Intervention de Patrick Besse

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 28 mars 2012 : 1ère réunion
La vie chère outre-mer : une fatalité — Audition de M. Patrick Besse directeur de l'iedom-ieom et de M. Fabrice Lenglart directeur des statistiques démographiques et sociales à l'insee

Patrick Besse, directeur de l'IEDOM-IEOM :

L'objet de mon intervention est de brosser le panorama de la conjoncture outre-mer. Fabrice Lenglart proposera, quant à lui, une analyse de la situation des prix et de l'emploi.

L'activité économique ultra-marine connaît des évolutions très contrastées : si la plupart des territoires se trouvent en difficulté, quelques-uns laissent apparaître une situation plutôt positive. Comme vous l'indiquera Fabrice Lenglart, la hausse des prix est généralement contenue mais l'emploi se caractérise depuis trois ans par une dégradation qui persiste, bien que le rythme de la hausse du chômage s'atténue depuis environ un an.

L'indicateur du climat des affaires, qui se fonde sur des enquêtes de conjoncture trimestrielles auprès des chefs d'entreprise, nous renseigne, lorsque nous le confrontons à l'évolution du PIB annuel calculé par l'INSEE, sur l'évolution passée, présente et à venir de l'activité. Nous ne disposons malheureusement pas de données récentes sur le climat des affaires à Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-Et-Futuna, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, notamment parce que l'échantillonnage ne le permet pas.

De façon générale, sur la période 2001-2011, l'indicateur du climat des affaires révèle des variations très fortes des niveaux d'activité d'un département ou d'une collectivité à l'autre jusqu'à l'année 2005. Ces variations sont suivies d'un rapprochement fort et plutôt positif jusqu'à la fin de l'année 2007, au moment où débute la crise financière. Les années 2007 et 2008 sont marquées par un effondrement violent. L'IEDOM considère toutefois que l'impact de la crise financière, bien que réel, demeure très limité dans les départements d'outre-mer et qu'il apparaît un peu plus prégnant dans les territoires ultra-marins du Pacifique. De fait, il y a des crises plurielles qui ont affecté, selon le cas, soit les Antilles, soit La Réunion, et, plus récemment, Mayotte. La reprise qui s'est fait jour depuis 2009 n'a pas permis un retour de l'activité au niveau de la période antérieure. Depuis la deuxième moitié de l'année 2011, l'on observe à nouveau des évolutions divergentes de l'activité selon la zone géographique considérée.

La Guadeloupe présente une situation plutôt favorable jusqu'à 2008-2009, si l'on excepte la fin de l'année 2004 pendant laquelle l'activité a subi les conséquences de la grève du port de Jarry. Le mouvement social de l'année 2009 a très fortement marqué l'économie guadeloupéenne dont l'activité a brutalement chuté. Cette dégradation est suivie d'une tendance positive marquée par une reprise lente qui repose sur la consommation des ménages et le secteur du tourisme. L'activité est bien orientée et soutenue par les banques : la croissance de l'encours des crédits bancaires a été de + 7 % en 2011. Cependant, les secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP) et de l'agriculture souffrent quelque peu et la confiance manque encore aux investisseurs. La situation de l'emploi demeure préoccupante, les entreprises guadeloupéennes ayant réalisé des efforts de rigueur dont elles recueillent les fruits aujourd'hui. L'IDEOM estime que l'amélioration générale de la conjoncture devrait se poursuivre en 2012.

La Martinique, où le climat des affaires se situe toujours en-deçà de sa moyenne de longue période, présente une situation moins favorable. La crise sociale, qui a mis un terme à la tendance positive qui prévalait jusqu'en 2008, n'a pas été suivie d'une véritable reprise. La croissance demeure modeste et peu créatrice d'emploi. Cette différence avec la Guadeloupe s'explique par la structure des entreprises martiniquaises, notamment dans le secteur de l'hôtellerie, qui n'ont pas su réaliser les ajustements nécessaires. Bien que la consommation des ménages se maintienne, les niveaux globaux d'investissement, qui correspondent à des investissements de renouvellement et non pas de création, demeurent faibles. Les difficultés sectorielles concernent l'agriculture. Le BTP et le commerce se maintiennent tandis que le tourisme connaît une faible reprise. La croissance des encours bancaires, de l'ordre de 1,6 %, est beaucoup plus faible qu'en Guadeloupe, ce qui montre que l'activité peine à repartir. Nous demeurons circonspects sur les perspectives de reprise.

