Intervention de Gérard Mestrallet

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 7 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Gérard Mestrallet président-directeur général de gdf suez

Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez :

Ce montant n'est pas une fourchette basse pour la Cour des comptes, qui le définit de manière extrêmement précise : à 32 euros par mégawattheure, il correspond à la couverture des coûts hors coût du capital ; à 33 euros, il intègre en plus la rémunération du capital non amorti.

La Cour des comptes mentionne en outre deux autres montants. Au total, il y a donc quatre niveaux de coût, qui ont été très bien résumés par le ministère de l'énergie dans un communiqué que j'ai sous les yeux.

Les deux premiers niveaux, de 32 et 33 euros par mégawattheure, sont pertinents pour déterminer les coûts réels du nucléaire.

Un montant de 39,9 euros par mégawattheure a été obtenu par la Cour des comptes par la méthode du coût comptable complet de production, c'est-à-dire en tenant compte de l'amortissement, de la rémunération du capital non amorti et du remplacement des réacteurs. Mais il est évident qu'on ne peut pas inclure dans un tarif payé aujourd'hui le coût d'un remplacement qui devra être financé le moment venu, c'est-à-dire dans dix, quinze ou vingt ans - et qui sera d'ailleurs l'investissement le plus rentable qui soit.

Le dernier chiffre, celui de 49,5 euros par mégawattheure, a été le plus médiatisé parce qu'il pouvait correspondre aux intérêts de certains. Mais il est absolument hors de propos, puisqu'il comprend le coût de la rémunération du capital investi à l'origine en tenant compte de l'inflation, de sorte que ce capital déjà amorti serait rémunéré une seconde fois, ce qui ne serait pas légitime.

Je le répète, les chiffres de 32 et 33 euros par mégawattheure ont été donnés par le rapport Champsaur, la CRE et la Cour des comptes. J'ajoute que c'est le seul chiffre que le Président de la République ait cité, à propos du coût du nucléaire, dans le discours qu'il a prononcé à Fessenheim. Et il a évidemment raison...

Les coûts dont je viens de parler sont essentiellement ceux d'EDF. Je vais maintenant vous donner des éléments de référence qui concernent la Belgique, où nous-mêmes avons sept centrales nucléaires.

Il s'agit de centrales à eau pressurisée, de même modèle que les centrales françaises. Les deux parcs ont été construits au même moment et de façon assez parallèle. D'ailleurs, ils l'ont été en coopération, puisque EDF détient 50 % de l'une de nos sept tranches, Tihange 1, et que, de notre côté, nous détenons des droits de copropriété sur Chooz B et Tricastin. Nous connaissons donc bien nos coûts respectifs.

La CREG, qui est le régulateur belge, a été invitée par le gouvernement à évaluer ce qu'on a appelé la rente nucléaire, c'est-à-dire la différence entre un prix de vente et un coût de production.

Pour cela, elle a évalué le coût de revient de nos centrales dans une fourchette de 17 à 21 euros par mégawattheure. C'est sur la base de ces chiffres officiels que la CREG a estimé la marge réalisée par les électriciens nucléaires belges - nous gérons toutes les centrales, mais nous partageons une partie de leur propriété avec EDF et E.ON. C'est aussi sur la base de ces chiffres que la taxe nucléaire a été fixée à 550 millions d'euros pour les sept centrales.

Nous avons contesté cette évaluation du régulateur : pour notre part, nous estimions le coût direct d'une centrale à 23,5 euros par mégawattheure.

En outre, nous considérions que, pour déterminer le niveau à partir duquel il faudrait considérer qu'il y a une marge - une rente -, il conviendrait d'ajouter à ce montant 5 euros correspondant au coût de réserve. En effet, comme une centrale doit être arrêtée de temps en temps, si l'on veut fournir à un consommateur une bande continue pendant plusieurs années, il faut ajouter au coût direct ce qu'on appelle un back-up, que nous avons évalué à 5 euros.

