Une recherche fiscale est actuellement menée par Bercy et par la BNRDF sur un monsieur qui est impliqué dans une fraude fiscale assez élevée. Une plainte a été déposée contre lui au pénal, l'enquête commence. Très vite, on s'aperçoit que ce monsieur est lié à un groupe d'affairistes qui sont eux-mêmes impliqués dans d'importants carrousels de TVA.
La démarche administrative va profiter de notre enquête pénale : l'enquête fiscale continue de vivre grâce aux éléments que l'on capte au pénal. Mais, à un moment donné, pour accroître notre efficacité, nous allons opérer une réquisition par le fiscal sur une institution, pour obtenir des renseignements sur des comptes bancaires et sur des liens entre les personnes. Et là - nous ne le savons pas encore, mais nous l'apprenons très vite, lors des écoutes téléphoniques - nous constatons que la personne sur laquelle nous enquêtons est celle qui détient la société : elle a donc accès aux réquisitions du fisc, elle sait que l'enquête fiscale suit son cours et elle comprend que l'investigation porte sur elle. Il y a donc là un léger télescopage. On comprend bien qu'il convient d'harmoniser ces procédures.
J'ajoute un point très important : selon la procédure classique lancée par la DGFiP, après l'avis de la CIF, la personne est avisée qu'elle fait l'objet d'une enquête et qu'une plainte est déposée au pénal contre elle. La BNRDF ne s'inscrit pas dans cette logique : la personne n'est pas avisée. Nous disposons donc d'un gain de temps et d'un effet de surprise assez importants, surtout durant les premiers mois.
Ces petits points, qui peuvent s'analyser comme un télescopage d'enquêtes, nuisent gravement à notre efficacité puisque nous perdons l'effet de surprise. (M. Jacques Chiron acquiesce.) De fait, c'est un signal d'alarme qui retentit : « Attention, il y a une enquête en cours, qui sont ces gens ? »
Ces faits ouvrent quelques pistes d'améliorations.
La BNRDF évite que le contribuable soit informé du dépôt de plainte afin que les enquêteurs puissent mener leurs investigations en utilisant tous les atouts de la procédure pénale et bénéficier d'un effet de surprise envers le contribuable fraudeur. Cet avantage est perdu lorsque la personne est déjà en procédure pénale, dans la mesure où, dès lors, elle est avisée qu'une enquête porte sur elle. Ainsi, elle fera beaucoup plus attention à ses rencontres dans Paris, à ses coups de téléphone, à ses courriels, ...
Il faudrait presque opérer un choix entre le pénal et le fiscal, car on ne peut pas mener les deux procédures de front ! Sur ce point, il y a, non seulement chez nous au sein de la police judiciaire, mais aussi dans l'administration fiscale, une petite révolution culturelle à mener : pourquoi deux entités de l'État doivent-elles travailler en parallèle sur les mêmes dossiers ? C'est une véritable question qu'il convient de se poser.
Je le répète, nous travaillons également sur les complices des fraudeurs. À ce jour, la BNRDF travaille sur un fraudeur qui lui a été désigné par une plainte, mais aussi sur un professionnel qui, accomplissant une prestation à la demande de son client, prend pour habitude d'outrepasser les missions qui lui incombent et incite son client à frauder, en lui conseillant des actions qu'il sait être frauduleuses. Dans ce cas, la BNRDF élargit son spectre et considère les complices : elle ne s'arrête pas au seul intéressé.
J'ajoute, et ce point est une constante des réunions que nous organisons depuis un an, que la DGFiP est très attachée à ce que les enquêtes concernent la fraude fiscale. Mais, au-delà, les enquêtes pénales permettent de découvrir d'autres faits à caractère pénal, dont les enquêteurs doivent rendre compte aux magistrats. Il s'agit de fausses factures, d'abus de biens sociaux commis dans les sociétés, d'effets de blanchiment, etc.
La DGFiP et les unités de Bercy enquêtent sur les fraudes fiscales ; on ne nous signale pas suffisamment les infractions connexes révélées à l'occasion de ces fraudes. C'est, en creux, ce que je vous ai indiqué il y a quelques instants pour la BNRDF.
Pour notre part, lorsque nous réalisons une enquête pénale, la BNEE est en permanence avec nous - vous l'avez vu, compte tenu du nombre de perquisitions et d'auditions, elle est toujours avec nous ! - chaque fois qu'un élément fiscal émerge. C'est en quelque sorte la seconde lame du rasoir, qui coupe dès lors qu'il y a besoin d'un redressement fiscal. Ainsi, les agents de la BNEE agissent dans tous les domaines : proxénétisme, stupéfiants, vol à main armée, trafic d'objets d'art...
Lorsque les brigades de Bercy mènent leurs enquêtes, elles découvrent également des infractions connexes ; normalement, celles-ci doivent être dénoncées au procureur de la République sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale.
Messieurs les sénateurs, je suis conscient du sujet de votre commission d'enquête, mais je me permets de souligner que cette situation n'est pas normale. Les services de l'État doivent être solidaires les uns des autres. Il faut dénoncer, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, les infractions connexes, qui ne sont pas des fraudes fiscales mais qui peuvent également expliquer l'origine des capitaux et cette volonté d'envoyer ces derniers à l'étranger. Il faut absolument que les divers services de l'État prennent l'habitude d'agir ensemble, et de prendre en compte les questions qui, thématiquement, stricto sensu, ne relèvent pas exactement de leur activité. J'espère être clair sur ce point.
Vous m'avez également adressé une autre série de questions. Toutefois, monsieur le président, comme j'ai conscience d'avoir été un peu long, je vous demande si vous souhaitez que je poursuive mon propos ?