Nous ressassons que les expatriations sont, en général, très rarement liées à des raisons fiscales.
Vous avez évoqué le contexte de mobilité. Les expatriés que nous avons rencontrés, y compris les expatriés fiscaux véritablement sortis de France « pour payer moins d'impôts », ont en effet toujours une motivation personnelle et professionnelle pour partir. Il est donc vrai qu'il ne faut pas jeter l'anathème sur les expatriés. En tout cas, la mobilité lorsqu'elle est choisie et non subie, est même plutôt, selon notre organisation syndicale, une richesse en tant que telle.
S'il faut veiller à éviter les amalgames, nous ciblons, quant à nous, surtout les expatriés « fiscaux », ou supposés tels. Comme nous le disons dans notre rapport et nos diverses publications, nous ne faisons pas partie de ceux qui pensent que tous les redevables français de l'ISF qui quittent notre pays sont nécessairement des évadés ou des expatriés fiscaux. Il s'agit simplement, pour nous, d'un tissu fiscal particulier. Et comme les données qui y ont trait sont les seules données dont nous disposons, nous considérons qu'il est intéressant de s'y plonger.
Le présent débat porte sur les incidences fiscales et les expatriations. Dès lors que nous ressentons un grand manque d'évaluation qualitative, et pas simplement dans le débat public, nous essayons d'apporter notre petite pierre à l'édifice de cette question des expatriés fiscaux.
Si nous déplorons le manque d'outils, c'est parce que nous axons essentiellement notre réflexion sur le contrôle fiscal.
Nous ne nous situons pas dans la logique du « tout-sécuritaire fiscal ». Nous voulons simplement nous doter d'un outil permettant de détecter les expatriations fiscales, y compris légales, afin de pouvoir les analyser : c'est le premier objectif de l'outil.
Son deuxième objectif est l'identification des formes de fraude susceptibles de se développer, en vue d'en informer les pouvoirs publics.
Nous ne faisons pas de corporatisme. Il ne s'agit pas de dire : « Tout à Bercy, et si possible à la DGFiP ! » Simplement, le point de départ est là parce que, statistiquement, c'est là que ça se passe.
Nous ajoutons qu'il faut assurer la publicité de ces données, dans un objectif de transparence. Tout ne peut donc pas rester à Bercy, sauf à faire perdurer le système actuel, dont nous ne sommes pas satisfaits.
Il faut donc que les données sortent de Bercy, puis soient pilotées et contrôlées. Sans avoir l'organigramme en tête, nous nous sommes dits, spontanément, que la représentation nationale ainsi que le corps de contrôle public de l'État ne pouvaient pas ne pas être associés à ce dispositif. Il est bien évident que « Bercy » au sens large dispose des outils, notamment des outils statistiques.
Nous ne sommes probablement pas sur la même ligne que Bercy sur cette question ; ce ne sera ni la première ni la dernière fois !
Mettre sur la table un certain nombre d'éléments dont dispose Bercy serait d'ores et déjà, pour nous, une avancée.
La question des « délocalisations fiscales » - on avait, dans un premier temps, employé ce terme-là - a beaucoup porté, il y a quelques années, sur les prix de transfert, car des affaires célèbres s'étaient produites avec la Suisse.
Doter les pouvoirs publics d'un outil n'a pas pour objectif de contrôler tout le monde ou de faire peur, mais d'évaluer le phénomène pour en proposer une nouvelle lecture qualitative. S'il y a une avancée à faire, c'est bien là.
Dans le débat démocratique, il y a, sur la question de l'ISF, les « pro », les « anti », et ceux qui disent, comme nous, qu'il faudrait mettre en place une autre forme d'imposition du patrimoine. Si nous avions un outil supplémentaire pour faire les études d'impact, nous pourrions l'intégrer dans le débat public, sans pour autant qu'il nous contraigne. Ce serait une avancée assez importante.
Pour ce qui concerne le principe de nationalité, nous avons dit dernièrement, en commentant les récentes propositions, que deux principes philosophiques totalement différents étaient en cause, même si le jeu des conventions fiscales en atténue les différences.
Le propre des conventions fiscales est d'éviter les doubles impositions, avant même de lutter contre la fraude. En réalité, par le biais de ces conventions, la double imposition est limitée, et non annulée. Par exemple, dans le système américain, on a le choix de déduire, soit de ses revenus ceux qui sont perçus à l'étranger - même si la déduction est plafonnée -, soit de son impôt américain, sous forme de crédit d'impôt, les impôts payés à l'étranger sur des revenus de source étrangère. Ces ressemblances sont intéressantes à analyser.
Des différences subsistent cependant. Passer d'un système à l'autre représenterait un véritable changement culturel et poserait un problème juridique compliqué, car cela impliquerait, par souci de cohérence, de revisiter l'ensemble des conventions fiscales ; sinon, ces règles seront nécessairement contournées. Par ailleurs, nous risquerions de nous heurter à la jurisprudence européenne.
Il nous semble également, sans avoir expertisé le dispositif, que cela irait à l'encontre de la réalité économique, dans la mesure où la fiscalité est fondée sur le principe suivant : l'imposition a lieu dans le pays où sont perçus les revenus. Nous sommes donc extrêmement réservés sur cette question. Elle présente cependant l'intérêt, selon nous, de mettre au coeur du débat non seulement la question de la mobilité, mais aussi celle des départs pour raisons fiscales.
Si nous ne nous dotons pas d'outil permettant d'éclairer le débat public, mais aussi de mieux contrôler et d'éviter que ceux qui s'expatrient, comme les 193 vrais-faux expatriés fiscaux, ne le fassent réellement, nous ne pourrons pas aller au bout du compte. Nous apportons cet éclairage technique, tout en sachant pertinemment qu'une telle réforme représenterait un changement philosophique très important. Or les changements brutaux s'accommodent mal des évolutions historiques, qui s'inscrivent dans la durée.