Je tiens d'abord à remercier notre précédent président, Claude Belot, de m'avoir confié ce rapport, que j'avais suggéré à la délégation.
Les interrogations relatives aux contrôles de l'Etat sur les collectivités territoriales ne sont pas nouvelles. Nombre de rapports ont abordé les questions de leur efficacité et de leur homogénéité, qu'il s'agisse des contrôles de légalité et budgétaire des services préfectoraux ou de l'examen de la gestion des chambres régionales et territoriales des comptes.
Ces contrôles n'en méritent pas moins d'être à nouveau étudiés, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, parce que l'existence de contrôles de l'Etat sur les collectivités territoriales efficaces continue d'être une exigence fondamentale, constitutionnelle, qui ne saurait être remise en cause. La libre administration des collectivités territoriales ne peut se concevoir que dans le respect des lois et règlements de la République « une et indivisible ». Il en ressort l'impérieuse nécessité pour l'Etat de disposer de moyens de contrôles performants sur l'ensemble du territoire, quelle que soit la taille de la collectivité. Cette performance ne se mesure pas à l'aune du nombre de contrôles, mais de la capacité effective de pouvoir intervenir pour éviter la mise en application de délibérations ou d'actes contraires à la loi.
De plus, ces contrôles sont des facteurs de sécurisation juridique des actes des collectivités. C'est la raison pour laquelle ils sont bien souvent perçus par les élus comme un soutien à leur action, comme j'ai pu le constater à l'occasion des auditions et déplacements que j'ai pu effectuer dans le cadre de ce travail.
Ensuite, parce que le contexte dans lequel interviennent ces contrôles a changé. Dans un environnement juridique et budgétaire sans cesse plus contraint, les collectivités ont sensiblement renforcé leurs compétences, comme l'a observé notre collègue Edmond Hervé à l'occasion de son bilan de la décentralisation. Leurs services juridiques et financiers ont été étoffés, et il n'est pas rare qu'elles fassent appel à des expertises extérieures. La régularité de leurs actes ainsi que leurs performances en matière de gestion en ont été considérablement accrues, ce qui est reconnu et salué de manière unanime par l'ensemble des acteurs. Ces évolutions rendent nécessaire une adaptation des modalités d'exercice des contrôles de l'Etat sur les collectivités territoriales.
Or, le constat qui ressort du travail que vous avez bien voulu me confier est désolant : le contrôle de légalité est devenu une véritable passoire et ne constitue plus, pour bon nombre d'élus, qu'une « fiction ». Les différentes réformes dont il a fait l'objet ne sauraient masquer la réduction drastique des moyens qui lui sont consacrés, opérée dans le cadre de la RGPP. Des interrogations similaires commencent à voir le jour au sujet du contrôle budgétaire.
Quant à l'examen de la gestion des chambres régionales et territoriales des comptes, il semble mal calibré par rapport à son objectif, qui est de constituer un instrument d'aide à la gestion des collectivités : l'exercice est devenu très lourd, pour les élus comme pour les chambres, pour un intérêt inégal. Faute d'homogénéité suffisante entre la programmation et les méthodes des chambres, les enseignements que peuvent en tirer les collectivités sont très en deçà de ce qu'ils pourraient être.
Il est dès lors impératif de rénover les modalités d'exercice de ces contrôles, afin de renforcer leur efficacité et de conforter leur rôle de soutien à l'action des collectivités territoriales.
Plusieurs pistes peuvent être proposées. Je reviendrai ensuite plus en détail sur chacune des propositions, si vous en êtes d'accord.
Tout d'abord, il me semble essentiel de privilégier l'information et le conseil en amont. Ce sujet mériterait presque un rapport en soi, tant la demande des élus est forte en la matière, et le recul de l'Etat perceptible.
Dans un contexte normatif de plus en plus complexe et mouvant, l'information des collectivités territoriales sur les règles qui leur sont applicables est le premier des moyens favorisant une application homogène du droit sur le territoire, bien avant l'étape du contrôle des actes. Or, nombre d'élus déplorent l'insuffisance de l'information qui leur est fournie. Quant à la mission de conseil de l'Etat, elle aussi complémentaire de la fonction de contrôle, son recul est dénoncé par l'ensemble des collectivités.
Deuxièmement, il est nécessaire de restaurer la capacité des services préfectoraux à effectuer des contrôles de légalité et budgétaire en bonne intelligence.
Mon intention n'est pas de formuler devant la délégation des propositions dont la réalisation engendrerait un coût disproportionné. En revanche, j'estime que les conséquences néfastes de la RGPP doivent pouvoir être remises en cause : les effectifs des contrôles de légalité et budgétaire ont été réduits de plus de 20 % en trois ans ! Ils sont majoritairement constitués d'agents de catégorie B ou C, alors que les actes des collectivités territoriales sont le plus souvent élaborés par des agents de catégorie A. Il s'agit là d'une disparition de facto du contrôle de légalité que nous ne pouvons entériner.
Outre un renforcement indispensable des effectifs, la performance des contrôles doit être améliorée, par un décloisonnement des différentes structures qui en sont chargées. J'ai en effet pu constater, lors de mes déplacements sur le terrain, que le dialogue entre les différents services de l'Etat n'était pas suffisant. Le développement de la dématérialisation pourrait également être davantage favorisé.
Enfin, l'examen de la gestion doit retrouver son rôle d'outil au service des collectivités.
