Intervention de Catherine Tasca

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 janvier 2012 : 1ère réunion
Agents contractuels dans la fonction publique lutte contre les discriminations et dispositions relatives à la fonction publique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca, rapporteur :

Le présent projet de loi tend à transposer dans la loi les dispositions du protocole signé le 31 mars 2011 pour sécuriser les « parcours professionnels des agents contractuels dans les trois versants de la fonction publique ». Il s'agit aussi du quinzième plan de titularisation depuis 1946. Conformément à la tradition, ce dernier véhicule législatif consacré à la fonction publique avant la fin de la législature s'est enrichi de dispositions diverses : retouches à la loi du 3 août 2009 sur la mobilité et à la loi du 5 juillet 2010 relative au dialogue social, mesures de lutte contre les discriminations, dispositions relatives au recrutement et à la mobilité des membres des juridictions administratives et financières, dont les projets de réforme, attendus depuis des années, n'ont pas abouti.

Pour ce qui est d'abord des contractuels, on dénombrait en 2009 pas moins de 890 598 agents non titulaires, soit 16,8 % des effectifs de l'ensemble de la fonction publique, en hausse de 2,1 % par rapport à 1998. L'hétérogénéité de cette population reflète la multiplicité des cas de recours au contrat. On ne dispose que de données éparses et partielles, en raison de l'insuffisance des appareils statistiques. La majorité des non-titulaires sont recrutés pour des besoins très spécifiques : adjoints de sécurité, assistants d'éducation... C'est le cas de 41 % des 346 323 contractuels de l'État. 50 % de ceux de la fonction publique territoriale sont recrutés sur des besoins non-permanents. 67,8 % de ceux de la fonction publique hospitalière sont en CDD.

Le protocole d'accord résulte d'une négociation conduite par l'Etat avec l'ensemble des partenaires sociaux et les représentants des employeurs territoriaux et hospitaliers à l'automne 2010. Six des huit organisations représentatives l'ont signé ; si la FSU ne l'a pas fait, c'est parce que ses statuts ne le lui permettaient pas en l'état. L'accord a pour triple ambition d'apporter un remède immédiat aux situations de précarité en favorisant l'accès à l'emploi titulaire, d'empêcher leur réitération, et d'améliorer les droits individuels et collectifs des contractuels ainsi que leurs conditions d'emploi. Le dispositif de titularisation prend en compte le respect de la règle de l'emploi titulaire pour les emplois civils permanents des trois versants, ainsi que le principe de recrutement par concours. Le protocole énumère les bénéficiaires du dispositif. La titularisation passera par des voies d'accès professionnalisées réservées, fondées sur la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle. En tout état de cause, une sécurisation minimale est prévue : la « CDIsation »

Afin de « prévenir la reconstitution de situations de précarité », le protocole fixe un ensemble de règles et de bonnes pratiques qui relèvent, selon les cas, de la loi ou du règlement, voire du rappel au droit existant par voie de circulaire. Il appelle à une meilleure spécification des cas et conditions de recours aux non-titulaires. Il s'agit notamment de généraliser par la loi le recrutement en CDI sur des emplois à temps non complet ou incomplet dans les trois versants, de réglementer plus sévèrement les contrats destinés à pourvoir à une vacance temporaire d'emploi, de clarifier les notions de besoin occasionnel ou saisonnier et d'harmoniser les durées des contrats correspondants. Le régime de transformation d'un CDD en CDI au bout de six ans sera modifié pour neutraliser les effets des changements d'emploi auprès du même employeur et des interruptions de contrat inférieures à trois mois. A l'initiative du nouvel employeur, le protocole prévoit un dispositif de portabilité du CDI au sein de chaque fonction publique.

Le projet de loi transpose cet accord. Les principes généraux des deux dispositifs - titularisation et « CDIsation » - sont précisés dans deux fiches qui vous ont été distribuées. Le nouveau plan de titularisation se distingue des précédents en accordant aux intéressés, en tout état de cause, le droit d'accéder au CDI sous conditions dès la publication de la loi.

Le projet de loi ouvre des voies professionnalisées d'accès aux corps et cadres d'emplois dans les conditions prévues par l'accord. Si les agents prioritairement concernés sont ceux recrutés pour répondre à des besoins permanents, le projet de loi élargit le champ du dispositif aux contractuels remplissant les conditions d'accès au CDI qui sera automatiquement proposé à la date de publication de la loi aux contractuels en fonction éligibles. Ainsi pourront être titularisés les agents recrutés sur des besoins temporaires, notamment pour pourvoir à des besoins occasionnels ou saisonniers.

