Intervention de Marcel-Pierre Cléach

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 janvier 2012 : 1ère réunion
Commémoration de tous les morts pour la france le 11 novembre — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marcel-Pierre CléachMarcel-Pierre Cléach, rapporteur :

Le projet de loi, soumis à votre examen, à la suite de son adoption par l'Assemblée nationale, fixe au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

L'objectif est de rassembler dans un même hommage annuel tous les morts pour la France, quelles que soient les situations personnelles, quel que soit leur statut, quelle que soit la localisation des conflits, quelle que soit la génération du feu à laquelle ils appartiennent : ceux des conflits du passé comme ceux des opérations extérieures, du bataillon de Corée à ceux engagés aujourd'hui dans les opérations extérieures en Afghanistan notamment, ceux qui, hélas, tomberont demain, ceux des guerres que nous avons oubliées et dont il nous faut, pour nous souvenir, ouvrir un livre d'histoire. Tous ont eu la force, le courage, l'abnégation de servir leur Patrie jusqu'au sacrifice ultime, tous ont eu la volonté de servir la République et ses valeurs ; tous « Morts pour la France ». Il ne s'agit donc pas d'honorer les guerres, mais d'honorer les morts.

Il ne s'agit pas de créer une commémoration unique. Il s'agit de créer une commémoration commune. Le projet de loi n'abroge pas la loi du 24 octobre 1922 qui a institué le 11 novembre, jour anniversaire de l'armistice de la Première guerre mondiale pour célébrer la commémoration de la victoire et de la paix. Nous aurons d'ailleurs l'occasion de rendre un hommage plus prononcé aux combattants et aux victimes de ce conflit à l'occasion du centenaire de la Grande Guerre à partir de 2014.

Le projet de loi ne touche pas aux lois et décrets en vigueur et aux onze commémorations nationales qu'ils ont instaurées. Pas plus qu'il ne touche à l'hommage à Jean Moulin, le 17 juin, inscrit au calendrier officiel des commémorations nationales par tradition. D'ailleurs, le Président de la République, dans son discours du 11 novembre, a bien pris soin de préciser, je cite « qu'il soit bien clair qu'aucune commémoration ne sera supprimée et qu'il s'agit seulement de donner plus de solennité encore au 11 novembre alors que tous les témoins ont disparu ». Cette assurance a été rappelée à de nombreuses reprises par le ministre et par le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants lors des entretiens et échanges qu'ils ont eus avec les associations d'anciens combattants, mais aussi lors de la discussion du projet de loi à l'Assemblée nationale. Elle figure noir sur blanc dans l'étude d'impact du projet de loi, dans le rapport de M. Patrick Beaudouin, député, rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale. Et il en sera de même au Sénat. J'ajoute que les autorités civiles et militaires continueront, Monsieur le ministre, à honorer de leur présence, dans toute la mesure du possible, les manifestations locales et associatives auxquelles elles seront conviées.

Il est important de maintenir la singularité de ces commémorations car elles sont aussi le moyen de transmettre aux jeunes générations un témoignage sur notre histoire.

Le choix de la date du 11 novembre semble le meilleur. Malgré la disparition du dernier « poilu » français le 12 mars 2008, le 11 novembre reste ancré dans la mémoire collective comme la manifestation la plus emblématique d'hommage aux combattants morts pour la Patrie, mais aussi et peut-être surtout, comme une commémoration de l'unité nationale autour de la défense de la Patrie et de la République. Elle n'a jamais été contestée, ni lors de son instauration, ni depuis.

Elle englobe, en outre, la mémoire d'autres événements, comme le sursaut patriotique des étudiants et lycéens parisiens, qui convergent vers l'Arc de Triomphe le 11 novembre 1940 malgré l'interdiction de l'occupant. C'est aussi le 11 novembre 1945 que se déroule au Mont-Valérien l'hommage aux combattants de la Seconde guerre mondiale. C'est le 11 novembre qu'ont été célébrés, en 1954, le retour des drapeaux, étendards et fanions des unités revenues d'Indochine, en 1978, les unités déployées à Kolwezi, en 1982, les militaires engagés dans la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) et en 2011, le Président de la République a souhaité honorer des unités engagées en Afghanistan, en Libye et en Côte d'Ivoire.

Elle est enfin la date de commémoration des morts de la guerre qui a engagé le plus de combattants et fut la plus meurtrière. C'est d'ailleurs à l'occasion de cette guerre que fut instituée, par la loi du 2 juillet 1915, la mention « Mort pour la France ».

Si le jour de la Fête nationale, le 14 juillet, par le défilé militaire, ce sont nos armées qui rendent hommage à la République, le 11 novembre, qui en constitue, en quelque sorte, le pendant, la Nation rend hommage à ceux de ses enfants qui sont morts pour la défense de son territoire et de ses valeurs.

Le projet de loi initial a été complété à l'Assemblée nationale par deux articles.

Le premier rend obligatoire l'inscription des « morts pour la France » sur les monuments aux morts des communes et organise les demandes d'inscription. Au-delà de l'hommage collectif annuel de la Nation, la mémoire de chacun d'eux sera conservée par cette inscription. Ceci permettra d'inscrire notamment les militaires morts pour la France en opération extérieure (OPEX).

Le second pour permettre l'application de la loi à Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Saint-Pierre et Miquelon qui sont régies par le principe de spécialité législative.

L'Assemblée nationale a en outre voté un amendement rédactionnel à l'article 1er.

Au cours du travail préparatoire que j'ai mené, j'ai eu l'occasion d'auditionner, de prendre contact ou de me faire communiquer la position des principales associations d'anciens combattants (UNC, Fédération Maginot, UNACITA, UFAC, FNACA, ARAC, FNAME). J'ai également reçu le Souvenir Français et le Comité d'entente que préside le Général Delort et qui regroupe, outre un grand nombre d'associations d'anciens combattants, des associations patriotiques et les associations d'élèves et d'anciens élèves des écoles militaires (47 au total) et qui est à l'origine de cette initiative.

La majorité des associations sont favorables au projet de loi dans sa rédaction actuelle.

Un certain nombre d'associations, affiliées ou dans la mouvance de l'UFAC, considèrent d'un point de vue favorable le projet de loi, « sous la réserve absolue que cette disposition, comme l'a affirmé le Président de la République, ne remette pas en cause les dates figurant au calendrier mémoriel officiel de la République française ». Certaines d'entre elles continuent à militer, en outre, pour la création d'une Journée particulière pour les OPEX, comme la FNAME qui souhaiterait commémorer les morts en OPEX le 23 octobre, jour anniversaire de l'attentat contre le Drakkar au Liban en 1983, ou l'ARAC. En ne procédant pas à l'abrogation des commémorations, le projet de loi les maintient et j'ai rappelé les assurances données qui seront réitérées au Sénat. Il n'interdit pas non plus l'organisation de commémorations locales ou associatives. La création d'une Journée spécifique aux OPEX me paraît relever d'une démarche singulière et d'une concertation préalable pour parvenir au consensus le plus large. En conséquence elle ne me paraît pas pouvoir être intégrée à l'occasion de la discussion de ce texte.

Enfin, l'ARAC a fait connaître son opposition, afin de préserver le rappel des « faits mémoriels historiques, avec leurs origines, leurs effets et leurs conséquences pour comprendre leur vécu et défendre la paix », craignant que cet hommage aux morts pour la France de toutes les guerres ne permette plus ce rappel et engage un processus conduisant à l'instauration d'une journée unique du souvenir.

Les positions des associations seront reprises dans le rapport afin que tous les sénateurs puissent en prendre connaissance.

J'ajoute qu'un sondage réalisé par l'IFOP en novembre montrait que 64 % des Français étaient favorables à cette initiative pour autant que l'on puisse attacher une valeur à ce type d'instrument.

Aucune association ne s'oppose à l'inscription obligatoire des morts pour la France sur les monuments aux morts des communes.

Au fond, en dehors de l'ARAC, aucune association ne s'oppose au projet de loi, dès lors que les autres commémorations sont maintenues.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments d'appréciation et sous réserve d'un amendement rédactionnel que nous examinerons à l'article 3, je propose à la commission d'adopter ce projet de loi.

Je souhaiterais que nous soyons le plus nombreux possible à nous rassembler pour commémorer le souvenir de ceux qui ont donné leur vie pour notre pays et pour les valeurs qu'il défend. Ce serait un beau témoignage, non seulement pour ceux que nous honorons chaque année, mais aussi pour marquer notre reconnaissance à ceux qui, sur des théâtres d'opérations extérieures, connaissent la dure réalité de la guerre, et à leur famille qui les soutiennent et vivent dans l'inquiétude. Légiférer, c'est, d'une certaine manière, commémorer, c'est aussi, quel que soit notre point de vue sur les conflits passés ou en cours, reconnaître la valeur du sacrifice de nos enfants et le caractère sacré de leur vie.

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