Tout à fait.
Il faut différencier les emplois directs, c'est-à-dire directement liés au nucléaire, les emplois indirects, qui concernent ceux qui travaillent indirectement pour le nucléaire et les emplois induits, qui concernent ceux qui profitent d'un prix de l'électricité relativement bas.
Il est certain qu'une augmentation du prix de l'électricité aurait des conséquences pour certains secteurs industriels. On peut notamment penser à l'aluminium et à certaines industries électro-intensives.
Le faible prix des hydrocarbures aux États-Unis entraîne un repositionnement de certaines industries grosses consommatrices de pétrole et de gaz dans ce pays. Le maintien à un prix assez bas de l'électricité en France nous permettra de maintenir des industries électro-intensives, voire d'en accueillir de nouvelles.
S'agissant de l'environnement, je souligne que la France émet très peu de CO2 par habitant grâce au nucléaire. Si l'on arrêtait le nucléaire, ou si l'on en diminuait la part, pour le remplacer par des renouvelables, cela n'aurait pas d'impact direct sur le CO2. En revanche, si l'on passait à l'électricité d'origine fossile, même partiellement, même s'il s'agit du gaz, cela entraînerait une augmentation des émissions de CO2.
J'en viens à la question de savoir si le coût de l'EPR peut baisser. Je reviendrai tout à l'heure sur les conclusions du rapport de la Cour des comptes, parce qu'il faut faire le lien entre le coût donné par la Cour des comptes et le prix de l'ARENH.
La Cour des comptes évalue à 49,50 euros le coût moyen d'un mégawattheure ; avec l'EPR, on est plus proche de 75 euros, mais c'est un prototype. Nous avons fait l'hypothèse que, si l'on passait à l'EPR, le prix ne serait pas nécessairement de 75 euros, qu'il serait un peu plus bas, tout en étant supérieur à 50 euros. Suivant les scénarios, on est plutôt aux alentours de 60 euros. Un effet d'échelle peut jouer faisant ainsi baisser le coût. C'est un pari qu'on peut faire, car l'expérience montre que, en général, si l'on fait plusieurs EPR, on peut gagner en termes de coût ; mais on n'en a pas la preuve. Évidemment, un coût de 75 euros renforce la conclusion que je vous ai tout à l'heure exposée : il ne faut surtout pas faire deux EPR par an. À 60 euros, il faut en faire un peu.
Dans le domaine électrique, sommes-nous en sous-capacité ou en surcapacité ? Ne perdons pas de vue que, l'électricité ne se stockant pas, il faut en permanence que la demande soit satisfaite par une offre suffisante. Par conséquent, il vaut mieux être en surcapacité qu'en sous-capacité.
On observe aujourd'hui que l'on est parfois, en Europe - pas seulement en France -, en surcapacité à certaines heures et en sous-capacité aux heures de pointe. En Europe, le gros problème qui va se poser, c'est la pointe. Il se pose déjà en France. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs la loi NOME prévoit qu'il faut mettre en place un marché de capacité. Ce problème se posera avec plus d'acuité encore à l'avenir parce que, pour l'instant, les équipements de pointe ne sont pas très rentables.
Pendant un certain nombre d'années, nous avons été en surcapacité nucléaire, ce qui nous a permis d'exporter de l'électricité en base.
Pour notre part, nous nous fondons sur l'hypothèse selon laquelle la demande d'électricité en France restera stable ou connaîtra une légère croissance ; nous n'imaginons pas une chute de la demande. Certains militaient pour une hypothèse de forte augmentation, arguant que des usages électriques vont apparaître. Si l'on retient l'hypothèse d'une demande stable ou en légère augmentation, nous ne serons pas en surcapacité en France.
En revanche, en Europe, on le voit bien, puisque nous sommes interconnectés, il peut y avoir à certaines heures une surcapacité, notamment en éolien. C'est l'un des problèmes auxquels sont confrontés les Allemands à l'heure actuelle. Lorsqu'il y a beaucoup de vent en mer du Nord et que la demande d'électricité est faible, par exemple la nuit, ils ont trop d'électricité. La logique devrait alors commander d'arrêter des centrales thermiques, puisque l'éolien est prioritaire sur le réseau. Néanmoins, dans la mesure où il est coûteux d'arrêter de telles installations pendant trois ou quatre heures pour les remettre ensuite en marche, il faut trouver quelqu'un qui accepte de prendre cette électricité en trop et de payer ce quelqu'un, si bien que l'on aboutit à des prix négatifs. Cela s'est produit plusieurs fois en Allemagne.
Ce n'est évidemment pas le consommateur final qui achète sur le marché de l'électricité à un prix négatif. Ce sont essentiellement les Suisses qui le font. Avec cette électricité, ils montent de l'eau au sommet de leurs montagnes, où ils possèdent des stations de transfert d'énergie par pompage, les STEP, c'est-à-dire des installations pour stocker de l'eau. Ils « returbinent » aux heures de pointe pour revendre aux Italiens de l'électricité à prix élevé. Par conséquent, ils gagnent deux fois, quand ils prennent et quand ils revendent. C'est un effet pervers du système : à ce moment-là, il serait logique d'arrêter soit l'éolien, soit les centrales thermiques.
En France, ce phénomène ne s'est pour l'instant produit qu'une seule fois : le 2 janvier 2012, à quatre heures du matin, le mégawattheure a coûté, je crois, moins 5 euros ; mais c'est anecdotique.
Je ne pense pas que nous soyons en surcapacité. Il faut plutôt se préoccuper de la sous-capacité aux heures de pointe, car c'est un des gros problèmes.