Intervention de Edouard Fernandez-Bollo

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 3 avril 2012 : 2ème réunion
Audition de M. Edouard Fernandez-bollo secrétaire général adjoint de l'autorité de contrôle prudentiel

Edouard Fernandez-Bollo :

Je vais essayer de retracer le rôle de l'ACP pour voir comment il peut s'intégrer à vos propres préoccupations.

Le coeur de la mission de l'ACP est le contrôle prudentiel, c'est-à-dire le contrôle de la bonne santé financière, que ce soit sous l'angle de la solvabilité ou de la liquidité, de la quasi-totalité des intermédiaires financiers français, à l'exception des sociétés de gestion de portefeuille, lesquelles relèvent de l'Autorité des marchés financiers, l'AMF.

Notre compétence, très étendue, s'exerce non seulement sur les établissements de crédit, mais aussi sur les entreprises d'investissement et, pour ce qui concerne la lutte anti-blanchiment, sur des intervenants tels que les changeurs manuels.

Notre mission de surveillance de la solidité financière de ces structures doit bien s'entendre au sens large : nous veillons à ce que les intermédiaires financiers aient un système de gestion des risques financiers satisfaisant, mais nous nous attachons également au risque de réputation ou de non-conformité, lié au respect de la réglementation. Ces entreprises doivent contribuer à la bonne réputation du système bancaire, selon l'expression consacrée par l'usage.

En outre, nous avons reçu du législateur une mission plus spécifique de contrôle du respect par ces intervenants du dispositif de lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme. Cette compétence s'exerce y compris à l'égard de l'activité des changeurs manuels, qui ne présente pas vraiment de problématiques financières, puisque la sécurité financière des clients n'est pas vraiment en cause, ces agents ne faisant que de l'échange immédiat de billets.

Notre mission consiste donc à veiller à ce que ces établissements aient mis en place un système de contrôle interne de détection des opérations susceptibles, par leur caractère inhabituel, de soulever des suspicions. Elles doivent entrer dans un processus de traitement, d'analyse et de recoupement de données pouvant aboutir, le cas échéant, à des déclarations de soupçons à TRACFIN, dans le cadre du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins.

De par cette mission particulière, nous sommes donc en liens assez étroits avec cet organisme, puisque nous devons faire en sorte qu'il soit bien alimenté, même si sa compétence excède le champ des intermédiaires financiers. À l'heure actuelle, les déclarations faites par les assujettis à la compétence de l'ACP représentent tout de même plus de 80 % de l'activité de TRACFIN.

Dans le cadre de ces relations, nous échangeons nos analyses, perceptions et constatations sur le comportement des intermédiaires financiers, afin d'oeuvrer ensemble à l'amélioration du dispositif de détection.

Au sujet de la lutte anti-blanchiment, il est important de souligner que l'ensemble des banques étrangères ayant une succursale en France, y compris les banques européennes, sont soumises au contrôle de l'ACP, ce qui n'est pas le cas, en ce qui concerne le contrôle de la solidité financière, pour les succursales des banques européennes. En effet, compte tenu de la répartition des compétences à l'intérieur du marché unique, la surveillance de la situation financière relève du pays du siège de l'établissement.

En revanche, les succursales implantées en France, quelle que soit leur nationalité d'origine, sont tenues d'appliquer la réglementation française dans le domaine de la lutte anti-blanchiment et de faire des déclarations à TRACFIN. Pour la cohérence du dispositif, nous assurons donc leur contrôle.

Nous exerçons également notre juridiction sur les organismes d'assurance, l'ACP étant issue de la fusion, notamment, de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, l'ACAM, et de la Commission bancaire.

Quantitativement, cela correspond à un peu moins de 1 000 établissements bancaires et à un peu plus de 1 800 structures dans le secteur de l'assurance, auxquels il faut ajouter environ 200 entreprises d'investissement, spécialistes des opérations de marché. Concernant ces dernières, il existe un partage des rôles avec l'AMF : nous sommes compétents pour les entreprises d'investissement autres que les quelques centaines de sociétés de gestion de portefeuille, lesquelles relèvent de l'AMF, pour ce qui est de la lutte anti-blanchiment. Cette dernière est également compétente pour les conseillers en investissements financiers, tandis que l'ACP exerce son contrôle sur les changeurs manuels, un peu moins de 200 à l'heure actuelle, contre 600 avant l'instauration de l'Euro.