La programmation et les méthodes des chambres régionales et territoriales des comptes doivent être unifiées et adaptées aux besoins des collectivités. Les collectivités ne disposent à l'heure actuelle d'aucune possibilité de mise en perspective de leur gestion par rapport aux autres collectivités, sauf dans le cas des enquêtes interjuridictionnelles menées par la Cour des comptes et les chambres régionales. La programmation et les méthodes sont alors unifiées entre les différentes instances participant à l'enquête. Je salue à cette occasion la création annoncée en octobre dernier d'une nouvelle formation Cour des comptes - chambres régionales des comptes consacrée aux finances locales, qui répond aux mêmes préoccupations.
L'expertise des chambres doit pouvoir être davantage mise à profit des collectivités qu'elles contrôlent, dans le respect de leur indépendance, afin que les examens de la gestion soient l'occasion pour les élus de trouver des réponses à leurs interrogations. Pour cela, il me semble nécessaire qu'un ordonnateur puisse obtenir l'examen d'un sujet qui le préoccupe à l'occasion d'un examen de la gestion (de façon bien évidemment encadrée). La prise en compte des observations des chambres en sortirait renforcée.
A l'heure actuelle, les examens de la gestion suscitent peu de débats au sein des instances délibérantes des collectivités. Quant au suivi des observations, il intervient trop tard, à l'occasion d'un nouvel examen de la gestion. Des évolutions peuvent être proposées dans ces domaines. Les capacités de réaction et l'expertise des chambres doivent également être préservées.
Enfin, en parallèle d'un renforcement des garanties des collectivités dont la gestion est examinée, la procédure doit être allégée : dans la configuration actuelle, certains contrôles peuvent durer trois, voire quatre années ! Or, un consensus semble s'ériger sur la possibilité de raccourcir la procédure à un seul aller-retour entre la chambre et la collectivité.
Voici les principales pistes de réflexion que j'ai dégagées.
J'en viens à mes 21 propositions.
Proposition n° 1 : Organiser, en sous-préfecture ou en préfecture, une réunion annuelle d'information à destination des élus ou de leurs services avec bilan des campagnes de contrôle.
Proposition n° 2 : Envoyer à l'ensemble des collectivités une notice d'information rappelant la mission de conseil dévolue au comptable public ainsi que ses modalités.
Proposition n° 3 : Affecter un nombre minimum d'équivalent temps plein (ETPT) de catégorie A tant au contrôle de légalité qu'au contrôle budgétaire dans chaque préfecture de département, supérieur à un et modulé en fonction de la taille du département.
Proposition n° 4 : Généraliser le partenariat entre direction départementale des finances publiques (DDFiP) et préfectures relatif à l'exercice du contrôle budgétaire
Proposition n° 5 : Elargir le champ de compétence du pôle interrégional d'appui au contrôle de légalité (PIACL) au contrôle budgétaire, ou créer une structure comparable en matière budgétaire.
Proposition n° 6 : Consulter les représentants des collectivités territoriales sur les possibilités d'amélioration de l'application ACTES.
Proposition n° 7 : Homogénéiser les priorités de contrôle des chambres régionales et territoriales des comptes, et éviter que les collectivités qui se situent en-dessous du seuil des « comptes significatifs » n'échappent à tout contrôle.
Proposition n° 8 : Permettre à la Cour des comptes de s'opposer à la réalisation du programme d'une chambre régionale qui ne prendrait pas suffisamment en compte les priorités élaborées au niveau national.
Proposition n° 9 : Renforcer l'homogénéité des méthodes entre les chambres régionales et avec la Cour des comptes, via les « normes professionnelles » ou en renforçant les pouvoirs et moyens de la commission des outils et méthodes des chambres régionales, élargie à des magistrats de la Cour des comptes.
Proposition n° 10 : Rendre publics les critères d'analyse des chambres régionales.
Proposition n° 11 : Elargir les rapports d'observations des chambres régionales aux aspects positifs de la gestion des collectivités et souligner leurs pratiques vertueuses, sans que l'opportunité de leurs décisions puisse faire l'objet d'appréciations à ce titre.
Proposition n° 12 : Obliger la chambre régionale à répondre aux questions relatives à la gestion des finances locales posées par les ordonnateurs, dans le cadre d'un examen de la gestion.
Proposition n° 13 : Permettre à l'ordonnateur de la collectivité d'obtenir l'examen d'un sujet particulier, dans le cadre d'un examen de la gestion.
Proposition n° 14 : Intégrer dans les rapports d'observations des chambres des recommandations à visée prospective d'ordre général, dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales.
Proposition n° 15 : Prévoir que l'ordonnateur d'une collectivité ayant fait l'objet d'un examen de la gestion rende compte des suites données aux observations dans un délai d'un an, auprès de la chambre régionale et de l'assemblée délibérante de la collectivité.
Proposition n° 16 : Permettre à l'ordonnateur d'une collectivité d'inviter le président de la chambre, ou son représentant, à présenter le rapport d'observations devant l'assemblée délibérante.
Proposition n° 17 : Rendre systématique la transmission du réseau d'alerte des préfectures aux présidents des chambres régionales.
Proposition n° 18 : Permettre aux chambres régionales de faire appel à des magistrats issus de la Cour des comptes ou d'autres chambres régionales.
Proposition n° 19 : Réformer la procédure de l'examen de la gestion en rendant facultatif le deuxième aller-retour entre la chambre et la collectivité.
Proposition n° 20 : Ouvrir à l'ordonnateur qui n'est plus en fonction, mais dont la gestion est examinée, l'accès aux documents de la collectivité relatifs à la période considérée.
Proposition n° 21 : Porter de trois à six mois le délai d'interdiction de publication ou de communication de tout document relevant de l'examen de la gestion en cas d'élections, et étendre cette mesure à l'ensemble des élections auxquelles les ordonnateurs ou les personnes mises en cause sont candidats.