Intervention de Fabrice Lenglart

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 28 mars 2012 : 1ère réunion
La vie chère outre-mer : une fatalité — Audition de M. Patrick Besse directeur de l'iedom-ieom et de M. Fabrice Lenglart directeur des statistiques démographiques et sociales à l'insee

Fabrice Lenglart, directeur des études statistiques démographiques et sociales à l'INSEE :

Les différents tableaux distinguent l'emploi marchand d'une part, l'emploi salarié, marchand et non marchand, d'autre part. Malgré le dynamisme de l'emploi dans le secteur marchand, la part du tertiaire non marchand demeure importante dans les DOM, même si elle a tendance à baisser. Cela est manifeste à La Réunion.

Il n'en demeure pas moins que structurellement, ou en niveau, la situation du marché du travail est plus dégradée dans les DOM que dans l'hexagone. Le taux de chômage, que le dynamisme évoqué à l'instant n'a pas permis de faire baisser au cours des dix dernières années, y est sensiblement plus élevé. L'écart est immense en ce qui concerne les jeunes de moins de vingt-cinq ans. La proportion de jeunes appartenant à la population active mais absents du marché du travail est plus importante dans ces outre-mer que dans l'hexagone.

Les constats sur le niveau de salaire requièrent une distinction entre secteur privé et secteur public. S'agissant du secteur privé, une comparaison des salaires en équivalent temps plein (ETP) montre que le niveau de salaire moyen dans les DOM est inférieur de près de 10 % au niveau hexagonal. Cet écart s'explique entièrement par un effet de structure : la proportion de cadres est plus faible dans les DOM. Les salaires du secteur privé par catégorie socioprofessionnelle sont donc comparables. En ce qui concerne le secteur public, les salaires sont plus favorables dans les DOM puisque des primes spécifiques y sont accordées. Les écarts, de 30 à 40 %, sont significatifs et plus prononcés pour les fonctions publiques d'État et hospitalière que pour la fonction publique territoriale où ils se situent tout de même entre 10 et 20 %. Ces différences ne s'expliquent pas, quant à elles, par les différences de structure de l'emploi.

Pour apprécier le niveau de vie, nous mesurons le revenu disponible des ménages, défini comme la somme des revenus d'activité, des revenus du patrimoine et des prestations sociales reçues (pensions de retraite, allocations familiales, minima sociaux), défalquée des impôts (cotisations sociales, impôt sur le revenu). Nous utilisons une échelle d'équivalence, dite unité de consommation, afin de neutraliser les différences de composition des ménages. L'enquête BDF permet ainsi d'observer le niveau de vie médian, qui équivaut au niveau de revenu d'un célibataire et sépare la population en deux parts égales. Ce niveau de vie médian est sensiblement inférieur dans les DOM : l'écart est de 38 % dans l'enquête BDF de 2006. La situation est meilleure en Martinique que dans les trois autres départements ultra-marins étudiés.

De l'ordre de 30 %, l'écart est plus faible sur le niveau de vie moyen et les inégalités sont plus fortes que dans l'hexagone.

Les facteurs d'explication de ce niveau de vie inférieur à la métropole sont au nombre de trois. Tout d'abord, les ménages des DOM comptent en moyenne plus d'individus mais qui, compte tenu de la plus forte proportion de jeunes et des taux d'emploi plus faibles, sont moins apporteurs de ressources. Ensuite, les emplois des DOM sont en moyenne moins qualifiés. Enfin, la proportion de familles monoparentales est plus forte dans les DOM que dans l'hexagone. Or, le niveau de vie des familles monoparentales est beaucoup plus bas en moyenne que celui des autres types de ménages.

La comparaison des structures des revenus laisse apparaître une proportion de revenus d'activité à peu près identique, une proportion plus faible de ressources provenant des pensions de retraite en raison du nombre moins élevé de retraités et une proportion de revenus de prestations sociales beaucoup plus élevée. En raison de leur niveau de vie plus faible, les DOM contribuent moins à l'impôt.

Au total, la dispersion des niveaux de vie est donc plus forte en outre-mer que dans l'hexagone, ce qui a pour conséquence mécanique des taux de pauvreté plus élevés.

S'agissant des prix, tendanciellement, sur une douzaine d'années, les différents indices de prix mesurés montrent une évolution proche en outre-mer et dans l'hexagone. L'INSEE a mené en 2010 une grande enquête de comparaison spatiale des prix. La technique utilisée à cette fin consiste à rapprocher la structure de consommation de l'un des deux territoires comparés des niveaux de prix constatés dans l'autre territoire. Ainsi, la mesure du niveau général des prix dans les DOM par affectation à chaque prix de la structure de consommation moyenne de l'hexagone, aboutit à des niveaux de prix plus élevés entre 12 et 20 % selon les DOM. Dans le cas inverse, la mesure du niveau de prix dans l'hexagone par application de la structure de consommation moyenne des départements ultra-marins débouche sur un écart plus faible en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe et équivalent à La Réunion. Les spécialistes des indices de prix font une moyenne géométrique des résultats obtenus suivant les deux approches : au total, les écarts de prix se situent entre 6 et 13 %. Cela peut vous sembler faible. Je souhaite cependant rappeler que les écarts de prix sont beaucoup plus marqués pour les produits alimentaires, part très visible des dépenses de consommation et qui contribue beaucoup au sentiment de prix élevés.

Les résultats de l'enquête de 2010 peuvent être rapprochés des constats effectués à l'occasion des enquêtes de 1985 et 1992. Globalement, entre 1992 et 2006, la situation s'est plutôt dégradée en Guyane et en Martinique et est plutôt restée stable en Guadeloupe et à La Réunion. En 2010, par rapport aux résultats obtenus en 1985, la situation serait la même en Martinique et en Guadeloupe, elle serait restée stable en Guyane et se serait légèrement améliorée à La Réunion.

En conclusion, l'INSEE estime que pour parler de niveaux de vie, il faut s'intéresser à la fois aux revenus, au niveau des prix et aux structures familiales. De ce point de vue, la différence de niveau de vie entre l'hexagone et les DOM est manifeste. Mais elle tient peut-être moins aux prix que ce que le ressenti social pourrait laisser croire et davantage aux revenus, essentiellement parce que le nombre de personnes inactives ou au chômage est plus élevé outre-mer et parce qu'à revenu donné identique la taille des ménages est plus grande.

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