Intervention de Alain Biseau

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 28 mars 2012 : 1ère réunion
L'outre-mer et la réforme de la politique commune de la pêche — Audition de Mm. Philippe Lemercier délégué général et alain biseau responsable des expertises halieutiques de l'ifremer institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

Alain Biseau, responsable des expertises halieutiques :

Je vais vous présenter un panorama de la pêche en outre-mer.

À La Réunion, elle recouvre trois composantes : industrielle (pêche australe), côtière et de loisir.

- La pêche industrielle repose sur des palangriers qui pêchent la légine dans les TAAF, un caseyeur qui pêche la langouste, et des thoniers senneurs. Trois d'entre eux sont immatriculés à Mayotte et deux sont en construction à La Réunion, mais les débarquements, soit 35 000 tonnes de thon, ont lieu à Maurice, donc ne créent pas d'emplois à La Réunion. Une flottille de palangriers pêche en eau internationale, dans les zones économiques exclusives (ZEE) de La Réunion, de l'Ile Maurice ou de Madagascar, et sont très tributaires des accords de pêche, notamment avec Madagascar, signés au niveau communautaire.

- La pêche côtière connaît un problème de disponibilité des ressources, le plateau continental étant quasiment inexistant. Une pêche côtière faite à la journée s'est développée grâce aux dispositifs de concentration de poissons (DCP) ancrés dans les fonds marins, et qui peuvent aller jusqu'à 2 000 mètres dans des eaux relativement proches. Les DCP permettent aux pêcheurs d'aller plus loin que la bande côtière, où les ressources sont déjà très exploitées.

- Enfin, la pêche de loisir est une composante très importante de la pression à laquelle les ressources halieutiques sont soumises. Elle représente le même ordre de grandeur que la pêche professionnelle en termes de production, ce qui est considérable.

Les perspectives de développement sont peu nombreuses, en dépit des tentatives pour améliorer la pêche en eau plus profonde. Mais ces ressources en eau profonde étant fragiles, le peu d'efforts supplémentaires entraîne une baisse des rendements et de l'abondance des stocks de poissons. Le maintien d'une activité importante repose surtout sur l'exploitation du « large proche », (la limite des 12 000) grâce aux « DCP ancrés », qui ont été longtemps financés par les fonds européens. Or, depuis 2008, la Commission européenne considère que les DCP ne sont plus éligibles à ses fonds. Cette appréciation inadéquate repose sur une confusion de la Commission européenne avec les « DCP flottants » qui s'appliquent aux thons tropicaux, et qui peuvent effectivement nuire à la biodiversité, ce qui n'est pas le cas des DCP ancrés. Cette confusion regrettable pénalise les DCP ancrés (au nombre de 30 à 35 à La Réunion), pourtant efficaces car ils permettent de pêcher davantage en beaucoup moins de temps, économisant ainsi du carburant.

Ce problème des DCP est d'ailleurs commun à La Réunion, Tahiti et les Antilles. Les DCP ancrés, en forte baisse à La Réunion, doivent être renouvelés, car ils ont une durée de vie limitée, entre un et deux ans. De surcroît, la pêche de plaisance profite de ces DCP, certes en accès libre, mais cette pratique n'en constitue pas moins un prélèvement sur les ressources de la pêche professionnelle.

La Martinique présente le même type de problème, avec un plateau très étroit, relativement exploité, et des interdictions de pêche liées à la présence de chlordécone dans l'eau. La production du plateau est de 380 tonnes par an, soit 27 % de la pêche martiniquaise.

La pêche y est très mal régulée, à cause notamment des retraités qui poursuivent leur activité de pêche, et des plaisanciers, très présents : on estime leur pêche à 50 % des relevés de nasses dans la branche côtière. Les ressources pélagiques du large, qui sont des petits pélagiques, représentent 20 % des ressources martiniquaises ; les grands pélagiques sont pêchés grâce aux DCP ancrés, et connaissent les mêmes conflits avec la pêche récréative. Il existe également une petite activité de pêcheurs martiniquais qui pêchent le vivaneau à la nasse sur le plateau guyanais, mais dont l'activité pâtit aujourd'hui du coût du carburant puisqu'il faut quatre à cinq jours de mer pour rejoindre la Guyane.

Les voies de développement, communes aux Antilles, concernent les grands pélagiques hauturiers, notamment grâce aux DCP, ainsi que des prestations de pêche touristique. Le « pescatourisme », avec la création d'un parc marin, pourrait en effet contribuer à l'expansion de la pêche.

L'activité halieutique à Saint-Pierre est malheureusement assez faible. La flotte est constituée par un palangrier pour la pêche d'espadon et de thon en été et de flétan noir en hiver, un chalutier pour la pêche sur le plateau (morue, limande...), un autre navire de chalut, de casier à crabe et de drague à coquille et une dizaine de petits navires côtiers de pêche artisanale (crabe des neiges, bulot, morue). La ZEE limitée autour de Saint-Pierre freine les possibilités de développement pour Saint-Pierre, en dépit d'un plateau important.

Tahiti se caractérise par une pêche aux thonidés (5 000 tonnes) par de grands palangriers, une soixantaine, et une pêche côtière de 350 petits navires de 6 à 12 mètres qui connaissent des problèmes de suivi de l'activité et de déclaration. Les DCP ancrés soutiennent la pêche côtière ; la pêche en lagon est considérable (près de 5 000 autorisations de pêche en lagon en 2010) avec une production supérieure à 4 000 tonnes, dont la moitié à Tahiti, les autres archipels se caractérisant par une pêche de subsistance.

Les deux ressources principales de la Guyane sont la crevette et le vivaneau, ainsi qu'une multitude de poissons côtiers. Le secteur de la crevette est très menacé par l'effondrement des ressources lié à un problème environnemental, une baisse des prix avec l'importation de crevettes d'élevage et la hausse du coût du carburant. Il reste aujourd'hui une quinzaine de bateaux dont tous ne sont pas en activité.

Le vivaneau provient quant à lui, hormis les cinq bateaux antillais, de ligneurs vénézuéliens qui ont obtenu une licence de la Commission européenne (41 licences), et exportent le vivaneau vers les Antilles. Une surexploitation du vivaneau a été constatée dans le passé. Ces dernières années ont connu une très forte augmentation du stock, qui permettrait peut-être de développer la pêche du vivaneau au casier, une fois les problèmes de concurrence entre ligneurs et caseyeurs réglés.

Les poissons côtiers, qui comptent une trentaine d'espèces dont l'acoupa rouge est la plus prisée, sont pêchés par de petites unités au filet essentiellement. Cette activité, difficilement rentable, souffre des hausses du coût du carburant, du faible prix de vente, de la difficulté à trouver des marins, mais surtout de la difficulté à entretenir les bateaux, le plus souvent en bois. Le développement passe par un accroissement du marché intérieur, demandeur en poissons, et du marché antillais, la totalité de la production du vivaneau étant actuellement exportée vers les Antilles. La difficulté tient au contingentement par la Commission européenne des permis de mise en exploitation, qui concerne tout particulièrement la Guyane, ce qui limite les investissements bien que les ressources guyanaises ne soient pas surexploitées. La faible rentabilité de la petite pêche côtière constitue également un frein au développement.

En conclusion, à part les difficultés prégnantes liées au renouvellement des DCP, les disparités de ressources et d'activités sont telles qu'il est difficile d'aboutir à une synthèse valable pour l'ensemble de l'outre-mer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion