Intervention de Daniel Loisance

Mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Le Professeur daniel loisance membre de l'académie nationale de médecine

Daniel Loisance, membre de l'Académie nationale de médecine :

L'homme ayant la mémoire courte, je voudrais tout d'abord resituer le contexte exact en matière de techniques médicales et d'usage des dispositifs médicaux implantables. En 1971, quand j'ai commencé à exercer la chirurgie, les systèmes d'assistance circulatoire n'existaient pas et la chirurgie cardiaque, discipline encore très aventureuse, présentait des taux de mortalité de l'ordre de 30 % à 50 %. Aujourd'hui, on dispose de coeurs artificiels, on réalise des transplantations, on utilise des stents et des valves implantables sans chirurgie lourde avec des taux de mortalité qui se situent autour de 1 %. Les progrès monstrueux réalisés dans le domaine cardio-vasculaire ont eu tendance à occulter les quarante dernières années, qui furent difficiles.

J'ai participé à l'essentiel des grandes premières, de la transplantation du père Boulogne à la mise en place des premiers coeurs artificiels. J'ai eu la responsabilité de mettre en place, pour la première fois au monde, un système d'assistance circulatoire portable, permettant au patient de vivre normalement chez lui. J'ai été à l'origine des stents coronaires avant de m'en éloigner pour me concentrer pleinement sur le développement du coeur artificiel, et je reste encore très impliqué dans toutes ces questions.

Le contexte est donc celui d'un progrès indéniable, accompagné d'une prise de risque considérable. La situation était évidemment différente de ce qu'elle est aujourd'hui : il n'y avait pas de consentement à demander au malade et toute la responsabilité reposait sur le chirurgien. C'est désormais plus complexe.

On pourrait donc considérer que la réglementation européenne est bonne. Des progrès considérables ont été réalisés alors que peu de catastrophes, ou tout du moins de catastrophes dont on ait parlé et qui aient acquis une visibilité médiatique, sont à déplorer.

Cette première analyse est pourtant incorrecte : il est évident que la réglementation européenne n'est pas bonne. L'Europe est pour les Etats-Unis un terrain d'investigation pour tous les dispositifs médicaux innovants pour la simple raison qu'il est facile d'obtenir un marquage CE alors qu'il est bien plus difficile d'obtenir une approbation de la Food and Drug Administration (FDA). Aux yeux de la communauté internationale des chirurgiens, l'Europe est un laboratoire d'expérimentation clinique, voire humaine.

Ce point de vue négatif, contraire à l'idée qui prévaut, s'explique par la complexité excessive du système européen, qui permet de nombreuses dérives. Plus un système est complexe, plus il est facile de le biaiser : l'affaire PIP en est le parfait exemple.

Le fait qu'il y ait de multiples intervenants ne fait que renforcer cette situation. Entre le fabricant, l'organisme notifié et l'autorité sanitaire nationale, trois acteurs sont concernés alors que les relations entre eux ne sont pas claires. Le joueur essentiel n'est pas le fabricant. Celui-ci doit seulement définir la classe de risque de son produit. Il est très facile de tricher sur ce point, comme le montre l'exemple d'un système d'assistance circulatoire allemand agréé en tant que pompe artérielle. La procédure n'est pas la même : elle est, dans le second cas, plus rapide et moins chère. La simple décision du fabricant sur la classe de risque qu'il choisit a des conséquences directes sur les formalités à remplir. Les organismes notifiés sont des entreprises commerciales qui font payer leurs services d'autant plus cher qu'elles délivreront le marquage CE rapidement et à moindre coût pour elles. La logique de leur fonctionnement les éloigne de manière croissante d'une démarche scientifique. Enfin, les autorités sanitaires compétentes définissent les règles. Certaines sont très précises, comme celles établies par l'International Organization for Standardization (ISO) auxquelles j'ai parfois été amené à participer. Une telle façon de procéder ouvre la porte aux charlatans : c'est ce qui s'est passé avec PIP. C'est comme ça depuis que la « nouvelle approche » a été adoptée.

La définition des standards pose problème, notamment pour l'évaluation in vitro. Quant à l'évaluation in vivo chez l'animal, elle pose tellement de problèmes aujourd'hui que de nombreux dossiers prétendent s'en passer au motif que les progrès de l'informatique permettraient désormais de modéliser parfaitement les conséquences de l'implantation d'un ventricule artificiel chez l'homme par exemple. Il n'existe aucune preuve scientifique de cela, et les conséquences en sont très lourdes. Si un système d'assistance circulatoire peut être approuvé sans expérimentation animale préalable, le processus sera beaucoup plus rapide et bien moins cher, l'expérimentation animale étant très complexe à réaliser, surtout en France. Les modèles sont difficiles à choisir. L'expérimentation demeure pourtant essentielle car certains phénomènes après implantation ne sont pas modélisables, même sur le plus puissant des ordinateurs. La réaction inflammatoire de l'organisme face à un corps étranger n'est pas simulable, surtout lorsqu'il s'agit d'un coeur artificiel de 950 grammes. L'expérimentation animale seule permet d'appréhender ces phénomènes.

L'évaluation clinique intervient en amont de l'approbation du dispositif médical ainsi qu'après sa commercialisation, dans le cadre de la surveillance post-inscription. Elle n'est malheureusement régie par aucune règle. Il y a dans les dossiers d'évaluation tout et n'importe quoi. On dit qu'il faut faire des registres : c'est une plaisanterie. Dans le registre France 2 de la Haute Autorité de santé (HAS), qui porte sur les valves aortiques percutanées, la saisine des données importantes est incomplète, c'est d'ailleurs la HAS elle-même qui le précise ! Un registre qui n'est pas complet n'a strictement aucune valeur, il est même trompeur. De nombreux produits ont été autorisés en Europe sur la base de registres défaillants.

Les études prospectives randomisées coûtent très cher, sont très difficiles à réaliser mais ne reflètent pas la vraie vie. Les patients y sont très rigoureusement sélectionnés ; ce n'est pas le cas des malades au quotidien. Il existe souvent un décalage important entre les résultats d'une étude contrôlée prospective, indiscutable scientifiquement et statistiquement, et ce qui est observé dans la pratique. Les règles ne sont claires ni pour l'évaluation in vitro, ni pour celle in vivo chez l'animal, ni pour celle in vivo chez l'homme. Voila pourquoi, à mes yeux, le système européen n'est pas très bon.

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