La procédure d'accès au statut de fonctionnaire est déclinée dans les trois versants de la fonction publique. La notion d'employeur est définie en tenant compte de l'organisation respective des départements ministériels, des autorités publiques ou établissements publics de l'État, des collectivités territoriales ou établissements publics locaux, et des établissements de la fonction publique hospitalière. Les procédures de titularisation dans la fonction publique territoriale résultent d'un équilibre conciliant libre administration des collectivités et objectivité des recrutements. Ainsi, pour les sélections professionnelles organisées parallèlement aux concours, interviendra une commission d'évaluation des candidats, composée de l'autorité territoriale, d'un fonctionnaire de la collectivité ou de l'établissement et d'une personnalité qualifiée désignée par le centre de gestion. Celui-ci pourra aussi organiser les sélections à la demande de la collectivité ou de l'établissement, qui devra élaborer un programme pluriannuel d'accès à l'emploi titulaire.

Dans la fonction publique hospitalière, les examens professionnels et concours, normalement organisés par chaque établissement, pourront être regroupés à la demande du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) avec ceux d'autres établissements de la région ou du département.

On ne connaît pas encore le nombre de contractuels éligibles à la titularisation, faute de données statistiques. Mais le recensement en cours par les administrations, les collectivités et les établissements publics doit permettre à chaque employeur de connaître le nombre d'employés concernés.

Comme le protocole, le projet de loi prévoit qu'un CDI sera obligatoirement proposé, à la date de publication de la loi, aux contractuels justifiant notamment d'une ancienneté de service de six ans.

Les articles 27 à 40 retouchent, dans chacun des trois versants, le régime juridique du recours aux contractuels, sans bouleverser l'architecture fixée par les lois de 1984 et 1986. Reprenant les améliorations identifiées par l'accord du 31 mars 2011, le projet de loi, dans chacun des trois statuts, améliore la lisibilité de la loi, redéfinit et harmonise les conditions de durée et de renouvellement des contrats, et assouplit les conditions d'accès au CDI par transformation d'un CDD au-delà d'une durée de service. L'article 29 ouvre, à titre expérimental, la faculté de recruter directement en CDI dans les administrations et établissements publics de l'État, pour des emplois permanents à temps complet qui ne peuvent être pourvus par la nomination de fonctionnaires, faute de corps correspondant. Le principe de la portabilité du CDI est adopté à l'intérieur de chaque fonction publique sur des fonctions de même niveau hiérarchique. La notion de besoin occasionnel ou saisonnier est précisée par celle, nouvelle, d' « accroissement saisonnier ou temporaire d'activité ». La règle de l'emploi titulaire est réaffirmée : d'une part, le recrutement d'un contractuel pour pourvoir à une vacance temporaire d'emploi est soumis à la mise en oeuvre parallèle de la procédure de recrutement d'un titulaire ; d'autre part, le renouvellement du contrat dans la limite de deux ans est conditionné à son échec. La possibilité de conclure un contrat pour remplacer un fonctionnaire momentanément absent est étendue au remplacement d'un non-titulaire absent.

Le projet de loi comporte aussi plusieurs amendements aux lois statutaires afin de prolonger les lois du 3 août 2009 et du 5 juillet 2010. Les articles 43 à 49 assouplissent encore les conditions du détachement ou de l'intégration entre corps et cadres d'emplois et clarifient les règles d'avancement et de promotion des agents détachés. Les articles 59 et 60 complètent la réforme de 2010 dans la loi les accords négociés entre pouvoirs publics et syndicats pour moderniser les instruments du dialogue social dans la fonction publique. Le dernier chapitre du projet de loi comporte trois mesures ponctuelles.

Le titre III comprend également six articles consacrés aux juridictions administratives et financières, qui ont pour principal objet d'élargir le vivier de recrutement, face au tarissement progressif -que je n'approuve pas- des promotions de l'École nationale d'administration du fait du Gouvernement. Il appartient en effet au Premier ministre de fixer chaque année par arrêté le nombre et la répartition des postes offerts. Pour les élèves ayant achevé leur scolarité en décembre 2011, un arrêté du 29 juin 2011 prévoyait ainsi l'affectation de 82 élèves seulement au sein de notre administration, dont cinq au Conseil d'État, cinq à la Cour des comptes, huit en tant que conseillers de tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, et quatre en tant que conseillers des chambres régionales des comptes. Soulignons d'ores et déjà que les articles consacrés aux juridictions administratives reprennent pour partie les dispositions d'un avant-projet de loi de 2008 que le Gouvernement n'a jamais déposé devant le Parlement.

J'approuve les dispositions élargissant l'accès au Conseil d'État des conseillers de tribunaux administratifs et de cours administratives d'appel, par la voie du tour extérieur, l'affectation de magistrats des tribunaux et cours administratives au Conseil d'État, auprès de la mission d'inspection des juridictions administratives (MIJA), ainsi que la pérennisation du concours dit complémentaire de recrutement, provisoire depuis 1977...

