vice-présidente de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental, rapporteure de la section de l'agriculture sur la réforme de la politique commune de la pêche. - Les grandes lignes de la réforme sont : le rendement maximum durable (RMD), le zéro rejet et les concessions de pêche transférables (CPT).
La France a une position qui lui permettrait d'obtenir auprès de l'Union européenne certains avantages grâce à la taille de sa ZEE : 11,2 millions de km2. Le gouvernement s'attache à perpétuer le principe de stabilité relative, qui repose sur des éléments historiques : depuis 1983, il existe des quotas, attribués à chaque État membre, sur certaines espèces communes. Ces quotas, auxquels seulement 36 espèces sur 100 commercialisables sont soumises, conduisent à des taux admissibles de capture (TAC). Je vous rappelle que le poisson est considéré comme une ressource commune et que le principe de stabilité relative, aves les quotas et les TAC, peuvent conduire à des situations préjudiciables : quand le quota d'une espèce de poisson, toujours défini annuellement, est atteint avant la fin de l'année, les bateaux de l'État concerné doivent s'arrêter de pêcher. En revanche, des bateaux des autres États européens peuvent continuer à pêcher dans les propres zones de l'État ayant atteint son quota. Le principe de stabilité n'est cependant remis en cause à ce jour par aucun État membre.
Le point de départ de la PCP, réformée tous les dix ans depuis trente ans, repose sur la stigmatisation par l'Union européenne d'un seul responsable de la diminution des ressources halieutiques : le pêcheur lui-même. Or, les zones où circule le poisson n'ont pas de frontières. De plus, l'insuffisance de la ressource ne s'explique pas uniquement par la surpêche, mais aussi par les dérèglements climatiques, les pollutions estuariennes qui agissent sur le plancton, la pêche illégale (non déclarée, non réglementée : INN), qui peut représenter jusqu'à 30 % des prises. Le rapport de la Cour des comptes de 2011 établit le même constat : la politique contre la surpêche est un échec, car le pêcheur n'est pas seul responsable. Il faut aujourd'hui analyser les raisons de cet échec.
Dans son avis, le CESE a considéré que l'Union européenne n'avait pas cerné les véritables responsables, même si les objectifs qu'elle fixe ne pouvaient qu'être partagés par tous les acteurs. Il faut arriver à gérer la ressource : en vingt ans, le consommateur français a multiplié par cinq sa consommation de poisson et l'Union européenne importe 80 % de sa production.
La réforme de la PCP devra être mise en application dans les DOM, à Saint-Pierre-et-Miquelon sous forme de mesures particulières, mais pas dans les pays et territoires d'outre-mer qui ne relèvent pas de l'Union européenne.
Elle repose sur trois éléments, dont les deux premiers sont intéressants pour la France :
- une gouvernance régionalisée, que tous nos territoires appellent de leurs voeux ;
- une gestion pluriannuelle : des quotas sur trois ans permettent en effet une plus grande visibilité pour les pêcheurs ;
- en revanche, le rendement maximum durable (RMD), taux de prélèvement autorisé en fonction du renouvellement de l'espèce concernée, présente des difficultés. Il s'appuiera sur les avis des scientifiques. Or, dorénavant, les propositions de la Commission européenne ne seront plus simplement fondées sur les avis scientifiques, mais devront être prises en accord avec les avis scientifiques. Or, nos territoires disposent de très peu de connaissances scientifiques. Ils vont donc devoir mettre en application des éléments de réforme pris au niveau européen, qu'ils n'auront aucun moyen de contester. Une de nos préoccupations est par conséquent de développer l'analyse scientifique, pas uniquement par le biais de relevés, mais aussi grâce à des instances européennes régionales, regroupées autour d'une instance européenne de recherche et qui comprendra non seulement les scientifiques mais également les pêcheurs, dont l'expérience doit nécessairement être prise en compte. Il apparaît évident que des moyens sont nécessaires pour financer ces structures. Le gouvernement français doit insister auprès du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) pour obtenir les financements nécessaires à la mise en place de ces structures de recherche, qui permettront à nos territoires de contester les décisions européennes, par exemple la fixation de dates butoirs au-delà desquelles il sera interdit de pêcher certaines espèces.
Une autre préconisation de l'Union européenne est le zéro rejet, qui consiste à obliger les pêcheurs à ramener à terre la totalité de leurs prises. Pour le CESE, le véritable objectif doit porter sur la réduction maximale des captures non commercialisables ou non viables par l'amélioration de la sélectivité des techniques de pêche. Il ne s'agit donc pas d'interdire ces rejets mais de faire en sorte qu'il y en ait le moins possible, voire à terme plus du tout. Si les finalités visées par la Commission et le CESE s'avèrent proches, en revanche ce sont les moyens envisagés pour y parvenir qui diffèrent. La sélectivité des engins de pêche nécessite des financements, pour l'instant absents des propositions de la Commission européenne.