Au total, nous estimions donc à 28,5 euros par mégawattheure le prix de revient de nos centrales nucléaires en Belgique. D'où vient la différence avec le montant de 32 euros qui concerne EDF, dont les centrales sont à peu près les mêmes que les nôtres ? Simplement du fait que, en Belgique, nos centrales tournent à peu près 10 % de plus que celles d'EDF en France.

Autrement dit, le taux de disponibilité de nos centrales est proche de 90 %, alors que celui des centrales d'EDF se situe historiquement plus près de 80 %, même s'il s'est amélioré l'année dernière. Le prix de revient du mégawattheure produit par EDF est donc supérieur d'environ 10 % à celui de notre mégawattheure. Et si l'on augmente de 10 % le montant de 28,5 euros, on retrouve à peu près le chiffre de 32 ou 33 euros mentionné par la Cour des comptes.

Ce chiffre est donc donné par quatre sources différentes, la cinquième étant la validation suprême par le discours du Président de la République à Fessenheim.

La deuxième sous-question de M. le rapporteur porte sur les modalités de mise en oeuvre de la loi NOME. Il s'agit de savoir si le niveau de l'ARENH permet aux fournisseurs alternatifs de concurrencer EDF.

La réponse est : oui, dans une certaine mesure, pour les clients ne bénéficiant par de tarifs réglementés, c'est-à-dire essentiellement pour les anciens clients du tarif réglementé transitoire d'ajustement de marché, le TaRTAM.

Le cas de GDF Suez est d'ailleurs assez illustratif puisque avant le TaRTAM, au moment de l'ouverture des marchés pour les clients industriels - laquelle s'est faite progressivement, en commençant par les très gros consommateurs -, nous avions pris petit à petit 7 à 8 % du marché. Ensuite, lorsque le TaRTAM a été mis en place, nous avons perdu à peu près tous ces clients et nous avons été conduits à vendre directement sur le marché. Grâce à l'instauration de l'ARENH, nous avons commencé à retrouver peu à peu quelques-uns de ces gros clients industriels.

En revanche, l'ARENH n'atteint absolument pas son objectif pour la clientèle particulière et tous ceux qui bénéficient de tarifs réglementés. En effet, il existe un ciseau tarifaire, c'est-à-dire un écart entre le coût d'achat pour le fournisseur alternatif et le prix de vente aux clients finaux, déterminé par référence aux tarifs réglementés.

Il en résulte qu'on ne peut pas concurrencer EDF sur le marché des clients particuliers, puisqu'il n'est évidemment pas possible de mener une activité économiquement équilibrée en achetant à 42 euros - le niveau de l'ARENH - pour revendre à 35 ou à 36 euros - le niveau du tarif bleu.

Au passage, j'observe qu'en vendant son électricité à 42 euros par mégawattheure EDF réalise une marge très significative, pour la raison qu'elle réalise déjà une marge considérable en vendant son électricité à 35 euros par mégawattheure à tous les Français. Il est extrêmement simple de comprendre qu'EDF ne pourrait pas dégager sur le marché français un EBITDA de plusieurs milliards d'euros si le prix de revient de son électricité vendue à 35 euros était de 42 euros.

Une marge existe donc bien et, du point de vue des concurrents potentiels, il est clair que le prix de l'ARENH fixé à 42 euros par mégawattheure ne permet pas une ouverture à la concurrence du marché des particuliers - d'ailleurs, cette ouverture n'a pas lieu.

Je note que la CRE, dans son avis de juin 2011, a signalé l'existence de ciseaux tarifaires de l'ordre de 3 à 4 euros entre les tarifs réglementés et le prix de l'ARENH. Plus précisément, elle a estimé ce ciseau tarifaire à 3,2 à 3,5 euros par mégawattheure pour le tarif bleu, 3,1 euros par mégawattheure pour le tarif jaune et 2,6 euros par mégawattheure pour le tarif vert, sur la base d'un prix de marché de 55 euros par mégawattheure - ce qui est encore son niveau aujourd'hui.

Ce ciseau tarifaire et l'impossibilité d'introduire de la concurrence pour les clients bénéficiant de tarifs réglementés tiennent à la fixation arbitraire du prix de l'ARENH au niveau trop élevé de 42 euros, qui est exactement celui que demandait EDF.

Pour estimer le bon coût du nucléaire amorti en vue de fixer un tarif, il faut tenir compte des coûts d'exploitation - ce point ne fait pas débat -, mais aussi, s'agissant des coûts passés, c'est-à-dire de la valorisation des actifs, de l'amortissement du parc et de la rémunération du capital non amorti.

S'agissant des coûts futurs, il est normal de tenir compte des coûts non productifs, comme les coûts de démantèlement et de traitement des déchets. Ils sont inclus dans les chiffres de 32 et 33 euros par mégawattheure que j'ai indiqués et dans le coût de 17 à 21 euros par mégawattheure que le régulateur belge nous impute. Autrement dit, pour le régulateur belge, l'estimation de 17 à 21 euros par mégawattheure inclut les coûts de démantèlement et de traitement des déchets.

En revanche, il n'est pas normal d'inclure dans les coûts futurs les coûts de prolongation, de mise à niveau et de renouvellement, qui ne devront être intégrés aux tarifs que lorsqu'ils seront constatés par le régulateur. En effet, il n'y a aucune raison de faire préfinancer par le consommateur d'aujourd'hui des dépenses productives qu'EDF engagera dans quinze ou vingt ans.

D'ailleurs, le fait de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes de 30 à 40 ans ou de 40 à 50 ans est l'investissement le plus rentable que je connaisse. Chaque fois que cet allongement par rapport à la durée finale d'amortissement a été envisagé en Europe, ce qui s'est produit en Allemagne - avant les décisions récentes -, aux Pays-Bas et en Belgique, ce sont les États qui ont demandé aux opérateurs de payer et non l'inverse.

On a l'impression qu'il faudrait faire payer le consommateur d'aujourd'hui pour une décision d'investissement visant à allonger, dans dix ou quinze ans, la durée de vie de centrales nucléaires - une décision qui, d'ailleurs, reste à prendre.

Or, indépendamment du fait que ces dépenses sont décalées dans le temps, puisque la question ne se pose pas aujourd'hui, c'est aux opérateurs que, dans tous les autres pays d'Europe, on a demandé de payer.

En Belgique, par exemple, j'ai négocié avec M. Van Rompuy, qui était Premier ministre.

Sur les sept centrales que nous avons dans le pays, trois vont arriver à l'âge de 40 ans en 2015 ; les quatre autres y arriveront seulement en 2025. Or la loi belge prévoit que les centrales doivent être fermées au bout de quarante ans, sauf si le gouvernement en décide autrement pour des raisons de sécurité d'approvisionnement.

Avec M. Van Rompuy, qui était convaincu de la nécessité de garder le nucléaire, nous avons négocié, dans une première étape, la prolongation de 10 ans des trois centrales les plus âgées. En échange, il a été convenu que nous paierions chaque année au budget de l'État belge une somme comprise entre 215 et 245 millions d'euros.

Aux Pays-Bas, où il n'y a qu'une seule centrale nucléaire, l'allongement a été négocié en échange d'investissements réalisés par l'opérateur, à la place de l'État, dans les énergies renouvelables et les infrastructures.

En Allemagne, à l'époque où Mme Merkel envisageait de prolonger des centrales - depuis, elle a décidé de les fermer -, elle avait négocié un allongement d'une durée moyenne d'environ douze ans, en échange duquel les opérateurs nucléaires allemands étaient invités à contribuer au budget fédéral pour 2,3 milliards d'euros.

Je le répète : il n'est pas question de prendre en compte les coûts de prolongation des centrales.

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