Les deux articles consacrés aux chambres régionales et territoriales des comptes émanent aussi d'un texte antérieur : le projet de loi portant réforme des juridictions financières, déposé en octobre 2009 à l'Assemblée nationale, mais dont l'examen n'a pas dépassé le stade de la commission des lois. Les dispositions ouvrant la possibilité d'accueillir en détachement, dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes, des militaires et des professeurs titulaires des universités, et d'aligner la durée des incompatibilités applicables aux magistrats des chambres régionales des comptes sur celle qui vaut pour les autres fonctionnaires, à savoir trois ans, semblent indispensables.

Enfin, les laconiques articles 41 et 42 visent à compléter la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en prévoyant la communication au futur Conseil commun de la fonction publique d'un rapport sur les mesures destinées à assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et du rapport annuel établi par le comité national du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). S'il est louable de pourvoir à l'information du Conseil, ces deux articles n'apporteront aucune amélioration concrète à la situation des femmes et des personnes handicapées dans la fonction publique. Purement anecdotiques, ils ont pour seul mérite d'attirer l'attention sur le fait que l'Etat, en la matière, est un très mauvais employeur.

Ce projet de loi est le « dernier train » de la présente législature : il constitue l'ultime opportunité de modifier ou de compléter les statuts pour en conforter la cohérence et la bonne marche des institutions publiques.

C'est à cette aune que je vous propose de l'examiner et d'en retenir les divers volets même si je regrette leur hétérogénéité qui n'est pas de bonne pratique législative.

Tout d'abord, il convient de donner force législative au fruit de la négociation sociale en lui conférant son plein effet. Le dispositif spécifique de titularisation arrêté au terme de la concertation conduite par le Gouvernement, repose sur un équilibre accepté par les partenaires sociaux dans leur plus grande majorité et je n'entends pas l'altérer.

Les organisations syndicales que j'ai rencontrées m'ont manifesté leur souci de voir ce projet ne pas bouleverser les éléments d'un protocole très largement signé. C'est assez rare pour être souligné et respecté. En conséquence, en dehors de diverses précisions et clarifications de cohérence, je vous proposerai deux modifications sur le titre Ier.

La première participe de l'équité : pour déterminer les corps et cadres d'emplois accessibles aux candidats à la titularisation lorsqu'ils ont exercé des fonctions relevant de catégories hiérarchiques différentes. Je vous proposerai pour retenir la catégorie, de prendre en compte la durée des services.

La seconde modification consiste à tenir compte de la diversité des employeurs territoriaux pour leur ouvrir la faculté de vérifier l'adéquation entre le dossier du candidat et le cadre d'emplois ouvert par le recrutement auquel il se présente, à la commission d'évaluation professionnelle mise en place pour conduire les sélections professionnelles.

Les clarifications apportées, dans le titre II, au régime des contrats pour prévenir les effets pervers de l'encadrement actuel du renouvellement des contrats et de leur transformation en CDI méritent d'être approuvées. Je demeure cependant prudente sur les résultats escomptés. Seule la pratique permettra d'en mesurer les effets. Il n'en reste pas moins que les modifications proposées devraient limiter les abus actuels et davantage sécuriser la situation des personnels concernés. C'est pourquoi je ne vous proposerai sur ce point que des amendements destinés à préciser, assouplir, clarifier et compléter les mesures proposées du projet mais en portant de trois à quatre mois la durée des interruptions entre deux contrats qui autorise la prise en compte des services discontinus dans le calcul de la durée de la condition de six ans pour l'accès au CDI. Cet élargissement de la durée d'interruption entre deux contrats autorisant la prise en compte des services discontinus devrait notamment sécuriser la situation de certains contractuels de l'éducation nationale.

Je vous proposerai d'adopter sous réserve de plusieurs harmonisations, précisions et actualisations les dispositions concernant la mobilité des fonctionnaires.

Il convient aussi de renforcer les dispositions relatives aux juridictions financières et administratives. Bien que je n'approuve nullement le choix du gouvernement de diminuer l'importance des promotions de l'ENA, le législateur doit trouver des solutions durables pour pallier cette situation. C'est pourquoi je vous proposerai aujourd'hui d'adopter les articles du projet de loi qui y sont consacrés, le cas échéant en y apportant des modifications, mais aussi de compléter le dispositif proposé, par l'insertion d'articles additionnels destinés à améliorer leurs conditions de travail et à remédier plus efficacement au tarissement des corps concernés. Ces articles additionnels auront également pour objet de favoriser la convergence des régimes respectivement applicables aux juridictions financières et aux juridictions administratives.

Je vous propose d'adopter, sous réserve des amendements proposés, ce texte qui, pour être très technique, n'en est pas moins attendu par les personnels, car il apporte des réponses concrètes à des situations d'injustice et de précarité dans les fonctions publiques. Son efficience dépendra néanmoins de la réalité de sa mise en oeuvre et du nombre de postes ouverts aux dispositifs de titularisation.

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