Les espèces non commercialisables ramenées à quai impliquent l'existence de structures de débarquement et de stockage car ces poissons ne doivent pas être détruits. Pour valoriser financièrement les rejets, la création d'une filière dédiée semble de prime abord séduisante, au regard des possibilités d'utilisation en pharmacologie et en cosmétologie, au-delà de leur transformation en farines destinées à l'aquaculture, pour laquelle nous préférons le recours au plancton. Cependant, déployer une véritable filière exige du temps et de gros investissements. Or, l'objectif visé est de réduire à terme au strict minimum les rejets ramenés à terre, ce qui implique que les infrastructures dédiées au traitement de ces produits devront s'adapter à une diminution progressive de leurs approvisionnements. Cette solution n'est envisageable que si les rejets ne constituent qu'un complément d'intrants pour des transformateurs déjà en activité et traitant par exemple les coproduits de poissons destinés à l'alimentation humaine. Ces industriels seront cependant eux aussi confrontés dans un premier temps à un afflux massif de matières premières dont les volumes s'amenuiseront ensuite peu à peu. Il faut par ailleurs éviter que des conditions particulièrement favorables de valorisation des rejets conduisent à créer des débouchés commerciaux trop attractifs car, dans cette hypothèse, certains navires, lors de campagnes de pêche infructueuses, pourraient être tentés de remplir leurs cales de poissons non directement vendables mais sujets à indemnisation, ce qui irait totalement à l'encontre des finalités du « zéro rejet ».
Abordons maintenant les concessions de pêche transférables (CPT). Le projet porté par la Commission, visant à la mise en place d'un système de droits de pêche susceptibles d'être vendus, les CPT, ne modifiera certes pas les quantités capturées. En revanche, il aura un impact irrémédiable sur la structuration du secteur. En effet, il est prévisible que seules les grandes entreprises auront les moyens financiers pour acquérir de nouveaux droits. Les petits pêcheurs ne pourront pas le faire ou alors au détriment d'autres investissements, pourtant souhaitables, relatifs au renouvellement et à la modernisation de leurs équipements, ce qui va à l'encontre des objectifs environnementaux assignés à la PCP en termes notamment de renforcement de la sélectivité des modes de pêche. Ajoutons à cette analyse le fait que les deux principaux garde-fous proposés par la PCP apparaissent illusoires, car exclure des CPT les navires de moins de 12 mètres ne prend pas en compte le fait qu'une part significative des pêcheurs artisanaux utilise des bateaux de 12 à 24 mètres.
Ensuite, l'interdiction de transférer des quotas d'un État membre vers un autre sera impossible à faire appliquer à de grandes entreprises de plus en plus transnationales disposant de flottes installées dans différents pays. Mais c'est sans aucun doute sur l'emploi direct et indirect que les CPT font peser les plus grands risques. En effet, on peut capturer une quantité de poissons équivalente avec un gros navire ou avec plusieurs petits. En revanche, les effectifs de marins nécessaires seront nettement plus faibles dans le premier cas. Dans le cas d'une concentration presque exclusive des moyens de pêche autour de gros navires, les effectifs de marins seront nettement diminués. Dans cette situation, compte tenu de l'autonomie des bâtiments considérés, les prises pourront être débarquées de manière opportuniste, dans de multiples endroits, y compris à l'étranger, en fonction des intérêts économiques du moment après, de surcroît, qu'une partie de leur transformation aura été effectuée à bord. Ces éléments à caractère social, conjugués au risque de financiarisation de la pêche, conduisent le CESE à réaffirmer son opposition formelle à la mise en place d'un système de quotas de pêche commercialisables.
Venons-en maintenant à la valorisation des atouts de nos territoires. Rappelons qu'au titre de l'article 349 du traité de fonctionnement sur l'Union européenne (TFUE), les Régions ultrapériphériques (RUP) dont font partie les DOM, bénéficient d'une base juridique qui reconnaît leur spécificité (éloignement des marchés pour l'exportation et l'importation, étroitesse des marchés locaux) et la nécessité d'adapter les politiques communes à leurs réalités et à leurs contraintes permanentes. La PCP doit par conséquent pleinement s'inscrire dans cette approche.
Nous avons demandé, depuis la mise en place des comités consultatifs régionaux (CCR) il y a dix ans, de constituer deux CCR particuliers, pour les Antilles et la Guyane, d'une part, et pour l'Océan Indien, d'autre part. Les DOM ne sont, en effet, à ce jour, représentés dans aucun comité consultatif régional, à la différence d'autres RUP prises en compte dans le CCR « eaux occidentales ».
Nous avons également demandé que soit maintenu le dispositif du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Mis en place afin de compenser les surcoûts dus à l'éloignement et l'insularité, le programme européen POSEI permet de garantir une certaine compétitivité aux exportations des RUP dans le marché européen (y compris, inter-RUP). Le POSEI-Pêche est donc une aide vitale pour le développement du secteur. Le secteur de la pêche et de l'aquaculture de La Réunion, grâce à la pugnacité de la collectivité elle-même, a obtenu le déblocage de financements du POSEI-Agri (dispositif FERGEA) pour les produits de la mer. Pour le CESE, cette démarche doit être initiée dans les autres DOM et la réforme de la PCP doit veiller tout d'abord au maintien essentiel du dispositif financier POSEI, ainsi qu'à une articulation judicieuse de ces deux fonds. Les collectivités ultramarines, à l'instar de La Réunion, doivent s'impliquer très directement dans ces procédures pour aboutir à des résultats.
Nous recommandons également de développer les flottilles locales. Les dernières aides françaises autorisées en faveur du développement des flottilles datent de 2007. Depuis cette date, l'Europe les a interdites afin de lutter contre la surcapacité. Cependant, plusieurs rapports recommandent la fin de cette interdiction car des règles pertinentes pour les réserves halieutiques en métropole peuvent s'avérer contre-productives en outre-mer. Compte tenu de l'état des flottilles - la moyenne d'âge des bateaux est de l'ordre de 20 à 26 ans, ce qui est très élevé -, majoritairement destinées à la pêche côtière et artisanale, ralentir leur modernisation empêche la mise en service de bateaux plus écologiques, moins consommateurs en carburant, plus sécuritaires et moins destructeurs des lagons. Le CESE considère que la réforme de la PCP doit garantir le maintien de règles spécifiques aux flottilles ultramarines (sur les gabarits notamment) et autoriser l'aide au renouvellement et à la modernisation de la flotte de pêche côtière, au titre de l'article 349 du TFUE. Notre pêche côtière, en effet, subit des courants marins beaucoup plus puissants qu'en métropole, ce qui accroît les besoins en puissance de nos bateaux et rend nécessaires des aides particulières. À ce jour, l'Union européenne ne permet aucune subvention pour le renouvellement des flottes et des moteurs, nous avons donc demandé, en dépit d'un contexte budgétaire national défavorable, le relèvement du « de minimis » (montant de subvention du gouvernement français autorisé sans l'accord de l'Union européenne) de 30 000 à 200 000 euros, comme dans les autres secteurs industriels.
Une autre préconisation du CESE est de développer les Unités d'exploitation et de gestion concertées (UEGC), organismes de cogestion qui rassemblent acteurs publics, pêcheurs, commerçants et défenseurs de la nature sous l'égide des Conseils consultatifs régionaux (CCR). Le Grenelle de la mer a d'ores et déjà lancé, à titre expérimental, deux UEGC en outre-mer (seule celle de Guyane a été créée). Ce système permet d'évaluer les ressources localement et d'adapter les volumes de pêche par des plans pluriannuels. Les pêcheurs sont ainsi plus enclins à respecter une réglementation dont ils participent à l'élaboration. Pour le CESE, il convient d'encourager ces unités qui pourront ainsi déterminer localement le RMD et encadrer la modernisation de la flotte dans le respect des exigences de développement durable.
J'aborde à présent la problématique des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) au regard de la PCP. Ils ne relèvent pas de l'Union européenne et ne sont donc pas concernés par la réforme, mais subissent la règlementation française en matières sociale et environnementale. Les PTOM souffrent des accords de libre échange avec des pays tiers dans lesquels l'Union européenne n'impose pas de normes sociales et environnementales contraignantes. Parallèlement, la majeure partie de la ZEE française se situant dans le Pacifique autour des collectivités d'outre-mer du Pacifique et de la collectivité sui generis de la Nouvelle Calédonie, ne fait donc pas partie de l'Union européenne et à ce titre ne relève pas de la PCP. Toutefois les collectivités concernées sont de facto incluses au sein du marché communautaire du fait de leur appartenance à la République française, ce qui les conduit à respecter les règles et les normes communautaires. Les industries de pêche de ces territoires participent très peu à l'approvisionnement du marché européen (environ 1 000 tonnes/an pour la Polynésie) malgré leur potentiel halieutique exceptionnel, alors que l'Union européenne a signé des Accords de partenariat économiques (APE) avec Fidji et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui représentent plus de 400 000 tonnes/an. Ces accords prévoient la levée de tarifs douaniers, notamment pour les produits transformés issus des pêches locales ainsi que de celles battant pavillon étranger, sans pour autant impliquer une amélioration des standards environnementaux et de traçabilité. Il s'agit là d'une concurrence déloyale faite aux PTOM du Pacifique qui souhaitent bénéficier des mêmes facilités à l'exportation et pour lesquels s'appliquent des normes nationales exigeantes alors qu'ils ne sont pas juridiquement membres du marché commun. De la même manière, l'accord de libre échange actuellement en discussion entre l'Union européenne et le Canada risque d'avoir des effets fortement négatifs sur les activités de pêche de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il est à noter que l'Union européenne a appliqué une approche différente et plus juste dans la zone Caraïbe en conditionnant l'application des APE dans cette région à la mise en place de pratiques environnementales et sanitaires comparables à celles en vigueur en Europe ; cette politique devrait être appliquée également dans le Pacifique. Dans le cadre du volet externe de la future réforme, le CESE juge nécessaire de revoir et de subordonner la conclusion de ces accords au respect des principes de la PCP. Une mise en cohérence entre la politique de commerce extérieur et la PCP est en effet indispensable car il en va du développement économique des PTOM associés.