Intervention de Olivier Donnat

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 18 janvier 2012 : 1ère réunion
Évolution des pratiques culturelles des français depuis 1973 — Audition de M. Olivier Donnat chargé de recherche au département des études de la prospective et des statistiques deps du ministère de la culture et de la communication

Olivier Donnat, chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture et de la communication :

Sociologue de formation, je suis en charge de l'étude des comportements culturels au sein d'un service du ministère de la culture qui, créé en 1963, a très vite réalisé des enquêtes de ce type. La première grande enquête sur les pratiques culturelles de Français date de 1973. Elle a depuis, été reconduite à quatre reprises, en 1981, 1988, 1997 et 2008, cette dernière publiée sous le titre : « Les pratiques culturelles des Français à l'ère du numérique ».

Pour l'enquête de 2011, il nous est apparu important d'exploiter les résultats de ces cinq enquêtes, afin de retracer les évolutions intervenues entre 1973 et 2008. Il en ressort que le discours sur la révolution numérique, que l'on présente trop souvent aujourd'hui comme étant à l'origine d'une transformation radicale des comportements, mérite d'être relativisé. La mise en perspective des résultats des cinq enquêtes fait en effet apparaître que les évolutions aujourd'hui observées sont pour une bonne part imputables à des mutations antérieures, intervenues au cours des années 1980-1990, et qui expliquent du même coup pourquoi les Français se sont si vite emparés des nouvelles technologies.

L'exercice, cependant, comporte ses limites : l'analyse rétrospective ne peut porter, si l'on veut en assurer la continuité, que sur des questions qui étaient déjà posées en 1973, soit sur des activités qui existaient déjà alors - usage des médias traditionnels, fréquentation des équipements culturels, pratiques amateur... Je précise enfin que l'enquête ne concerne pas les moins de 15 ans.

Ces enquêtes, enfin, reposent sur le déclaratif : on ne cherche pas à vérifier l'exactitude des réponses. Ce qui complique l'analyse sur la durée, puisque les évolutions peuvent renvoyer à une évolution réelle des comportements mais aussi à une évolution dans la perception des personnes interrogées.

On relève, cependant, quatre grandes évolutions, que vous trouverez retracées dans notre rapport, disponible en ligne, en même temps que d'autres documents, sur le site www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr. Pour ce qui concerne l'audiovisuel, en premier lieu, on observe un allongement considérable du temps passé devant la télévision. La progression est régulière au cours des années 1970 à 1990, avant de marquer le pas, reculant même dans les jeunes générations, phénomène à rapprocher du développement du numérique. Parallèlement, la musique, très concernée aujourd'hui par le téléchargement, gagne du terrain. L'écoute journalière augmente régulièrement depuis les années 1970, en lien avec les mutations technologiques, de la chaine hifi au mp3, en passant par le baladeur. Pour les jeunes générations, de moins de 40 ans, le rapport à la culture passe de plus en plus par la musique.

Deuxième évolution marquante, le recul de la lecture des imprimés, tant pour la presse quotidienne que pour le nombre de livres lus au cours des douze derniers mois. La baisse est constante depuis l'enquête de 1981, preuve que cette désaffection n'a pas pour seule cause la montée en puissance des technologies numériques, mais tient plutôt à un phénomène générationnel, dont le mouvement s'est entamé dans les années 1980 et s'accentue aujourd'hui à mesure que croit le nombre de générations concernées, sachant que chacune d'entre elles compte un nombre de grands lecteurs moindre que la précédente au même âge, et que son vieillissement ne change pas la donne. Le renouvellement des générations aboutit donc à une baisse mécanique du lectorat. On voit par là que tout ne peut être imputé au phénomène, bien réel de transfert vers les écrans du numérique, puisque le recul de la lecture est bien antérieur à leur apparition.

Troisième évolution notable, celle des pratiques amateurs, que l'on a vu de développer depuis les années 1980, dans de multiples domaines - musique, comme en témoigne l'expansion des conservatoires mais aussi arts plastiques ou écriture, avec l'épanouissement du journal intime, qui n'est pas sans incidence sur la rapide prospérité, après l'avènement du numérique, des blogs, qui facilitent une expression de soi déjà bien réelle dans les années 1980-1990. Plus globalement, on note que le rapport à la culture passe davantage par une volonté d'expression personnelle, de participation, que le numérique, en retour, favorise.

Quatrième évolution, enfin, la fréquentation des établissements culturels, dont la tendance est à la hausse. La question de la fréquentation de ces lieux au cours des douze derniers mois fait apparaître que ce n'est pas seulement la fréquence des visites qui progresse, mais bien la proportion de la population française qui s'y rend. La hausse du niveau scolaire moyen n'y est pas étrangère, mais on observe cependant que les écarts entre groupes sociaux ne varient pas : bien qu'il y ait aujourd'hui plus de diplômés, de cadres supérieurs, et moins d'ouvrier, l'écart entre ces groupes n'a pas bougé, preuve que l'on reste encore loin d'une démocratisation - au sens d'un rattrapage des catégories les moins favorisées - de la culture.

Ces évolutions générales prennent, pour peu que l'on entre dans le détail, des formes contrastées. Ainsi, la hausse de la fréquentation des bibliothèques au cours des années 1980-1990 doit largement être attribuée aux femmes...

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