Intervention de François Zocchetto

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 janvier 2012 : 1ère réunion
Délinquance d'imprudence et délit de « mise en danger délibérée de la personne d'autrui » — Examen du rapport

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto, rapporteur :

En effet ! Si le comportement de la personne n'a été que la cause indirecte du dommage, la faute « ordinaire » ne suffit plus pour engager la responsabilité pénale de l'intéressé.

En vertu de la loi du 10 juillet 2000 - dont c'est le principal apport - le délit non intentionnel n'est alors constitué que si l'une ou l'autre des fautes suivantes a été commise : la violation de façon manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; la commission d'une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer.

J'en viens à la deuxième exception : à côté de l'imprudence ou de la négligence, il faut également prendre en compte la mise en danger délibérée de la personne d'autrui. Si elle a provoqué un dommage, la mise en danger délibérée de la personne d'autrui constitue une circonstance aggravante de l'infraction non intentionnelle. Elle peut aussi constituer un délit, même lorsqu'elle n'a causé aucun dommage, en vertu de l'article 223-1 du code pénal qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ». Ceux qui ont participé à la rédaction de cette phrase ont manifestement dû passer beaucoup de temps pour parvenir à ce texte.

Il s'agit de la seule infraction non intentionnelle de notre droit pénal punie d'une peine d'emprisonnement en l'absence de tout résultat dommageable.

Le délit de « risques causés à autrui » est constitué si trois conditions sont réunies : l'existence préalable d'une obligation particulière de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; une volonté de violer manifestement cette obligation ; l'exposition directe d'autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.

Revenons sur l'existence préalable d'une obligation particulière de sécurité et de prudence prévue par la loi ou le règlement. L'article 223-1 du code pénal exige que l'obligation dont la violation est l'un des éléments constitutifs du délit ait été prévue par la loi ou par le règlement et que cette obligation revête un caractère particulier.

La notion de règlement doit être entendue au sens constitutionnel et administratif du terme : elle couvre les règles édictées par le Président de la République, le Premier ministre, les ministres, les préfets et les diverses autorités territoriales à l'exclusion des actes qui n'émanent pas de l'autorité publique - règlement intérieur d'une entreprise, règles professionnelles, déontologiques ou sportives. Cette distinction est très importante puisque les règlements intérieurs des entreprises ou les ordres médicaux ne sont pas visés par cet article.

La jurisprudence a précisé ce principe : la règle doit présenter un caractère impersonnel - tel n'est pas le cas d'un arrêté préfectoral déclarant un immeuble insalubre et imposant au propriétaire la réalisation de travaux - et absolu, ce qui exclut les actes qui n'ont qu'une valeur normative relative comme les circulaires et les instructions.

L'obligation doit en outre présenter un caractère suffisamment précis et imposer un mode de conduite circonstancié. Ainsi, la méconnaissance par un médecin des obligations du code de la santé publique définissant les règles générales de conduite ne répond pas à ces conditions. En revanche, l'article 12 du décret du 11 février 2002 qui impose au chirurgien l'assistance d'infirmiers qualifiés édicte une obligation particulière. Tout ceci résulte d'une étude attentive de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Deuxième condition : l'exigence d'une « violation manifestement délibérée ». La mise en danger délibérée ne se confond pas avec une simple négligence ou imprudence. En revanche, à la différence des délits intentionnels, elle ne vise pas à provoquer un dommage particulier. La mise en danger délibérée n'implique d'ailleurs pas que l'auteur du délit ait eu connaissance de la nature du risque particulier effectivement causé par son manquement.

Troisième condition : l'exposition directe d'autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.

Le délit de mise en danger d'autrui n'est constitué que si le manquement défini par l'article 223-1 a été la cause directe et immédiate du risque auquel a été exposé autrui. Cette exigence a conduit la Cour de cassation à interpréter de manière très restrictive l'article 223-1. Tous les magistrats que nous avons entendus en commission ont d'ailleurs confirmé cela. La Cour de cassation a ainsi censuré un arrêt d'une cour d'appel qui avait condamné pour risques causés à autrui une personne ayant circulé avec un motoneige, en dépit des interdictions municipales, sur une piste fréquentée par des débutants alors qu'il ne disposait d'aucun moyen de signalisation lumineux. Selon la Cour de cassation, les juges du fond auraient dû faire état des « circonstances de fait, tirées de la configuration des lieux, de la manière de conduire du prévenu, de la vitesse de l'engin, de l'encombrement des pistes, des évolutions des skieurs ou de toute autre particularité, caractérisant le risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation, ou une infirmité permanente ».

