Intervention de Franck Lacroix

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 3 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Franck Lacroix président de dalkia

Franck Lacroix, président de Dalkia :

J'en viens à la deuxième question que m'a posée M. le rapporteur.

Selon moi, la meilleure incitation aux économies d'énergie est le signal-prix.

Encore faut-il que celui-ci soit suffisant. À titre d'exemple, en raison de l'absence de taxe sur les carburants aux États-Unis, le modèle américain consistant à acquérir des voitures fortement consommatrices a perduré. A contrario, en Europe, l'existence de taxes intérieures sur la consommation a incité au développement de modèles plus économes.

Encore faut-il également que ce signal-prix traduise les orientations de la politique énergétique du pays ou du continent, en l'occurrence la volonté de décarbonation. L'outil fiscal est là encore nécessaire pour répercuter une valeur économique du carbone.

Encore faut-il enfin que ce signal-prix soit uniforme, sans effet de bord. À partir de l'année prochaine, je vous signale qu'un réseau de chaleur collectif verra ses émissions de CO2 devenir progressivement payantes, alors que la chaudière à gaz située, en quelque sorte, au pied de l'immeuble ne sera pas taxée... Une telle distorsion est difficile à expliquer. De surcroît, quand bien même ce réseau de chaleur se convertirait à la biomasse et deviendrait plus vertueux qu'une chaudière à gaz, ses émissions résiduelles, par exemple celles qui correspondent aux consommations de pointe qui restent assurées par le gaz, continueraient à être taxées.

Les certificats d'économie d'énergie sont-ils un bon système ? À défaut de taxes sur l'énergie et le carbone suffisantes, ce dispositif peut avoir une utilité. Son principe est compréhensible, à savoir imposer aux vendeurs d'énergie de générer des économies d'énergie en proportion de leurs ventes.

Cela étant, en fonction des modalités précises de sa mise en oeuvre, ce procédé peut être d'application difficile.

Sur cette question, je souhaite vous délivrer deux messages principaux, mesdames, messieurs les sénateurs.

Premièrement, la charge administrative relative à la constitution des dossiers s'est fortement alourdie depuis le début de la seconde période de ces certificats. Ce fait est notamment dû aux inquiétudes suscitées par une éventuelle double revendication de la même opération. Ainsi, un vendeur d'énergie et son client bailleur social pourraient tous deux revendiquer l'installation d'une chaudière performante dans un HLM. L'éligibilité des bailleurs sociaux, comme des collectivités locales, a été voulue par le législateur afin de garantir aux clients la possibilité d'avoir un retour des certificats d'économie d'énergie sur leur patrimoine. Or la réglementation exige d'ores et déjà que le client signe le dossier de demande de certificat d'économie d'énergie, ce qui devrait suffire à garantir un débat entre l'opérateur et son client. Je considère que l'on pourrait grandement simplifier ce dispositif et en réduire le coût.

Deuxièmement, le système européen fait l'objet de discussions dans le cadre du projet de directive relative à l'efficacité énergétique. Aux termes du texte actuellement étudié, la France ne pourra plus continuer à prendre en compte des opérations de passage aux énergies renouvelables. Les opérations de petite taille de ce type qui ne bénéficient pas du fonds chaleur ne seront plus réalisées sans les certificats d'économie d'énergie. Elles sont pourtant nécessaires là où des extensions de réseaux de chaleur ne sont pas prévues pour décarboner la production de chaleur. Il convient que la France se batte lors des négociations européennes pour pouvoir conserver son système.

Cela étant, je demeure persuadé qu'une taxe carbone-énergie européenne serait plus efficace que les certificats d'économie d'énergie. Son coût administratif serait bien moindre. Une ressource fiscale supplémentaire serait ainsi créée ; elle pourrait être affectée au financement du fonds chaleur de l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, par exemple.

J'en viens à la question de l'exemplarité des bâtiments publics. Lorsque nous avons conclu l'un des premiers contrats de performance énergétique avec l'agglomération de Montluçon, nous nous sommes engagés à dégager non pas une économie d'énergie théorique, mais une économie garantie de 17 % mesurée chaque année. Nous avions lancé un important programme de communication auprès des usagers des bâtiments publics qui a créé un effet d'entraînement dans toute la ville. Ainsi, des copropriétés ont entrepris des démarches similaires. Pour reproduire ce phénomène, un engagement beaucoup plus massif et systématique sur les contrats de performance énergétique des bâtiments publics serait très efficace.

Monsieur le rapporteur, j'en viens à votre troisième question.

Nous ne démarchons pas les marchés de la maison individuelle et du chauffage individuel, tout simplement parce que nous n'avons pas développé de réseau commercial à cette fin.

