Intervention de Étienne Pfister

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 3 avril 2012 : 1ère réunion
La vie chère outre-mer : une fatalité — Audition de Mme Virginie Beaumeunier rapporteure générale de l'autorité de la concurrence

Étienne Pfister, rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence :

L'Autorité de la concurrence s'est donc intéressée en 2009, à la demande du Gouvernement, aux secteurs des carburants et de la grande distribution. Elle a rendu deux avis portant sur le fonctionnement de ces secteurs dans les DOM.

S'agissant des carburants, il s'agit d'un marché très particulier : on a en amont ce qui peut être assimilé à des monopoles naturels, en matière de fret, de stockage, de distribution et de raffinerie. Selon le territoire, le monopole naturel s'étend sur l'ensemble de la chaîne ou seulement sur une partie. Le Gouvernement a mis en place une régulation afin d'éviter que ces monopoles ne conduisent à des sur-marges. L'Autorité a cependant relevé une dérive des marges réalisées en amont, non justifiées par le coût d'approvisionnement. Elle a donc recommandé de modifier le mode de régulation des prix amont, en les basant non plus sur une formule communiquée au préfet par les groupes pétroliers mais sur les indices d'approvisionnement locaux, ceci afin que le prix soit plus proche des conditions réelles d'approvisionnement. Le Gouvernement a pris en 2009 et 2010 des décrets qui suivent les grandes lignes de cette recommandation.

Un monopole naturel existant en matière de stockage, il convient de surveiller les modalités d'accès des distributeurs de détail aux capacités de stockage. L'Autorité a donc recommandé une filialisation de l'activité de stockage afin que la concurrence entre distributeurs repose uniquement sur les mérites, et non pas sur le fait qu'un groupe est actionnaire d'une société de stockage. Cependant, le contexte n'a pas permis une évolution de ce type : à La Réunion, l'un des actionnaires de la société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) souhaite se retirer de la zone Afrique ; aux Antilles, la société anonyme de raffinerie des Antilles (SARA) connaît des difficultés.

S'agissant de l'aval, c'est-à-dire de la distribution, l'État a tenté de réguler les prix en fixant des prix maximum de détail ; mais ceux-ci sont rapidement devenus des prix de référence partout semblables, que la station service soit implantée dans une zone de forte chalandise ou soit isolée avec des coûts fixes élevés. Mais, politiquement, il est délicat de revenir sur ce mode de régulation par le prix maximum.

L'Autorité de la concurrence a enfin observé qu'existent beaucoup d'opérateurs indépendants dans ce secteur, qui sont en réalité étroitement liés aux groupes pétroliers, ce qui fige la situation de la concurrence. Elle a donc recommandé que ces relations soient assouplies : les groupes pétroliers ont fait des progrès significatifs, en raccourcissant la durée des contrats ou en supprimant les clauses de préférence lors de la revente des stations services.

Globalement, il y a donc eu des progrès en matière de régulation : en amont, elle est plus objective, en étant basée sur les prix d'approvisionnement ; en matière de distribution, les contrats sont plus souples, permettant aux stations de changer de groupe d'affiliation, et donc de faire jouer la concurrence entre ces groupes.

Deuxième secteur pour lequel l'avis de l'Autorité de la concurrence a été sollicité : l'importation et la distribution des produits de grande consommation, en particulier alimentaires. Une des premières missions de l'Autorité a été d'analyser si le niveau plus élevé des prix constaté outre-mer était dû aux frais d'approche (fret et octroi de mer notamment) ou s'il dérivait de comportements de sur-marges, dus à une structure concurrentielle insuffisante.