L'article 223-1 est donc interprété de façon très restrictive, ce qui était d'ailleurs le souhait du législateur. Tel est l'état du droit et de la jurisprudence.

J'en viens maintenant aux objectifs poursuivis par l'auteur de la proposition de loi et qui a pu paraître paradoxal à plusieurs d'entre vous puisqu'il était lui-même l'inspirateur de la loi de juillet 2000, qui avait considérablement restreint le champ de la responsabilité pénale. M. Fauchon relève ainsi que la « survenance et la gravité du dommage procèdent de circonstances le plus souvent indépendantes du fait même de l'imprudence, alors que les éléments constitutifs de la mise en danger constituent à proprement parler la justification de la poursuite pénale ».

Ainsi la proposition de loi tend à assouplir le texte actuel de l'article 223-1 à deux titres. D'une part, elle substitue dans la définition actuelle du délit la notion de « règlements », au pluriel, à celle de « règlement » au singulier. La mention des « règlements » a pour objet d'élargir cette notion au-delà de son acception constitutionnelle et administrative. Pourraient ainsi être prises en compte les règles professionnelles ou déontologiques ainsi que les règlements d'entreprise. Mais ceci ne me semble pas possible car se pose rapidement la question du caractère opposable ou non des dispositions prévues dans les règlements. Si pour la loi ou les règlements, tels que je les ai définis au sens constitutionnel ou administratif du terme, il n'y a pas de difficulté, car ce sont des textes officiels qui font l'objet d'une publication officielle, tel n'est pas le cas de mesures émanant d'organes privés. Il serait en effet dangereux et contreproductif de viser tous les règlements. Nous sommes donc contraints d'en rester à la notion de « règlement », même si cela restreint le champ d'interprétation de l'article 223-1. Aussi je vous proposerai un amendement maintenant le singulier de « règlement ».

D'autre part, la proposition de loi prévoit que le risque causé à autrui pourra être constitué, non seulement par « la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou les règlements », mais aussi par « la commission d'une faute d'imprudence grave et qui expose autrui à un risque d'une particulière gravité que l'auteur de cette faute ne pouvait ignorer ».

Il s'agirait d'une nouvelle hypothèse de mise en jeu de l'infraction. Je vous proposerai d'en améliorer la rédaction : je vous propose donc un amendement : « par la commission d'une faute d'imprudence d'une particulière gravité et dont l'auteur ne pouvait ignorer les conséquences ». La conscience du risque se déduit en principe de la nature et de la gravité de la faute, mais cette exigence, qui n'est pas requise en cas de violation d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité, pourrait être considérée comme une contrepartie au fait que la faute d'imprudence n'exige ni une réglementation préexistante, ni une violation manifestement délibérée.

En tant que rapporteur, je ne souhaite pas vous imposer une solution toute faite. Je souhaite que notre commission prenne bien la mesure des conséquences de cette modification qui pourrait avoir des incidences sur les hauts fonctionnaires comme les préfets, mais aussi sur les élus locaux, sur les responsables d'entreprise, sur les enseignants, sur les accompagnateurs scolaires. En fait, tout dépendra de la Cour de cassation. Si elle maintient son interprétation restrictive, il n'y aura pas de changements. Si tel n'est pas le cas, le champ des délits sera considérablement élargi. Je ne suis pas en mesure de vous dire comment ce texte pourrait être interprété. Aujourd'hui, des infractions importantes ne sont pas punies. Je pense au sang contaminé, mais aussi au scandale de l'amiante. Récemment, nous avons entendu parler de responsabilité pénale dans l'affaire des prothèses mammaires. Pendant ce temps, l'opinion publique s'interroge. Si des procès civils sont toujours possibles et des réparations civiles sont prononcées, il ne peut y avoir de procès au pénal car les liens de causalité ne sont pas suffisamment établis.

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