Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir invités à cette audition. Je rappelle, car certains d'entre vous ne le savent peut-être pas, qu'ATTAC est une association créée en 1998, dont le but était, à l'époque, de promouvoir l'idée d'une taxation des transactions financières, c'est-à-dire en fait la taxe Tobin. Nous partions du constat que la libéralisation des marchés financiers avait abouti à une succession de crises de plus en plus graves, comme la crise asiatique de 1997 et la crise russe, qui menaçaient l'équilibre social au niveau mondial. L'idée était de réintroduire des mécanismes de stabilisation et de contrôle des marchés financiers et de s'opposer à la libéralisation entamée au début des années quatre-vingt, laquelle a conduit à la très grande instabilité financière perceptible dans les années quatre-vingt-dix.
Depuis lors, chacun a pu le constater, cette instabilité n'a fait que s'aggraver, jusqu'à aboutir à la situation catastrophique actuelle de l'économie européenne, sur laquelle il n'est pas utile de s'étendre.
Depuis sa création, ATTAC a étendu son champ d'intervention bien au-delà de la taxation des transactions financières. Cette question a d'ailleurs eu le sort que vous connaissez : elle est devenue une idée quasiment consensuelle dans la société française et européenne, à l'exception du Royaume-Uni, qui continue à faire de la résistance. Nous avons poussé plus loin notre analyse ainsi que notre critique du libéralisme financier et de la libéralisation des marchés, nous intéressant en particulier aux questions de fiscalité, de gouvernance d'entreprise et de croissance économique. Aujourd'hui, nous commençons même à nous interroger sur la démocratie.
A l'origine, ATTAC avait été fondée pour essayer d'aider les citoyens à récupérer un pouvoir sur leur vie, pouvoir que les marchés financiers avaient largement confisqué. Aujourd'hui, cette question est, bien évidemment, plus d'actualité que jamais.
Nous ne pouvons que vous féliciter d'avoir créé cette commission d'enquête sur un sujet aussi important que l'évasion des capitaux. C'est une très bonne nouvelle que le Sénat s'intéresse à cette question, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, les déficits publics - un problème majeur pour les pays européens - résultent en grande partie d'une politique organisée au cours des décennies qui viennent de s'écouler, politique de création de niches fiscales, d'exonérations fiscales et de réductions d'impôt pesant sur les entreprises et les contribuables aisés, mais aussi, il faut bien le reconnaître, d'un manque de volonté politique pour combattre les mécanismes d'évasion fiscale, lesquels ne sont pas tous forcément organisés. En tout cas, les niches fiscales, c'est de l'évasion fiscale organisée, mais organisée par les pouvoirs publics. Avant de demander des efforts aux contribuables, il faut pouvoir dire que l'on a sérieusement combattu l'évasion fiscale.
Ensuite, il est manifeste qu'il faut envisager aujourd'hui une réforme fiscale. On pourrait même parler de « contre-contre-réforme » fiscale, puisqu'il y a une contre-réforme fiscale depuis vingt ans. Maintenant, il importe de redonner un caractère progressiste à notre système fiscal et d'instaurer, comme un certain nombre de forces politiques françaises et nous-mêmes le proposons, un revenu maximum.
Ce revenu maximum doit témoigner du fait que la société française et plus largement la société européenne n'acceptent plus l'enrichissement illimité d'une minorité de personnes au détriment de l'ensemble de la société.
Instaurer des politiques de redistribution fiscale, y compris des politiques relativement audacieuses, comme celle qui vise à instaurer un revenu maximum, pose bien évidemment la question, majeure, de l'évasion fiscale. Il ne sert à rien d'instaurer une réforme fiscale progressiste si elle provoque immédiatement une fuite massive des capitaux et un affaissement de la base fiscale. Je le répète, il n'est pas utile d'en discuter si l'on ne débat pas, en même temps, de mécanismes de lutte sérieuse contre l'évasion des capitaux.
Nous avons donc deux motifs de nous réjouir de cette discussion aujourd'hui.
Notre constat, c'est que, avec le traité de Maastricht, la zone euro a été construite non seulement sur la libre circulation des capitaux à l'intérieur de la zone euro, ce qui pouvait, dans une certaine mesure, se concevoir et se justifier, mais surtout sur la liberté de circulation intégrale entre la zone euro et l'extérieur. Cela s'est traduit par une intégration de la zone euro dans les marchés financiers internationaux, une liberté totale de circulation et la suppression complète de tout mécanisme de contrôle des changes.
La suppression du contrôle des changes n'était pas nécessaire pour créer l'euro, mais elle a été conçue pour imposer aux pays de la zone euro la discipline des marchés financiers internationaux et faire participer l'euro à l'intégration du marché international des changes, qui est aujourd'hui l'un des plus grands marchés de spéculation financière du monde, voire le plus important de ces marchés.
Ces choix politiques de libéralisation des mouvements de capitaux à l'intérieur de la zone euro et surtout avec l'extérieur de la zone euro sont, selon nous, à la racine des phénomènes d'évasion fiscale. Il faudra reconsidérer profondément la manière dont l'euro a été conçu si l'on veut véritablement venir à bout de l'évasion fiscale en Europe.
La crise de la zone euro atteint aujourd'hui un tel degré de gravité qu'il n'est plus utopique de songer, si l'on veut que l'euro survive, à refonder, dans les années qui viennent, les traités qui l'ont établi, en particulier sur la question de la liberté de circulation et de la suppression du contrôle des changes avec l'extérieur.