En Guyane, le bilan apparaît assez mitigé jusqu'en 2005. Cette période est suivie d'une très forte croissance de l'activité jusqu'en 2008. La chute de l'activité guyanaise a ensuite été beaucoup moins forte que celle de ses consoeurs et la reprise beaucoup plus rapide. Depuis lors, l'amélioration du climat des affaires se poursuit. Le territoire se caractérise par un fort dynamisme, lié essentiellement à l'évolution démographique. L'immigration est forte, ce qui entraîne une hausse de la consommation et des besoins de logements profitant au secteur du BTP, autant de moteurs de croissance à côté du dynamisme du secteur spatial. La croissance des crédits aux entreprises a été de près de 7,5 %, celle des crédits à l'habitat de près de 11%. Les perspectives offertes par les ressources minières et pétrolières en font un territoire attractif. Les entreprises antillaises viennent d'ailleurs investir en Guyane, délaissant la Martinique et la Guadeloupe.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, la reprise marque le pas. En 2011, les secteurs de la pêche et du tourisme demeurent en retrait, contrairement à celui du BTP qui est porté depuis quelques années par l'investissement public (l'hôpital, la centrale d'EDF). La hausse des prix est bien supérieure à celle des autres départements et collectivités, même s'il faut la relativiser car l'indicateur des prix local n'a pas la même valeur que celui de l'INSEE. Cette hausse soutenue s'explique par l'augmentation des prix de l'énergie dans un territoire qui nécessite de se chauffer une plus grande partie de l'année et par le cours du change entre le dollar canadien et l'euro. L'emploi connaît des variations marquées du fait de l'importance des activités saisonnières. Entre 2007 et 2011, l'on observe un resserrement entre le nombre de demandeurs et le nombre d'offres d'emploi en raison du maintien de l'activité dans le secteur du BTP.

La Réunion se caractérisait jusqu'en 2007 par une tendance positive très forte qui s'expliquait par les grands travaux (route de Tamarin, basculement des eaux). La chute d'activité, intervenue dès avant la crise financière, a été d'autant plus importante qu'elle était concomitante de la fin des grands travaux et de changements de municipalités ne reconduisant pas certains chantiers. Après une lente reprise de l'activité, l'économie réunionnaise connaît une nouvelle dégradation depuis le deuxième trimestre de l'année 2011. La confiance fait défaut chez les chefs d'entreprise et dans la population. L'incertitude et la prudence affectent l'investissement. Pour autant, la consommation demeure bien orientée. Les secteurs de l'agriculture, de l'agro-industrie et du tourisme continuent à se porter correctement. Celui du BTP survit grâce à la reprise du logement social, où les besoins sont importants, mais à un niveau bien inférieur à son niveau antérieur à 2007. Les services et le commerce sont en perte de vitesse. En témoigne l'encours des crédits qui n'a augmenté que de 2,3 %, avec une stabilisation des risques. Le chômage augmente également pour atteindre le taux le plus élevé de l'ensemble des outre-mer. Les perspectives apparaissent mitigées pour les mois qui viennent.

Mayotte ne se trouve pas en meilleure situation. Jusqu'en 2008, l'activité a été assez forte, tirée par les transferts de l'État et par une commande publique relativement importante. La reprise consécutive à la chute de 2008 a été suivie d'une rechute violente en 2011 avec, en fin d'année, un long conflit social qui a paralysé l'activité économique pendant au moins deux mois. Si la consommation demeure le moteur de ce nouveau département français, l'investissement est mal orienté. La croissance des encours de crédit a été de 6,6 % mais elle s'accompagne de la dégradation des risques bancaires. Les hausses de prix ont été fortes même si les accords intervenus à la fin de l'année 2011 ont permis un retournement de tendance, en particulier pour les produits alimentaires. Depuis 2011, l'emploi est en forte dégradation. Dans ces conditions, les perspectives d'une véritable reprise à court terme apparaissent peu probables.

La Nouvelle-Calédonie se porte plutôt bien. L'activité y étant fortement liée au nickel, il existe une corrélation entre les évolutions du PIB et le cours de cette matière première. La chute de confiance qui a eu lieu fin 2011 s'explique par la perspective de l'achèvement des chantiers de l'usine du Nord dans le secteur du BTP. L'investissement s'essouffle. Cependant, malgré des prix légèrement supérieurs aux prix hexagonaux et dont la croissance atteint 2,6 %, la consommation des ménages reste soutenue. Le secteur du nickel, tiré par la demande des pays émergents, et celui du tourisme se portent bien. La croissance des encours bancaires est de l'ordre de 7 %. La montée en puissance des différentes usines devrait générer un flux positif dans les mois qui viennent.

La Polynésie française vit une période difficile depuis plusieurs années malgré plusieurs sursauts en 2006 et 2007. Elle ne se relève pas de la crise dans laquelle elle est entrée dès la fin 2006. La morosité économique persiste, avec une consommation des ménages atone et un investissement des entreprises quasi-inexistant. La dégradation touche tous les secteurs. La progression des encours de crédit est de 0,8 %. Les risques bancaires apparaissent en forte hausse, le taux d'impayés auprès des banques se montant à 12 %. Les perspectives de croissance font défaut. Les difficultés budgétaires du territoire ne permettent pas de réaliser une relance par l'intermédiaire de la commande publique. Les prix, qui sont pourtant administrés, ont crû de 1,8 %, affichant donc une hausse inférieure à celle des prix hexagonaux. L'emploi poursuit sa chute malgré une très légère reprise en 2011.

Enfin, à Wallis-Et-Futuna, après une période difficile, l'activité est bien orientée et relativement dynamique depuis deux ans grâce à la commande publique alimentée par des fonds européens. Le secteur du BTP se porte plutôt bien. La hausse des prix y est légèrement plus forte qu'ailleurs, du fait de l'augmentation des prix de l'énergie.

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