À ATTAC, nous n'avons pas débattu collectivement de la question de la coopération et de l'harmonisation fiscales. Selon moi, il peut y avoir coopération entre administrations fiscales sans qu'il y ait, pour autant, de rapprochements forts en termes de législation fiscale.
L'administration fiscale française coopère avec l'administration fiscale allemande ou polonaise, même si le système fiscal français est différent de ceux de ces pays. La collaboration entre les polices et les systèmes judiciaires peut se faire sans que chacun ait, pour autant, la même législation. Par exemple, nous coopérons avec les États-Unis, bien que, contrairement à nous, ils appliquent encore la peine de mort.
On peut donc faire de la coopération fiscale sans avoir forcément une harmonisation fiscale. Cette dernière est, bien entendu, un plus. Au sein de l'Union européenne, notamment, il faut, à terme, un rapprochement des fiscalités. C'est d'ailleurs déjà le cas aujourd'hui, mais elle est organisée par les marchés puisque chaque territoire veut être attractif pour les capitaux. Ainsi, depuis vingt ou trente ans, on assiste, de fait, à une certaine harmonisation, avec, partout, baisse des taux de l'impôt sur les sociétés et augmentation des taux de TVA pour augmenter l'attractivité des territoires, mais cela se fait sous la pression des marchés financiers. Le pilote de l'avion, c'est moins le politique et la démocratie que les capitaux.
En 1963, le Président de la République déclarait que la politique de la France ne se faisait pas « à la corbeille ». Aujourd'hui, on le voit bien, les choses sont très différentes, nombre de réformes ayant été mises en oeuvre dans le but de sauvegarder notre triple A, que nous avons néanmoins fini par perdre. Comme le disait Thomas Coutrot, il s'agit d'un revirement important, qui explique notre détermination à lutter contre la finance pour rétablir la démocratie politique.
La coopération fiscale et l'harmonisation fiscale ne sont donc pas forcément liées. L'harmonisation fiscale est une étape que doit atteindre l'Union européenne. Il y a quelques années, lorsqu'il fallait choisir entre approfondissement et élargissement, c'est ce dernier qui a été retenu : ont été intégrés dans l'Union européenne des pays dont les économies étaient fort différentes de celles des six pays d'origine, le Benelux, l'Italie, l'Allemagne et la France. Cela a, bien entendu, attisé la concurrence fiscale, sociale et environnementale au sein même de l'Union européenne.
Nous ne parviendrons pas à l'harmonisation fiscale du jour au lendemain. A l'image du serpent monétaire, il faudrait un serpent fiscal européen, pour que, à terme, diminue l'écart entre les différentes impositions et qu'on arrive à des fiscalités voisines, notamment pour les impôts les plus importants, comme celui sur les sociétés. Ce rapprochement est moins important s'agissant des impôts sur la consommation, dont l'assiette n'est pas délocalisable.
J'en viens à votre question sur les paradis fiscaux. Nous ne sommes pas vraiment en mesure, et je ne sais d'ailleurs pas si quelqu'un l'est, de vous dire quels sont les paradis fiscaux qui se développent le plus. ATTAC fait partie d'un réseau que vous connaissez certainement, la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires (avec le CCFD, le Secours catholique, Transparence International, etc), et participe également, au niveau international, à Tax Justice Network. Certains de nos camarades de ces réseaux sont plus pointus que nous sur ces questions, et ATTAC reprend souvent leurs études sur le classement, la dangerosité et les méfaits des paradis fiscaux.
Lorsque sont parues les listes des paradis fiscaux en avril 2009, Jersey et certains autres paradis fiscaux qui sont en liaison première avec la City n'y figuraient pas. De même, le Delaware n'y était pas, ainsi que des paradis fiscaux à la disposition du capitalisme chinois. Des esprits malveillants, mais également des banquiers et des journalistes économiques suisses - à l'époque, on « tapait » beaucoup sur leur pays ! -, n'ont pas manqué de dire que cette liste de paradis fiscaux était quelque peu « géopolitique », sous l'influence de la City, de Wall Street et de la Chine.
En fait, il s'agissait de répartir autrement la finance offshore, pour que les paradis fiscaux de l'Europe continentale prennent moins de parts de marché de la finance offshore. Voilà ce qu'ont pu dire et disent encore des banquiers et des journaux suisses.
Sur la réalité de l'activité des paradis fiscaux, nous faisons confiance aux études relativement ciblées de Tax Justice Network.
Je terminerai en évoquant le lien entre l'évasion fiscale et la crise financière. Des capitaux importants sont placés dans des paradis fiscaux et, aujourd'hui, tout réseau bancaire qui veut une place à l'international est « obligé » d'avoir des filiales installées dans les territoires offshore. Sinon, dans la concurrence internationale pour attirer des capitaux, il sera battu.
De nombreux capitaux transitent par les paradis fiscaux n'imposant que peu ou pas de contraintes fiscales, environnementales, sociales. Ces capitaux, qui sont, encore plus que d'autres, disposés à spéculer, participent fortement à l'instabilité financière : voilà le lien que nous faisons entre évasion fiscale et crise financière.
L'une des causes de la crise financière de 2007-2008 était la facilité de circulation, au niveau mondial, des capitaux, qui passaient très rapidement d'un pays à l'autre sans se stabiliser. L'évasion fiscale, c'est-à-dire le fait qu'une partie importante de la finance internationale soit délocalisée dans des territoires offshore, participe de cette instabilité.