Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voulais commencer mon propos par une réflexion. Je suis un peu étonné de l'intitulé de la commission d'enquête, « sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France », et je vais m'en expliquer.
Ce titre révèle bien l'intention de la commission, qui cherche à savoir dans quelle mesure la sortie des actifs et des capitaux logés sur le territoire français repose sur des motifs d'évasion fiscale. Pour moi, le fait de sortir des capitaux n'est pas un problème en soi sur le plan fiscal : en effet, les résidents français sont imposés sur leurs revenus mondiaux. Tout le monde a le droit de sortir ce qu'il veut en capital, sous réserve de déclarer les revenus perçus à l'étranger.
En revanche, ce qui peut constituer un sujet d'inquiétude, c'est la « sortie » de la personne physique, car elle fait disparaître l'assiette fiscale, cette dernière étant moins liée au capital qu'à la résidence fiscale de la personne.
Tout le monde peut détenir un compte à l'étranger et être tout à fait en règle avec l'administration fiscale française, si tous les revenus sont déclarés. Donc, dans sa lutte contre l'évasion fiscale, l'administration fiscale s'emploie plutôt à rechercher les capitaux et les actifs détenus à l'étranger et non déclarés qui ont souvent pour caractéristique de n'avoir jamais transité sur le territoire français.
Par conséquent, on ne peut pas parler d'« évasion des capitaux », au sens physique. Ils ne s'évadent pas ! Et, s'ils se déplacent, ils laissent évidemment des traces. Le détenteur d'un patrimoine important qui veut le délocaliser pour se soustraire à ses obligations fiscales va laisser des traces partout, avec, en premier lieu, des virements bancaires. On ne passe plus les frontières les mallettes pleines de billets : cela n'existe quasiment plus.
Ce que nous cherchons à détecter, ce sont plutôt des capitaux qui ne rentrent pas.
Les gens peuvent sortir des capitaux pour de nombreux motifs, pas nécessairement fiscaux : la crainte, à un moment donné, d'une surtaxation en France, la peur d'un régime quelconque, que sais-je ? On peut imaginer mille motifs, au rang desquels la préoccupation fiscale est, à mon sens, secondaire.
Plus précisément, ce n'est pas le fait de faire sortir des capitaux qui est générateur de fraude. C'est plutôt l'intention de frauder qui conduit à loger des actifs hors de France.
Pour la Direction nationale de vérifications de situations fiscales (DNVSF) qui a en charge le contrôle des particuliers disposant d'un certain niveau de revenus et de patrimoine- je me place du point de vue de l'impôt sur le revenu, en laissant de côté tout ce qui concerne l'impôt sur les sociétés et les flux intragroupes - le vrai problème, c'est la délocalisation des personnes physiques elles-mêmes.
Au-delà du problème de justice - ceux qui disposent de certains moyens peuvent évidemment se délocaliser plus facilement - au-delà du problème moral que peut poser la perte de l'affectio nationalis de celui qui émigre, se pose le problème de l'assiette fiscale. Puisque son détenteur s'échappe, comment la récupérer ? La libre circulation des personnes et des capitaux complique singulièrement la tâche de l'administration fiscale, puisque tout repose sur un principe d'ouverture.
Nonobstant la difficulté qu'elle pose à l'administration fiscale, la libre circulation des personnes et des capitaux est vécue comme un progrès général. Que faire lorsque vous vous rendez compte qu'à une heure de train ou d'avion de Paris - je ne citerai pas de pays limitrophes - vous pouvez trouver le dispositif fiscal qui vous convient ? Pourquoi parler de fraude ? Celui qui s'expatrie à une heure de Paris et s'installe dans un endroit où les plus-values ne sont pas taxées n'en commet a priori aucune. Il est totalement dans son droit en allant chercher un dispositif fiscal qui lui convient là où il est. Et il a le droit de le faire.
Quelqu'un qui s'exonère des plus-values parce qu'il va résider dans tel ou tel pays n'est pas un fraudeur. Son civisme fiscal peut être contesté, mais en tout cas, il ne fraude pas. Celui qui va chercher dans un autre pays l'exonération de droits de succession parce qu'il détient un gros capital mobilier qu'il voudrait transmettre à ses enfants sans leur faire payer de droits à son sens trop lourds ne fraude pas non plus. Jusqu'à preuve du contraire, il n'est en rien répréhensible, si l'on excepte la connotation morale dont je parlais. Du point de vue de l'administration fiscale et du droit fiscal français, il n'y a pas grand-chose à faire : il est allé là où le régime fiscal est le plus favorable.
Tel est le schéma général que je souhaitais résumer en préambule. Ce qui pose un problème d'assiette, c'est moins « l'évasion des capitaux » que le problème des capitaux qui ne rentrent jamais et qui, eux, sont véritablement fraudés.
J'y ajouterai le problème des personnes qui se délocalisent pour aller chercher les régimes favorables là où ils se trouvent. Mais j'aurai tendance à appréhender la question moins en termes de fraude que d'harmonisation des législations fiscales européennes, voire mondiales. Aujourd'hui, le plus facile est de se délocaliser au coeur de l'Europe : en effet, à une heure de Paris, on peut mieux s'organiser pour préserver ses liens familiaux et sociaux.
Ce qui soulève une petite difficulté, ce sont les faux expatriés, ceux qui, sur le papier, ont déménagé à l'étranger pour bénéficier de régimes fiscaux plus favorables mais qui continuent, de facto, à mener leur vie réelle en France. Le problème est que la preuve est extrêmement difficile à rapporter. Le juge administratif nous demande de produire une preuve formelle qu'il nous est difficile de matérialiser, sauf à avoir des constats de police judiciaire. C'est sur ce point, celui de la fausse expatriation, que l'on pourrait parler de fraude.