La vie chère outre-mer, une fatalité ? » Question complexe ! Ma réponse écrite rappellera notamment l'ensemble de l'histoire de l'octroi de mer depuis le droit de poids. Avant de détailler les chiffres, je vous propose de resituer la question posée au regard du périmètre de ce qu'est la « vie chère ». Évidemment, la DGDDI regarde cette question sous le prisme particulier de la fiscalité, il s'agit des droits d'accises qui touchent les produits de consommation : alcool, tabac, carburants. Ces questions trouvent des répercussions dans l'actualité immédiate, notamment à La Réunion et à Mayotte. Les problématiques fiscales ne sont pas minces au regard de la question de la vie chère mais ne la recouvrent pas toute entière.
De nombreux facteurs contribuent à des écarts de prix entre l'outre-mer et la métropole. Il y a les écarts structurels tenant à la géographie, à l'étroitesse des marchés, aux circuits logistiques, aux intermédiaires, aux frais de transports, aux frais portuaires et, nous semble-t-il à la lumière d'avis plus autorisés que ceux de la DGDDI, à une concurrence insuffisante sur les marchés de gros et de détail induisant un niveau élevé de marges.
Sans revenir trop en arrière, un mot tout de même sur l'avis de l'Autorité de la concurrence sur l'importation et la distribution dans les DOM, dans la période consécutive à la crise de 2009. La mission sénatoriale de cette époque avait déjà étudié la question de l'octroi de mer. L'exigence de transparence sur les prix nous paraît une excellente chose.
Outre la concurrence, un autre phénomène joue, qui concerne tous les marchés : la hausse du prix des matières premières. Très clairement, dans la détermination du prix, notamment sur des produits de très grande consommation comme les carburants, il y a un effet prix lié au cours du brut.
Selon l'Insee, la hausse des prix dans les départements et collectivités d'outre-mer (DCOM) n'est que de 2,1 %. Ce chiffre est très loin de la réalité perçue par les consommateurs dans un certain nombre de secteurs. Cet écart accroît la nécessité de la réflexion que vous entreprenez. Ces 2,1 % s'expliquent essentiellement par la stabilisation des prix des produits manufacturés qui compense assez nettement la hausse des prix de l'énergie. Je vous renverrai sur ce point aux travaux de mes collègues de l'Insee.
De fait, il nous semble que la fiscalité que gère la douane pèse d'un poids relatif sur le prix de base. Elle n'est que l'un des éléments de la hausse des prix, non son seul déterminant. Voilà le message important que nous venons vous délivrer.
Second point de mon propos sur la fiscalité douanière elle-même. D'abord, la fiscalité vise à percevoir des recettes mais elle vise aussi, parfois, d'autres objectifs : environnement, santé publique, modification des comportements... Pour 2011, le total des perceptions douanières en outre-mer a été de 2,349 milliards d'euros : 1,48 milliard d'euros pour l'octroi de mer, 460 millions d'euros pour la taxe sur les carburants (TSC), 383 millions d'euros pour la TVA, 221 millions d'euros pour les droits sur le tabac, 61 millions d'euros pour les droits de douane, 48 millions d'euros pour les droits sur les alcools et 125 millions d'euros de droits divers (taxe d'embarquement, etc.).
Pour les besoins des travaux de votre délégation, nous avons calculé ce qui revient à l'ensemble des collectivités territoriales d'outre-mer : pour 2011, 1,7 milliard d'euros, soit 74 % des recettes, ce qui n'est pas négligeable. Donc les trois quarts des produits perçus par la douane en 2011 reviennent aux collectivités d'outre-mer. Cela pose la question de l'alternative qui pourrait être trouvée, sans compromettre les recettes des collectivités ?
L'octroi de mer, sujet emblématique, est un outil de stratégie économique, ayant vocation à compenser les handicaps des DOM. Il est imparfait, certes, frappe les biens, non les services, avec un système d'écarts de taxation complexe à comprendre, mais il sert l'objectif de développement et me paraît indispensable au financement des activités des collectivités territoriales. La fiscalité, dans ce cas, sert à la fois à procurer des recettes et d'outil de politique économique dans les mains des collectivités territoriales d'outre-mer.
Sur le caractère inflationniste de l'octroi de mer, je note que l'Autorité de la concurrence estime dans son rapport de 2009 que les frais d'approche et l'octroi de mer en particulier ne suffisent pas à expliquer l'intégralité des écarts de prix. Nous nous sommes livrés à un petit travail, que je peux reproduire sur tous les produits pour lesquels vous m'en ferez la demande. À La Réunion, l'importation de tongs est un exemple concret et éloquent. Le prix est de 60 centimes d'euros à l'arrivée à la douane pour une paire de tongs. À cette assiette s'applique un taux de 6,5 % d'octroi de mer et de 8,5 % de TVA, soit 8 cents de taxes. On arrive à un prix de 70 cents, alors qu'elles sont vendues dans le commerce de détail au minimum 10 euros... Ce qui se passe entre ces deux moments n'est très clairement pas imputable à la fiscalité... Le taux de 15 % de fiscalité, au total, est élevé, mais il porte sur la valeur d'importation, et non sur le prix de vente !
Je pourrais multiplier les exemples pour montrer que la fiscalité, certes, participe au prix, mais dans une proportion relativement modérée qui, par surcroît, procure des recettes aux collectivités pour se financer et financer des stratégies économiques et sociales.
Le rendement n'est pas la seule préoccupation. La fiscalité sur les tabacs, qui représente 221 millions d'euros de recettes pour les quatre départements de La Réunion, de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane, poursuit un autre but - de santé publique - et le taux en est fixé par les collectivités.
Je prends d'autres exemples : les taux réduits sur les rhums d'outre-mer sont-ils justifiés ? N'est-ce pas une niche fiscale puisque, outre le contingent rhumier outre-mer, le taux réduit s'applique à la mise à la consommation ? Mais il y a là une autre visée, économique, de protection d'une production locale, sachant que 20 000 emplois environs sont en jeu.
Nous réfléchissons à des pistes alternatives s'agissant de l'évolution de l'octroi de mer. En effet, le système actuel est autorisé par la Commission européenne jusqu'en 2014. Le gouvernement plaide pour que cette autorisation soit prolongée, dans la ligne des préconisations du rapport de la mission commune d'information sur la situation des DOM, car elle permet d'apporter un soutien aux économies domiennes. Par exemple, il ne me paraît pas incongru que la taxation des autres alcools que le rhum soit relativement élevée.