La FNSEA a des structures syndicales dans les cinq DOM. Leur mission essentielle est de représenter les agriculteurs, mais aussi d'être nos correspondants permanents sur les dossiers difficiles.
Dans la zone Océan Indien, La Réunion est peut-être le DOM le plus « métropolitain » s'agissant de l'organisation des filières. La filière sucre notamment, est très bien organisée. En revanche, nous avons beaucoup plus de mal à organiser la filière des fruits et légumes. Malgré nos efforts, 80% de cette filière est entre les mains de producteurs qui ne sont pas toujours bien organisés.
Aux Antilles, la situation est différente. En Martinique, les grosses filières sont la banane, le rhum et le sucre. Nous sommes dans l'expectative des décisions européennes sur ses politiques sectorielles. La Guyane souffre encore des séquelles de son « plan vert » de 1979. La filière riz a été développée, mais pas suffisamment. Notre projet de mettre en place une usine à décortiquer le riz n'a pas abouti pour des raisons budgétaires, ce qui oblige à conditionner le riz au Surinam. Le développement des productions et l'autonomie alimentaire, en fruits, en légumes et en viande, posent encore problème. Nos efforts ont été des échecs, entre autres sur la structuration de l'offre en viande bovine, avec par exemple la construction d'un abattoir qui fonctionne difficilement.
Les Antilles ont été brutalement marquées par les événements de 2009. L'évasion des touristes a eu des conséquences directes sur la production agricole locale, du rhum et des cultures vivrières. On a assisté à une fuite des capitaux. Les agriculteurs ont dû affronter la hausse des prix sur les intrants et le carburant. Les filières dites dédiées, fruits et légumes, et production carnée, sont en grande difficulté. L'administration territoriale a passé des contrats avec la Chambre d'agriculture pour permettre aux agriculteurs non seulement de bénéficier d'aides, mais d'essayer de s'organiser. La situation aux Antilles peut se résumer à la formule : trop pour la banane et le sucre, rien pour le reste. Dans la perspective de la renégociation des programmes européens, il faut inverser la démarche : d'abord essayer d'organiser les producteurs avant de raisonner en termes de structuration d'une offre de services. Ensuite, les productions vivrières ne tiendront pas aux Antilles si le premier acheteur, c'est-à-dire les collectivités territoriales, n'honorent pas leurs factures. Leur défaut de paiement provoque en ce moment la faillite d'une coopérative fruitière, et, plus largement, dissuade les producteurs de s'organiser. On doit se contenter d'une agriculture de proximité, qui n'est pas en mesure de livrer des produits locaux de façon pérenne et régulière, alors qu'il y a un vrai marché.
Le deuxième problème est la compétitivité. Le coût des intrants, soumis au monopole de la distribution, est très élevé, 30 à 40 % plus chers que ceux de métropole. Une partie de ce surcoût n'est pas justifié par l'éloignement.
Ma troisième remarque est une alerte. Nous avions négocié la possibilité de relancer la filière des petits ruminants en Martinique. Nous nous heurtons à deux problèmes : l'absence de personnel pour encadrer l'ingénieur sur place, qui ne pouvait pas, de sa propre initiative, organiser la filière ; et un problème de disparité de statut des agriculteurs, dans la mesure où nombre d'entre eux ne sont pas reconnus en Martinique.
La Réunion est le département qui a peut-être le moins de difficultés à organiser sa production, sauf pour ce qui concerne les filières fruits, légumes, et fleurs. Le surcoût des intrants est assumé par la collectivité, ce qui permet à La Réunion d'être très proche de l'autonomie en oeufs, poulets, fruits et légumes locaux : l'organisation de ces productions, leur financement, les programmes européens, ont donné satisfaction. Des raisons culturelles, d'encadrement, ont permis ces résultats à La Réunion.
Néanmoins, les difficultés pour La Réunion et les Antilles sont, outre la disponibilité du foncier, et la concurrence de l'agriculture avec le photovoltaïque, d'assurer le renouvellement des générations. Les pistes d'avenir sont la formation, de qualité dans les lycées agricoles, et l'encadrement de l'agriculture, bien mené à La Réunion grâce à l'arrivée bénéfique d'ingénieurs et techniciens supérieurs, qui ont travaillé en osmose avec les agriculteurs. En revanche, aux Caraïbes, l'intégration de techniciens et d'ingénieurs venant de métropole n'est pas aisée, et l'encadrement local est insuffisant en qualité. On s'y contente des aides financières communautaires sans aller au-delà. L'exemple de la banane aux Antilles est significatif : après le dernier cyclone, la Martinique et la Guadeloupe n'ont pas exporté de bananes pendant six mois alors que le marché métropolitain existait bien. Au contraire, les groupements de producteurs antillais ont importé de la banane en provenance de la zone Caraïbes. Depuis, la production locale fonctionne de nouveau, mais cet exemple montre que l'Union européenne ne financera pas durablement ces productions. Il faut plutôt que les programmes communautaires financent une agriculture productive à destination du marché local. Les Antillais y aspirent. Il convient aussi d'initier des politiques, en liaison étroite avec les collectivités territoriales, en direction d'autres filières tombées en désuétude, que la banane et le sucre, déjà bien implantées.
Enfin, il faut tenir compte de l'environnement. On atteint les limites du système phytosanitaire aux Antilles. Le mitage urbain en milieu rural posera d'énormes problèmes.
Il faut conduire une réflexion sur le développement des filières vivrières locales, fruitières, légumières, mais aussi animales pour exploiter le potentiel antillais.