Je suis frappé par vos interventions concordantes et convaincantes. On prétend parfois que les autorités de la concurrence sont dogmatiques et non pas réalistes. Que vous associiez la concurrence au pragmatisme et au bon sens me fait plaisir, j'en suis impressionné ! Lorsque j'étais, il y a vingt ans, à la direction générale des postes et télécommunications, j'ai préparé la première loi, en 1990, de réglementation des télécommunications, puis celle de 1996 modifiant le statut des opérateurs, qui a ouvert le secteur à la concurrence et créé un régulateur indépendant. A l'époque, nous interrogeant sur le dialogue avec le Parlement sur ce sujet difficile, nous avions créé un lexique, recourant aux termes du chemin de fer : pour décrire une technologie du XXe siècle, nous employions les mots du XIXe siècle ! Je suis fasciné par le changement dont vous faites preuve aujourd'hui. Pour vous écouter, c'est moi qui aurais besoin d'un lexique aujourd'hui !
Je reviens sur quatre mots-clés, que j'ai entendus et avec lesquels je manifeste mon accord. Complémentarité, d'abord, car entre le tout public qui serait inefficace et ruineux et le tout privé, qui peut créer une fracture, contre laquelle nous devons lutter, il y a place pour un modèle équilibré.
Stimulation ensuite : oui, M. Maurey, dans une économie de marché, chacun stimule l'autre. Je partage votre point de vue, monsieur le Président. Si un appel à manifestation d'intérêt aboutit à geler un territoire, à le préempter pour en exclure d'autres acteurs, peut-on parler de ressort de l'économie de marché ? Dans une telle économie, la compétition évolue sous la menace d'une intervention au cas où le rythme et les conditions prévus ne sont pas respectés. Vos collectivités locales peuvent être ces stimulants, comme d'autres intervenants. Nous devons préciser ce qu'est une manifestation d'intérêt. Si la concurrence est gelée sans contrepartie sur une zone donnée, nous ne sommes pas dans une économie concurrentielle, où la compétition doit concourir au déploiement le plus efficace possible.
Egalité des chances, encore. M. Guillaume, je crois que nous ne nous sommes pas bien compris. Nous n'avons aucune réticence à l'égard des RIP, nous le disons dans notre avis : ils sont nécessaires là où ils ont été lancés. Nous soulevons la question de l'égalité des chances entre les candidats aux appels d'offres, entre les opérateurs verticalement intégrés et les opérateurs pure players, comme les groupes de BTP, qui se contentent de construire des réseaux. Il y a là une série de sujets, sur la normalisation, le catalogue et la modulation tarifaires, sur lesquels nous avons des préconisations qui n'expriment nulle réserve de principe sur l'intervention publique dans ces RIP.
Transparence, enfin : vous avez raison, il faut que l'information soit la plus complète possible, pour que les parties prenantes annoncent clairement la couleur et que les élus le sachent.
Je reviens sur la question posée par M. Mayet, qui est au fond celle de l'entente entre France Télécom et SFR, pour se répartir les investissements dans certaines zones où tous deux ont manifesté leur intérêt de déployer la fibre. L'Autorité de la concurrence s'est penchée sur cette question. M. Ricol, commissaire général à l'investissement, m'a consulté sur la compatibilité de cette coordination avec les règles de la concurrence. Nous n'avons pas d'opposition de principe à la coordination entre opérateurs sur la construction des infrastructures, dès lors que se maintient une concurrence suffisante sur l'offre de services. Partager l'investissement peut être pro-concurrentiel si cela conduit à déployer plus largement et plus vite. Nous avons néanmoins posé quatre conditions.
Nous avons demandé que les équipes qui négocient entre Orange et SFR soient distinctes des équipes commerciales. Nous avons prescrit que cette coordination se fonde sur un mieux-disant territorial, afin que les territoires soient gagnants ; dans chaque zone, c'est celui qui s'est engagé à aller le plus vite et le plus fort qui déploiera, et non celui qui avait fait la proposition la plus faible. Nous avons exigé que chacun loue le réseau de l'autre, pour qu'il y ait la concurrence la plus vive possible, en aval, sur le marché de détail. Nous avons souhaité que chacun s'aligne sur les conditions les plus favorables aux opérateurs de services en termes de conditions d'accès. Enfin, nous avons demandé qu'aucun autre opérateur qui souhaiterait joindre son initiative à ce schéma n'en soit exclu. Je vous engage, si vous avez le sentiment que ces conditions ne sont pas respectées, à nous alerter pour que nous puissions le vérifier.