J'en viens à l'objet de notre contrôle. Notre rôle est d'abord d'assurer qu'il y ait des systèmes de contrôle à l'intérieur des établissements. Nos interlocuteurs ne sont pas les quelque 50 000 agences ou points de vente disséminés sur le territoire, qui sont en contact avec la clientèle, mais les services centraux des établissements, lesquels doivent mettre en place des mécanismes internes pour faire eux-mêmes l'analyse des risques au sens général, et plus particulièrement pour assurer la détection des opérations inhabituelles susceptibles de donner lieu à des soupçons de blanchiment.

Nous avons des contacts suivis, réguliers avec les établissements pour obtenir des informations sur leur situation financière, mais aussi sur l'organisation de leur contrôle interne. En ce qui concerne la lutte anti-blanchiment, nous demandons aux dirigeants responsables des établissements de s'engager personnellement sur le caractère sincère et exact des informations qui nous sont données. Chaque année, les établissements doivent nous déclarer les caractéristiques de leur dispositif anti-blanchiment et, éventuellement, nous signaler les difficultés qu'ils auraient pu rencontrer, y compris pour leurs filiales à l'étranger. Nous estimons qu'il est de notre mission de nous assurer qu'il y a un pilotage des risques, tant financiers que de réputation ou de non-conformité anti-blanchiment, le plus centralisé possible.

À cet égard, nous nous appuyons sur les règles internationalement admises en matière de contrôle bancaire, notamment par le Comité de Bâle, qui réunit les principaux contrôleurs bancaires - il se trouve que je suis le président du groupe de travail de ce comité sur la lutte anti-blanchiment. Nous considérons qu'il doit y avoir un pilotage consolidé des risques au sein des établissements financiers. Les entreprises doivent donc être capables de mesurer les risques pris par les filiales et succursales implantées à l'étranger et nous devons être en mesure d'évaluer ce suivi, y compris au moyen de contrôles sur place. Mais nous n'avons pas de compétence extraterritoriale et il peut arriver que les législations nationales s'opposent à l'application de nos normes. Dans ce cas-là, nous demandons aux établissements de nous le signaler et d'en tirer les conséquences sur la mise en place d'un dispositif adéquat de gestion des risques, tant financiers que de non-conformité à la lutte anti-blanchiment.

Vous constatez donc que nous n'avons aucune compétence directement fiscale. Nous sommes juste chargés de surveiller que les entités respectent la réglementation professionnelle. Cela étant, les questions fiscales ne nous sont pas indifférentes, puisqu'il relève du bon fonctionnement du système bancaire que de prévenir la totalité des risques. Même si notre intervention se fait du côté des professionnels, il peut arriver que nous ayons accès, dans l'exercice de nos missions, à certaines informations individuelles sur les clients. Notamment, ces dernières doivent nous permettre, dans le domaine de la lutte anti-blanchiment, de dire si les déclarations de soupçons ont bien été faites. À cet égard, pour améliorer le contrôle, nous réclamons un raccourcissement des délais entre le moment où les opérations sont repérées et celui où TRACFIN est avisé in fine.

Notre rôle ne peut pas être de surveiller, une par une, les millions d'opérations quotidiennes effectuées par les établissements de crédit. Toujours est-il que, à l'occasion d'enquêtes ou de contrôles sur place, nous devons parfois regarder les dossiers individuels, à titre d'échantillonnage.

Je le répète, nous devons régulièrement nous assurer, auprès des directions centrales et des responsables du contrôle interne, qu'il y a de bons systèmes de détection en place. Pour ce faire, nous disposons, sous l'autorité de chefs de mission, d'un corps d'agents spécialisés qui tournent en permanence dans les établissements pour, en quelque sorte, capitaliser sur l'expérience. Par exemple, dernièrement, une série d'enquêtes thématiques sur la gestion de fortune a été réalisée. Nos enquêteurs ont regardé comment était organisée la surveillance de la lutte anti-blanchiment dans l'activité de banque privée, de façon transversale, dans plusieurs établissements.

Pour vous donner un ordre d'idée, en 2011, nous avons effectué un peu moins de 300 contrôles sur place, tous organismes confondus, qui ont donné lieu à des rapports. Le cas échéant, ces derniers peuvent envisager des suites allant des simples recommandations à des demandes de changement ou des mises en demeure.

Depuis la création de l'ACP, les établissements ne sont plus directement sanctionnés par le collège en charge du contrôle, en raison de la non-conformité de certains éléments du dispositif de contrôle antérieur aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En effet, le contrôleur était auparavant amené à sanctionner lui-même les manquements qu'il avait constatés, ce qui était contraire au principe d'indépendance et d'impartialité des juridictions. Il a donc été créé une commission des sanctions, distincte du collège en charge du contrôle.

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