Intervention de André Picot

Mission d'information sur les pesticides — Réunion du 17 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. André Picot toxicochimiste directeur de recherche honoraire au centre national de la recherche scientifique cnrs expert français honoraires auprès de l'union européenne pour les produits chimiques en milieu de travail commission scoel à luxembourg

André Picot :

Je suis chimiste organicien, j'ai travaillé dans l'industrie, où j'ai participé, pour le groupe Roussel-Uclaf, à ce qui devait être la pilule contraceptive française - mort-née puisqu'elle s'est révélée toxique pour le foie. Je suis ensuite entré au CNRS, où j'ai fait de la chimie structurale, avant de m'orienter vers la biochimie, et la prévention des risques chimiques. Grâce à ma fonction de conseiller auprès du ministère de la recherche, j'ai pu faire créer au CNRS une unité sur la prévention des risques chimiques. Je me suis notamment intéressé aux insecticides depuis le jour où ma pharmacienne s'était étonnée que les lotions anti-poux destinées aux bébés contiennent du lindane et du DDT - alors que le lindane est strictement interdit pour les veaux ! J'ai ensuite été sollicité pour le suivi d'usines françaises de fabrication de lindane livrées clés en main en Union soviétique, où des ouvriers manipulaient, à mains nues et sans masque, du lindane.

J'ai souvent été interpellé. L'INRA s'inquiétait, par exemple, de mes recherches : la prévention n'était pas alors le premier de ses soucis.

Pour faire évoluer le système, j'étais convaincu qu'il fallait faire de la formation et de l'information, ce que j'ai pu faire via l'unité que nous avions créée. J'ai formé dans l'industrie et dans les organismes de recherche. Au CNRS, j'ai pris conscience qu'il fallait faire collaborer chimistes et biologistes. Avec Pierre Pottier, nous avons lancé une école de formation pour sensibiliser les chimistes à la biologie et vice-versa. C'est ainsi que nous avons, par exemple, mené une année de formation à l'INRA sur les dangers des pesticides.

Puis on m'a commandé des expertises. Souvent à l'initiative de particuliers engagés dans des procès ou à l'instigation de magistrats souhaitant une contre-expertise. C'est ainsi que M. Paul François m'a sollicité. Le cas est marquant : la synergie entre le solvant, le chlorobenzène, l'herbicide, l'alachlore, et des traitements médicaux a suscité des troubles neurologiques graves. Il y a eu vraisemblablement interférence, y compris avec des neuroleptiques. Le chlorobenzène est resté stocké dans les graisses. Après plusieurs mois, cet homme relâchait dans ses urines des métabolites restés, chose inédite, de première étape. Les experts de Monsanto ont refusé de traiter le dossier scientifique, d'expérimenter en reproduisant le mélange pour lequel des essais n'avaient pas eu lieu. C'est étrange, sachant combien friands ils sont d'expérimentation ! La vérité - voir à ce propos, le colloque tenu le 23 mars 2012 au Palais de Luxembourg - est que les scientifiques, dans le procès, n'ont pas été mentionnés. On ne s'intéresse pas aux problèmes scientifiques. Nous sommes, désormais, de simples lanceurs d'alerte anonymes.

Autre lieu, autre procès, en Alsace, à Colmar. Un cas extraordinaire. Une veuve a repris la tradition familiale d'élevage de moutons. Dans sa ferme, au-dessus de la plaine d'Alsace, des sources alimentaient le cheptel et l'habitation. Une mortalité inquiétante des moutons a fini par alerter un vétérinaire de Lyon : la couleur vert foncé des foies autopsiés signalait du cuivre. Des géologues de la réputée école de Nancy ont établi qu'il n'y a pas de cuivre en Alsace ! On s'est alors aperçu que des bouteilles contenant un mélange de pesticides connu sous le nom de bouillie bordelaise avaient été volontairement enterrées près des points d'eau. Outre la mort de 600 moutons, la mère de l'éleveuse est décédée d'une cirrhose, alors qu'elle n'avait jamais bu une goutte d'alcool de sa vie. Il faut savoir que le cuivre en excès est stocké dans le foie mais qu'on n'en décèle pas l'excès dans le sang. L'éleveuse est alors allée voir des toxicologues allemands, qui ont fait les bonnes analyses. C'est ainsi qu'a été découverte l'intoxication au cuivre. L'affaire est ensuite allée au pénal, un empoisonnement étant suspecté.

Le juge, opiniâtre, a suggéré à la plaignante de trouver un expert. Le cuivre est une substance dont la nocivité est connue depuis la nuit des temps. Les viticulteurs qui voulaient se débarrasser de leur voisin se passaient, paraît-il, le mot. Stocké dans le foie et les cartilages, le cuivre est difficilement décelable, et, en tout cas, pas au moyen d'une simple analyse de sang.

En collaboration avec le Pr. Jean-François Narbonne, qui a travaillé aussi sur le cas de M. Paul François, un rapport sera bientôt terminé sur ce dossier qui n'est pas facile : il est épineux de déterminer l'empoisonnement. Tels sont les dossiers que je traite.

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