Intervention de Marie-Claude Dupuis

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 28 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. François-Michel Gonnot député président du conseil d'administration de l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs andra et de Mme Marie-Claude duPuis directrice générale

Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, par souci de cohérence, je répondrai aux questions dans l'ordre dans lequel elles nous ont été posées.

Il existe aujourd'hui trois centres de stockage en surface pour les déchets radioactifs.

Un centre de stockage « historique », aujourd'hui fermé et sous surveillance, est situé dans la Manche. Il accueille 500 000 mètres cubes de déchets à vie courte.

C'est le centre de stockage en surface de Soulaines, dans l'Aube, qui a pris le relais. Ce centre permet de stocker les déchets d'exploitation et de maintenance des centrales nucléaires. Il a été autorisé pour 1 million de mètres cubes de déchets et il est aujourd'hui rempli à hauteur de 26 % de ses capacités. Grâce aux efforts consentis par les producteurs d'électricité, il pourra répondre aux besoins de stockage pendant une soixantaine d'années d'exploitation du parc nucléaire. Nous avons donc du temps devant nous.

Le troisième centre de stockage en exploitation, lui aussi situé dans l'Aube, reçoit les déchets de très faible activité, issus surtout du démantèlement. Il est beaucoup plus récent, puisqu'il a été ouvert en 2003, tandis que le centre de Soulaines l'a été voilà vingt ans. D'une capacité de stockage autorisé de 650 000 mètres cubes, il est déjà rempli presque au tiers. En fait, son remplissage est beaucoup plus rapide que prévu, car les producteurs de déchets, le CEA, EDF et AREVA, ont du mal à maîtriser le volume des aciers et des gravats issus du démantèlement. Par conséquent, ce centre devrait être saturé d'ici à 2025.

Ces trois centres de stockage sont bien acceptés par la population, comme en témoigne, outre notre expérience quotidienne sur le terrain, une étude d'opinion réalisée en 2011, selon laquelle 80 % des proches riverains des centres de stockage de l'Aube pensent que ceux-ci sont très bien ou assez bien gérés et font plutôt confiance à l'ANDRA. Le fait que nous soyons un établissement public indépendant des producteurs de déchets y est pour beaucoup : cela fait partie des éléments qui aident à bâtir la confiance.

J'en viens maintenant aux centres de stockage en projet.

Il y a d'abord un site de stockage en projet pour les déchets de faible activité à vie longue, qui sont constitués essentiellement de déchets issus de l'industrie des terres rares. Ainsi, des industriels comme Rhodia importaient des minerais naturellement radioactifs dont ils extrayaient les terres rares pour leurs besoins industriels. Les déchets produits sont faiblement radioactifs mais ne peuvent pas être insérés dans le circuit normal des décharges. Nous devons donc nous en occuper, ainsi que des déchets de graphite issus des coeurs des réacteurs de première génération, aujourd'hui en attente de démantèlement. Ces déchets « historiques », qui ne sont plus produits, constituent un stock d'environ 150 000 mètres cubes. Comme ils sont à vie longue, il n'est pas possible de les stocker en surface dans les centres de l'Aube.

Cela étant, les déchets stockés dans l'Aube devront tout de même être surveillés pendant 300 ans : c'est le temps nécessaire pour que la radioactivité décroisse suffisamment pour ne plus représenter un danger sur le plan sanitaire. Voilà ce que l'on entend par « déchets à vie courte ».

Pour les déchets à vie longue, il peut parfois s'agir de centaines de milliers d'années. De tels déchets ne peuvent pas être stockés en surface. Ceux que j'ai évoqués à l'instant étant de faible activité, compte tenu de la nécessité impérative d'économiser la ressource rare du stockage géologique et de la réserver aux déchets les plus dangereux, l'idée est de travailler sur le recours à un stockage intermédiaire à faible profondeur.

Pour l'heure, l'ANDRA doit remettre un rapport au Gouvernement d'ici à la fin de l'année 2012 visant à lui présenter des propositions en termes de projet industriel, afin de relancer la recherche d'un site d'implantation d'un centre de stockage de ces déchets de faible activité à vie longue. En effet, après avoir bien démarré, une tentative en ce sens lancée en 2008 a finalement débouché sur le retrait de deux communes qui s'étaient d'abord portées candidates, ce qui a conduit le Gouvernement à suspendre la procédure pour remettre les choses à plat.

Le dossier peut-être le plus emblématique pour l'ANDRA, celui dont on parle le plus, c'est le projet Cigéo -centre industriel de stockage géologique - de centre de stockage en couche géologique profonde. Ce projet est passé en phase d'industrialisation. Un tel centre a vocation à stocker en toute sûreté et pour une longue période les déchets dits de haute activité et de moyenne activité à vie longue du parc nucléaire français. En fait, il s'agit essentiellement des déchets issus du retraitement par AREVA, sur son site de La Hague, des combustibles usés des centrales nucléaires. Ces déchets doivent d'abord être refroidis pendant quelques dizaines d'années avant d'être stockés en lieu sûr et confinés dans cette fameuse couche d'argile que nous étudions dans notre laboratoire souterrain situé dans l'est de la France.

Pour dimensionner le stockage, nous nous sommes fondés sur une hypothèse conventionnelle de durée de vie des centrales nucléaires de cinquante ans, sans préjuger des décisions à venir de l'Autorité de sûreté nucléaire. Avec une telle hypothèse, l'ensemble du parc nucléaire actuel engendrera, d'ici à sa fin de vie, 10 000 mètres cubes de déchets de haute activité, dont 30 % ont déjà été produits et sont en attente de stockage, et 70 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue, dont 60 % ont déjà été produits, car il s'agit, pour une bonne partie, de déchets « historiques » issus du site de Marcoule du Commissariat à l'énergie atomique. Ces derniers comprennent notamment des déchets bitumés qui doivent être reconditionnés ; ils ne sont pas les plus faciles à stocker en profondeur. À la limite, les déchets vitrifiés produits par AREVA, sous assurance qualité, selon une technique bien maîtrisée et dans des matrices robustes, poseront moins de problèmes scientifiques, une fois entreposés à 500 mètres de profondeur dans l'argile, que ces vieux déchets bitumés.

C'est donc pour ces déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue que nous étudions le stockage à 500 mètres de profondeur dans l'argile. Le site prévu est situé dans la Meuse, à la limite de la Haute-Marne. Au terme de travaux scientifiques et d'un dialogue avec les élus locaux, nous avons pu faire valider par le Gouvernement une zone d'une trentaine de kilomètres carrés.

Même s'il ne s'agit encore que d'un projet, l'ANDRA emploie déjà sur place, dans son laboratoire souterrain, plus de trois cents personnes, ce qui en fait l'un des plus gros employeurs locaux. Selon l'enquête d'opinion que nous avons réalisée en 2011, 40 % des proches riverains du laboratoire souterrain affirment que ce projet ne les inquiète pas ; en revanche, 22 % d'entre eux expriment de fortes craintes. Il est important de noter qu'un tiers des riverains interrogés prévoient de participer aux réunions organisées dans le cadre du débat public sur ce projet, prévu pour 2013.

Parmi les enjeux liés à ce stockage, celui de la réversibilité est important. La loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, qui fixe les missions et les priorités de l'ANDRA, dispose en effet qu'un tel stockage doit être réversible, tout en précisant que les conditions de réversibilité devront être définies par une future loi, qui pourrait intervenir vers 2016, sur la base de propositions de l'ANDRA.

L'ANDRA prévoit d'apporter à ce problème une réponse à la fois technique, quant à la possibilité de retirer les déchets, mais aussi politique, s'agissant du processus de décision : qui décidera de la fermeture progressive du centre de stockage, de celle du premier alvéole, de celle de la première galerie, puis de la fermeture définitive ? Quand et sous quelles conditions ? S'agira-t-il d'un décret, d'une loi, d'une décision de l'Autorité de sûreté nucléaire ? À quelles consultations faudra-t-il procéder ? L'ANDRA a pour objectif de soumettre des propositions au débat public qui aura lieu l'an prochain.

En ce qui concerne la deuxième question, je peux d'emblée vous dire que les comparaisons internationales sont très difficiles à établir.

