurité d'approvisionnement.

Le scénario de l'accélération du passage de la deuxième à la troisième génération de réacteurs nucléaires, avec la fermeture anticipée d'une partie du parc actuel, a principalement un impact sur le prix, qui, dans les ordres de grandeur de la commission, passerait de 40 à 60 euros par mégawattheure.

Le scénario du prolongement de l'exploitation du parc nucléaire actuel, avec renforcement de l'investissement de sûreté et de maintenance, préserve un prix particulièrement compétitif, qui passe de 40 à 50 euros par mégawattheure. Ce scénario maintient l'ensemble des atouts de notre parc nucléaire : indépendance énergétique, absence d'émission de gaz à effet de serre, compétitivité des prix.

Le scénario d'une réduction de 75 % à 50 % en 2030 de la part de notre électricité d'origine nucléaire impliquerait, quant à lui, une augmentation de 40 à 70 euros par mégawattheure du prix de l'électricité, soit une augmentation de 75 %. Il représente aussi un accroissement de moitié de nos émissions de gaz à effet de serre de notre parc électrique et une augmentation importante de nos importations d'énergies fossiles. Ce serait la fin de notre indépendance énergétique pour la production d'électricité.

La sortie complète du nucléaire à l'horizon 2030 représente un doublement du prix de l'électricité, le recours massif aux importations d'énergies fossiles et le risque d'une multiplication par cinq de nos émissions de gaz à effet de serre.

Je retiens trois conclusions du rapport de la commission Énergies 2050.

D'abord, le rapport met en avant que la priorité de la politique énergétique française devrait être la réduction de notre dépendance aux importations d'hydrocarbures, qu'il s'agisse du pétrole, du gaz ou du charbon. Pour parvenir à cette transition énergétique, les deux priorités sont, d'une part, la maîtrise de notre consommation et, d'autre part, le développement des énergies décarbonées, les énergies renouvelables comme le nucléaire. Nous avons besoin, je le pense, des deux volets. Il ne faut pas les opposer.

Ensuite, réduire le nucléaire à 50 % représenterait une perte de 150 000 emplois directs - je dis bien « directs » - pour notre économie. C'est considérable ! Cela signifierait - ne tournons pas autour du pot, c'est dans le débat d'aujourd'hui ! - fermer 24 réacteurs qui atteindront, d'ici à 2025, une durée de vie de 40 ans, sans en construire aucun autre. Cela aurait des conséquences très importantes. Une telle décision signerait, en réalité, la fin de l'industrie nucléaire française. On ne peut pas - il faut que chacun en ait conscience - laisser cette industrie à l'arrêt pendant plus d'une décennie sans perdre les savoir-faire indispensables.

Enfin, du point de vue de l'ensemble des critères, la prolongation de la durée de vie de nos réacteurs actuels, sous réserve que l'Autorité de sûreté nucléaire l'autorise, est à privilégier. Il faut chaque fois rappeler que c'est cette dernière qui, au cas par cas, réacteur par réacteur, donne l'autorisation de prolonger la durée de vie des centrales. C'est pourquoi nous devons à la fois préparer la prolongation de la durée de vie des centrales au-delà de 40 ans et poursuivre le programme de construction de l'EPR, avec un deuxième réacteur à Penly, après celui de Flamanville. C'est le sens des décisions qu'a prises le Président de la République à l'occasion du Conseil de politique nucléaire du 8 février dernier.

Les investissements dans la prolongation de notre parc nucléaire sont donc bien de bons investissements, que nous devons financer.

Nous devons aussi poursuivre le développement sans précédent des énergies renouvelables engagé par le Gouvernement depuis cinq ans. Mais nous devons le faire avec discernement.

Nous avons dû freiner l'emballement du photovoltaïque avant que son impact macroéconomique soit trop lourd et trop coûteux. L'Allemagne, souvent citée en exemple sur ce terrain, est en train de s'en rendre compte. C'est ainsi qu'elle a décidé, en février, des baisses très importantes de ses tarifs de rachat, de 20 à 25 %. Elle devra toutefois faire face aux obligations d'achat induites par les panneaux déjà installés. Il est d'ores et déjà acquis que le surcoût annuel pour les consommateurs allemands des panneaux déjà installés sera en 2012 de 10 milliards d'euros, alors que nous en sommes à 1,5 milliard d'euros en France. La contribution payée par les consommateurs allemands d'électricité pour financer les énergies renouvelables s'élève à 35,9 euros par mégawattheure, ce qui est quatre fois plus élevé que la CSPE française. Cela représenterait une hausse immédiate de 20 % de nos tarifs électriques. C'est considérable !

Pour ce qui nous concerne, nous avons mis en place un nouveau dispositif de soutien, avec une cible de nouveaux projets de 500 mégawattheures par an. Ce dispositif doit permettre le développement d'une filière industrielle d'excellence en France. Tel était l'objectif : non seulement réduire les coûts pour le consommateur, mais également créer des filières industrielles d'excellence. D'où les deux appels d'offres pour le solaire photovoltaïque que nous avons lancés l'été dernier.

Car c'est là une exigence que nous avons fixée à l'industrie des énergies renouvelables : le développement de filières françaises. Nous n'investirons pas dans les énergies renouvelables pour financer des industries qui seraient basées à l'étranger et qui, par ailleurs, ont, pour certaines, un niveau de technicité contestable. En tant que ministre de l'industrie, je recommande que nous privilégiions les filières renouvelables avec un fort taux de retour en termes de valeur ajoutée et difficilement délocalisables, comme l'éolien offshore ou la biomasse, en nous appuyant sur nos avantages comparatifs.

C'est aussi pourquoi nous avons décidé le lancement d'un grand programme éolien offshore. Nous avons lancé un premier appel d'offres pour 3 000 mégawattheures, dont nous annoncerons les résultats au mois d'avril. Cet appel d'offres devrait permettre la création d'environ 10 000 emplois en France.

Quant aux emplois créés par les énergies renouvelables, il ne s'agira d'emplois réellement créés qu'à la condition qu'ils ne soient plus subventionnés dans quelques années. C'est pourquoi nous devons soutenir en priorité les filières dont le potentiel de compétitivité à terme existe par rapport aux autres moyens de production d'électricité.

Il y a, enfin, un autre type d'investissements dont je n'ai pas parlé : il s'agit des économies d'énergie. Je n'en ai pas parlé car elles ne sont pas intégrées dans les tarifs : elles sont financées non par les consommateurs d'électricité, mais par les contribuables pour ce qui relève du soutien public. Le développement des économies d'énergie est une priorité. En même temps, ne nous abusons pas nous-mêmes : l'effet sur le contribuable doit lui aussi être pris en compte. Il n'y a pas de réponse générique au regard de la très grande hétérogénéité des actions de maîtrise de la demande énergétique. Ces actions sont en tous les cas, et c'est une transition pour évoquer mon dernier point, un élément essentiel de la lutte contre la précarité énergétique.

Face à cette hausse des coûts de l'électricité, raisonnable mais inéluctable, nous devons enfin accompagner les consommateurs les plus modestes.

L'énergie représente près de 7 % des dépenses des ménages. Mais nous devons traiter spécifiquement la question des trois millions et demi de nos concitoyens pour lesquels elle représente plus de 10 % des dépenses chaque mois.

D'abord, je citerai un chiffre : pour un ménage qui se chauffe à l'électricité, la facture représente en moyenne 4 % des dépenses du foyer. Seulement, après avoir baissé en euros constants - je dis bien « en euros constants » - pendant une vingtaine d'années, le prix a augmenté au niveau de l'inflation à partir de 2006, et croît désormais à un rythme légèrement supérieur à l'inflation, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner.

Il faut se garder de réponses simplistes, car le problème de la précarité énergétique n'est pas simple. Il touche des situations très différentes, des populations fragiles et hétérogènes, souvent en grande souffrance, qui ont besoin d'une réponse adaptée à leur situation et, surtout, d'un accompagnement.

Parmi les solutions que, très sincèrement, j'écarte d'emblée, figure le « tarif à tranches ». Le principe est simple : on fait payer peu les premiers mégawattheures et beaucoup les suivants. Ce principe, en apparence séduisant, me paraît terriblement inefficace.

Le tarif à tranches rate sa cible et serait même injuste : les plus démunis sont souvent ceux qui consomment paradoxalement beaucoup en proportion, car leur logement a besoin d'être rénové et mieux isolé. Ils sont donc les premiers pénalisés par une mesure censée les aider.

Le tarif à tranches n'incite pas ceux qui consomment trop à modérer leur facture : l'ouverture du marché permet à ceux qui sont pénalisés par ce tarif, souvent les plus aisés, qui sont aussi les mieux informés, d'aller chez un fournisseur alternatif, lequel leur proposera un prix plus attractif.

La solution paraît résider, au contraire, dans une pluralité d'outils et une action d'ensemble. C'est ce que nous essayons de faire : nous avons, me semble-t-il, un bilan sans précédent en la matière.

Nous avons ainsi créé un tarif social de l'électricité en 2006, que nous avons relevé de dix points l'an dernier. La réduction moyenne par foyer aidé est de 90 euros par an environ.

Nous avons, par ailleurs, automatisé l'attribution des tarifs sociaux au 1er janvier pour que les ménages qui, jusqu'à présent, ne renvoyaient pas le formulaire qui leur était adressé en bénéficient tout de même, c'est-à-dire près des deux tiers des 1,5 million de foyers concernés aujourd'hui. Les travaux d'automatisation ont d'ores et déjà été engagés par les fournisseurs depuis le 1er janvier et nous avons publié ce matin un décret en ce sens, qui formalise la procédure d'automatisation.

Par ailleurs, les coupures d'électricité sont interdites pendant l'hiver pour les ménages en difficulté.

Nous menons, enfin, une action de long terme pour aider les ménages en difficulté à réduire durablement leur facture. Pour cela, nous avons, en particulier, créé un fonds d'aide à la rénovation thermique des logements, doté de 1,35 milliard d'euros, dont 1,1 milliard financé par l'État. Ce fonds bénéficiera à plus de 300 000 foyers précaires d'ici à 2017.

En conclusion, notre politique énergétique fait face à un triple défi : un défi écologique dont la prise de conscience est légitimement de plus en plus forte, un défi économique que la crise actuelle rend particulièrement saillant, et un défi d'approvisionnement que souligne la succession de tensions géopolitiques.

Grâce notamment à son choix nucléaire, la France dispose de nombreux atouts pour sa production électrique. Mais nous ne saurions nous reposer sur nos lauriers. Il faut que nous gardions bien conscience de ce sur quoi repose ce succès et que nous sachions nous adapter sans remettre en cause nos atouts. Notre électricité est bon marché. Elle le restera, malgré des hausses modérées, si nous savons faire les bons choix et les investissements nécessaires, dans les réseaux électriques, dans les énergies renouvelables et dans le nucléaire.

Je n'ai pas oublié que vous m'aviez demandé, à la fin de la semaine dernière, de vous fournir les documents adressés par le Gouvernement à la Commission européenne au cours de son enquête sur les tarifs régulés. Eu égard aux délais, il ne m'a pas été possible de réunir l'ensemble des documents demandés. Je ne manquerai pas, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de vous les adresser tout à fait officiellement dans le courant du mois de mars.

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