En revanche, nous intervenons dans le domaine de l'habitat à travers des réseaux de chaleur et des installations énergétiques collectives et dans les habitations à loyer modéré et les copropriétés. En France, nous assurons la gestion énergétique d'un peu plus de 2,2 millions de logements ; 800 000 sont desservis par des réseaux de chaleur.

Pour ce qui concerne les copropriétés, la lourdeur traditionnelle de la prise de décision lors des assemblées de copropriétaires est un frein très important, d'autant plus que le temps de retour des investissements réalisés dans le domaine des économies d'énergie est long. De ce fait, les divergences d'intérêts entre les copropriétaires à court et long terme apparaissent encore plus.

En outre, en l'espèce, le dispositif de crédit d'impôt sur le revenu n'est pas un levier efficace, alors que tel est le cas pour les propriétaires d'une maison individuelle. Dès lors, un accompagnement particulier des copropriétés se justifie pour déclencher des opérations. De ce point de vue, l'initiative de la région d'Île-de-France, qui a décidé d'accompagner des audits énergétiques et des travaux destinés à réaliser des économies d'énergie dans des copropriétés, mérite d'être soulignée et reproduite. Il est également nécessaire de poursuivre les efforts de formation auprès des acteurs qui effectuent des travaux d'amélioration, d'isolation du bâti pour veiller à la fiabilité des travaux entrepris.

Un autre frein important au marché des particuliers résulte de la difficulté à laquelle est confronté un propriétaire bailleur pour amortir ses investissements réalisés dans le domaine des économies d'énergie. Vous le savez, le dispositif de partage des charges introduit par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion constitue une étape importante. Il permet aux propriétaires bailleurs qui ont effectué des travaux de demander au locataire une participation exceptionnelle au coût des travaux. Ainsi est instauré un juste partage des économies d'énergie entre le propriétaire et le locataire. Une évaluation du bon fonctionnement de ce dispositif, notamment de sa connaissance par les propriétaires et leurs conseils - je pense aux notaires, aux professionnels de l'immobilier -, serait sans doute utile.

J'en arrive à votre quatrième et dernière question, monsieur le rapporteur.

Nous ne pouvons qu'adhérer au principe du renforcement des exigences de la réglementation thermique afin de s'orienter progressivement vers des bâtiments très économes.

Je voudrais tout d'abord démentir l'idée fausse, souvent relayée, selon laquelle les exploitants des réseaux de chaleur seraient opposés à la baisse de la consommation. Je vous ai déjà fourni des indications sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.

À l'échelle de la ville, il existe une réelle opportunité. À titre d'exemple, un quartier neuf n'est pas incompatible avec un réseau de chaleur. Nombre de personnes pensent que, dans un tel cas de figure, la consommation de chaleur sera moindre et qu'il n'est par conséquent pas nécessaire de réaliser d'importants investissements ; autant raccorder tout le monde au chauffage électrique. Mais nous démontrons quotidiennement le contraire. Ainsi, tout récemment, dans un quartier neuf, durable, à haute efficacité énergétique de 1 600 logements situé à Issy-les-Moulineaux, nous avons mis en place un réseau qui permettra d'alimenter en chauffage et en eau chaude sanitaire l'ensemble des bâtiments.

Pour ce qui concerne les réseaux existants, la plupart des collectivités ont aujourd'hui une double ambition : les verdir et les développer. Or moins les logements consomment, plus l'on pourra raccorder au réseau de nouveaux bâtiments avec la même production verte, donc les mêmes investissements.

Par ailleurs, les équipements de production verts ont la caractéristique d'être beaucoup plus capitalistiques que des moyens classiques. Une chaudière biomasse coûte, par exemple, à peu près cinq fois plus cher qu'une chaudière à gaz. Et plus de telles installations bénéficient à un nombre élevé de logements, plus on peut les amortir.

Les modalités de la réglementation thermique découragent le recours au chauffage électrique. Cette volonté claire est assumée par les pouvoirs publics.

Pour ma part, j'estime que certains points de la réglementation pourraient être améliorés. Le ministère souhaite remettre en cause le mode de calcul du contenu en carbone des réseaux de chaleur, qui résulte pourtant d'une autre direction du même ministère, et intégrer, par exemple, les émissions liées à la production du combustible biomasse. Ce raisonnement n'est valable que s'il est appliqué à toutes les sources d'énergie, notamment au gaz. Devraient être prises en compte les émissions de carbone liées au transport du gaz sur longue distance, les émissions relatives à la regazéification dans les terminaux méthaniers, aux phases de stockage souterrain, aux phases de compression. En fait, nous demandons un traitement équitable des énergies, qui favorise les énergies renouvelables et non l'inverse.

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