Il existe bien des raisons objectives à ce niveau élevé des prix : le fret, l'octroi de mer, ainsi qu'un circuit d'approvisionnement spécifique. En métropole, les fabricants vendent directement au distributeur ; un acteur supplémentaire intervient outre-mer : le grossiste-importateur qui mutualise les achats avant de vendre au distributeur. Au-delà de ces facteurs objectifs, l'Autorité de la Concurrence a conclu à l'existence de comportements de surprix qui demeurent difficiles à localiser. Plusieurs exemples illustrent l'existence de ces comportements :

- en considérant des produits parfaitement comparables, comme un produit de marque nationale et un produit de marque de distributeur, on constate que, alors que ces deux types de produits devraient avoir le même surprix, puisqu'ils subissent les mêmes contraintes, le différentiel de prix est beaucoup plus élevé pour les produits de marque nationale que pour les produits de marque de distributeur ;

- pour certains produits, on a pu mesurer objectivement les frais de transport et les frais d'octroi de mer. Pour la plupart de ces produits, ces frais ne couvrent pas la totalité du différentiel de prix par rapport au prix métropolitain ;

- la Guadeloupe et la Martinique ont le plus souvent des frais d'approche similaires. Or on constate des différentiels de prix entre ces deux territoires.

Une des explications de ce surprix est la concentration au stade du détail : globalement, dans les DOM, les quatre premiers opérateurs concentrent entre 60 et 70 % des parts de marchés. Une autre explication est l'existence du grossiste-importateur : il est difficile de déterminer s'il réalise des marges indues. Ses marges paraissent plus élevées que celles réalisées par les grossistes en métropole, mais son travail n'est pas totalement identique. L'Autorité a cependant observé que ces grossistes disposent d'exclusivités sur certains produits, ce qui limite les marges de manoeuvre des distributeurs alors contraints de s'adresser à eux ou directement au fabricant. Mais dans ce dernier cas, le distributeur-importateur sera confronté à des délais de livraison plus importants et ne pourra bénéficier ni d'économies d'échelle sur les frais de transport ni de tarifs préférentiels tels ceux consentis aux grossistes.

L'Autorité de la concurrence a formulé plusieurs recommandations : tout d'abord réduire le degré de concentration au stade du détail, ou du moins faire en sorte qu'il soit stabilisé, ceci notamment par un abaissement du seuil de notification. En métropole, pour qu'un magasin racheté fasse l'objet d'une notification auprès de l'Autorité de la concurrence, cette dernière examinant si le rachat conduit à une réduction de la concurrence, le chiffre d'affaires du magasin doit être supérieur à 15 millions d'euros. En outre-mer, ce seuil est trop élevé par rapport au chiffre d'affaires réalisé par de nombreux magasins. Afin de disposer d'un réglage plus fin, l'Autorité a donc recommandé que le seuil de notification soit abaissé de moitié, pour s'établir à 7,5 millions d'euros, ce qui a été pris en compte par le Gouvernement.

Grâce à cette modification, de nombreuses opérations de rachat sont désormais notifiées à l'Autorité. Cela nous permet de vérifier que la concurrence n'est pas diminuée par le rachat, mais aussi d'étudier, à l'occasion de telles opérations, le fonctionnement du secteur concerné et, le cas échéant, de demander des engagements. Ainsi, dans le cadre du rachat d'un hypermarché Cora par le groupe Bernard Hayot, l'Autorité a constaté l'existence de relations d'exclusivité entre le groupe et certains fabricants, ainsi que le rôle de grossiste joué par le groupe Bernard Hayot pour ses magasins ainsi que pour ceux de ses concurrents. L'Autorité a donc demandé et obtenu la fin de l'exclusivité de fait et l'instauration de modalités de vente par le groupe à ses propres magasins qui ne constituent plus un avantage par rapport aux autres magasins.

Comme dans le secteur des carburants, l'Autorité de la concurrence a négocié, à l'occasion de son avis, des engagements informels. En Guadeloupe ainsi, où il n'existe que quatre hypermarchés, l'un d'entre eux était détenu conjointement par les deux principaux groupes de distribution, à savoir les groupes Huyghues Despointes et Bernard Hayot. Elle a obtenu le décroisement de l'actionnariat afin que cet hypermarché soit un réel facteur de concurrence entre les deux groupes.

Au-delà de la grande distribution et des carburants, l'action de l'Autorité de la concurrence a porté également sur le domaine des télécommunications, dans lequel elle a rendu quatre décisions au cours de la seule année 2009. Les prix des télécommunications étaient en effet très supérieurs outre-mer et l'action de l'Autorité a contribué à rendre ce secteur, caractérisé par l'existence d'un acteur en position dominante, plus concurrentiel.

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