En tout état de cause, il existe un invariant à l'échelon international en matière de stockage géologique de déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue : on assure la sûreté à long terme en jouant sur les trois barrières que sont le colis de déchets, la formation géologique utilisée pour le stockage - argile, sel, granit - et les barrières ouvragées mises en place au sein de celle-ci pour stocker les déchets.

La France a opté pour le retraitement du combustible usé et le stockage dans l'argile. Notre pays est considéré comme un leader sur le plan international sur toutes les questions de stockage géologique, de même que la Finlande et la Suède, qui elles ont fait le choix du granit et ne retraitent pas le combustible usé, préférant le stocker directement. Cela dit, leur parc de réacteurs, et par conséquent leur inventaire de déchets, est beaucoup moins important que le nôtre : cet élément a pu peser dans leur choix.

Il est difficile d'établir des comparaisons en termes d'évaluation des coûts, ne serait-ce que parce que les projets n'en sont pas du tout au même stade. Stocker dans l'argile, dans le sel ou dans le granit, ce n'est pas la même chose, non plus que stocker des combustibles usés ou des déchets vitrifiés. En outre, pour évaluer les coûts, les différents pays ne prennent pas en compte les mêmes éléments : faut-il inclure les transports, la surveillance à long terme, les infrastructures, etc. ?

Des travaux sur l'évaluation des coûts viennent d'être engagés au sein de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'OCDE, ainsi que par l'association des organismes de gestion des déchets radioactifs, l'EDRAM. Dans tous les cas, l'objectif est plutôt de travailler sur la méthodologie d'évaluation des coûts, sur une comparaison des coûts unitaires ; il ne s'agit en aucun cas d'espérer parvenir à un résultat permettant d'affirmer que tel projet est trois fois moins cher ou trois fois plus cher que tel autre.

Du point de vue de l'ANDRA, le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, pour ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs, reflète très bien la réalité ; surtout, il pose les vrais enjeux en la matière.

S'agissant du projet Cigéo, la Cour des comptes a bien retracé les termes du débat et des différends qui ont pu apparaître entre l'ANDRA et les producteurs de déchets sur l'évaluation des coûts et les choix de concepts. Elle explique aussi très bien pourquoi il existe une telle incertitude sur le chiffrage officiel - entre 13,5 milliards d'euros et 16,5 milliards d'euros de 2002 - qu'avait publié le ministère chargé de l'énergie en 2005, en se fondant sur un concept de stockage très en amont de la recherche et développement datant de 2002. Actuellement, c'est la seule référence disponible pour évaluer les provisions qui doivent être passées par les grandes entreprises.

Il avait été décidé de mettre ce chiffrage régulièrement à jour en fonction de l'avancée des recherches et des études. Ce processus, fixé très précisément par la loi du 28 juin 2006, a été engagé en 2009 : le ministre chargé de l'énergie arrête l'évaluation des coûts sur la base d'une évaluation proposée par l'ANDRA et après avoir recueilli les observations des producteurs de déchets, ainsi que l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire. Tout commence donc avec un premier chiffrage avancé par l'ANDRA.

L'objectif du ministère est de disposer d'une nouvelle évaluation du coût du stockage avant l'ouverture du débat public sur Cigéo. Au terme d'un appel d'offres européen, nous avons retenu le groupement français Technip/Ingérop comme maître d'oeuvre. Il nous aidera à préciser la partie industrielle de ce projet en nous faisant bénéficier du retour d'expérience de tous les grands projets menés au niveau mondial. Sur cette base, et sur le fondement de nos propres études, nous pourrons établir un nouveau chiffrage avant la fin de l'année, qui devra être évalué par les producteurs et par l'Autorité de sûreté nucléaire.

C'est donc dans le cadre de ce processus que l'ANDRA avait avancé, en 2010, le chiffre, non actualisé, de 35 milliards d'euros, qui recouvre non seulement l'investissement initial avant la mise en service du centre de stockage, mais encore la construction et le remplissage de celui-ci sur plus de cent ans. On nous demande même de chiffrer les impôts et taxes liées à ce stockage : taxes foncières, taxe sur les installations nucléaires de base, taxe d'accompagnement économique. Ces taxes, sur lesquelles pèsent aujourd'hui de fortes incertitudes, représentent tout de même 20 % de l'évaluation des coûts.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion