C'est une bonne question, mais la réponse est non. La rémunération est très variable, et soumise à l'appréciation de plusieurs personnes, sur la base des résultats. Je le répète, c'est le principe du service fait qui s'applique : la rémunération n'est pas donnée à quelqu'un qui va vous fournir un renseignement, elle est versée contre services sonnants et trébuchants immédiats ! Toutefois, pour des raisons de confidentialité, je ne vois pas comment rendre ces rémunérations imposables, si ce n'est par un prélèvement à la source... (Nouveaux sourires.)
Comment les enquêtes financières étaient-elles menées avant la création de la BNRDF ? On oublie la BNEE qui est au sein des unités spéciales et qui mène les enquêtes. Elle glane tout ce qu'elle peut, au fur et à mesure, pour transmettre des informations à la DGFiP.
Avant la création de la BNRDF, l'enquête était confiée à un service territorial : un service de police judiciaire, une sûreté, un commissariat au sein duquel il y a une sûreté, c'est-à-dire une unité de police judiciaire, une section de recherches de gendarmerie...
L'enquêteur accomplissait un travail que je qualifierais de moyen : il s'agissait d'organiser quelques auditions, celle de l'intéressé, celle de sa compagne, ou de son compagnon, voire celle du comptable. Bref, il fallait vérifier que la procédure était prête pour l'audience. L'enquête consistait à s'assurer qu'il n'y avait pas un large hiatus entre la personne, l'époux ou l'épouse, la société, le comptable ? Il fallait contrôler qu'une déclaration de dernière minute ne surgisse pas avant que l'affaire ne passe en audience.
Ce travail n'était ni faramineux en volume ni spécialement intéressant. La procédure était la suivante : l'enquête fiscale était menée par les services du fisc. Faute d'accord possible avec l'intéressé, le dossier passait devant la CIF. On avisait l'intéressé que l'on portait plainte. La plainte était déposée auprès du procureur du lieu du domicile de l'intéressé. Le procureur saisissait, par exemple, la sûreté urbaine de Bordeaux. On entend la personne : « Bonjour, c'est bien vous ». On convoquait le comptable. Cela s'arrêtait là. Cette investigation était simple, si simple qu'elle était confiée à une unité généraliste.
La BNRDF, quant à elle, travaille sur la fraude fiscale complexe, supposant une véritable investigation.
J'en viens à la part de la fraude fiscale internationale dans notre activité. Ma réponse sera nécessairement tendancieuse. Pourquoi ? Parce que je travaille au sein de la sous-direction crime organisé, délinquance financière, et parce que je me consacre surtout au crime organisé. Ainsi, nous avons une vision permanente sur l'international. Vous n'avez pas un trafic de stupéfiants ou un réseau de traite des êtres humains à l'échelle nationale ! Même les braqueurs de centres forts ont des connexions internationales. Il n'y a pas un réseau, pas une organisation criminelle qui n'ait des attaches avec l'Espagne, le Maroc, les Pays-Bas, mais aussi l'Amérique latine ou certains pays d'Afrique pour ce qui concerne les stupéfiants. Pour la traite des êtres humains, il faut prendre en compte tous les pays d'Amérique du sud. Tous ces criminels ont des attaches à l'étranger !
Je vais m'efforcer d'être très prosaïque. Un individu qui se livre au trafic de stupéfiants et qui est plutôt versé dans la cocaïne, revend sa drogue sur le territoire national, à Paris. Un jour venant, il va tenter de gagner un peu plus d'argent en captant un produit, en remontant le plus possible vers le producteur pour que ses approvisionnements lui coûtent moins cher à l'achat et qu'il obtienne une plus grande marge bénéficiaire à la revente. Par exemple, il va décider d'aller en République dominicaine, où l'offre de cocaïne est importante. Il va donc pouvoir organiser l'importation lui-même. Tous mes exemples s'appuient sur des pratiques et des cas que nous connaissons bien.
La pratique montre que cette personne va d'abord thésauriser en France, puis, du fait de l'afflux de capitaux, elle va chercher à faire évaporer cet argent. Ainsi, elle fera sans doute des acquisitions et des placements en République dominicaine. Pourquoi ? Parce que c'est un peu son « lieu de travail », si j'ose dire. Elle va chercher à s'établir et à se « poser » là-bas. C'est là qu'elle trouvera des facilités avec les banques, là qu'elle rencontrera un spécialiste qui lui expliquera où placer de l'argent encore plus loin qu'en République dominicaine. Ce spécialiste lui apprendra ensuite comment ouvrir un compte sans jamais recevoir un seul relevé bancaire, de façon à ne jamais être traçable, comment ordonner des virements, des paiements, ou permettre des retraits, des décaissements en cash sans le moindre papier, simplement à partir d'un nom ou d'un numéro de compte.
C'est l'activité qui est tournée vers une zone géographique à l'étranger et qui prédispose plutôt à telle ou telle orientation. Pour la fraude à la taxe carbone, qui a fait beaucoup de mal à tous les États de l'Union européenne, les fraudeurs témoignaient d'une remarquable maîtrise des circuits financiers internationaux. Ils procédaient via des envois qui passaient par des pays de l'Est ou par Chypre, qui allaient jusqu'en Chine populaire, puis transitaient par des places financières comme Hong Kong ou Singapour et, parfois, revenaient ensuite dans des pays européens.
Ces systèmes attestent une maîtrise des flux, via l'Internet-banking, qui est très importante ! Ces questions internationales, nous les observons donc tous les jours. Dans ce domaine, vous ne pesez rien si vous ne prenez pas la mesure de la dimension internationale.
Les enquêtes de la BNRDF illustrent que l'international joue un rôle majeur, ne serait-ce que pour des fraudes sur différentes générations, pour des successions : comptes bancaires à l'étranger dissimulés, sans référent de banque, sans document, sans relevé de compte, sans parler des consolidations de patrimoine hors de nos frontières. Là encore, on voit des personnes acquérir des immeubles, des hôtels, des terrains de golf dans le cadre de fiducies, de trustees à l'étranger, tant d'obstacles pour déterminer qui est le propriétaire ou le bénéficiaire économique du bien.
Malheureusement, et parce que l'activité de la BNRDF est très récente - encore une fois, cette brigade n'a qu'une année de fonctionnement derrière elle, il faut le souligner même si nous sommes tous très contents de cette unité - nous n'avons pas encore mis en oeuvre les items qui nous permettront de distinguer très nettement le national de l'international.
À mon sens, à l'heure actuelle, la DGFiP est mieux placée que nous pour évoquer l'incidence de la fraude fiscale, dans sa dimension internationale.
Pour ce qui concerne la typologie des montages pour l'évasion des capitaux, à la suite de la fraude, je souligne qu'il s'agit d'un exercice en soi. On observe toutes sortes de cas. D'entrée de jeu, je vous indique une tendance très récente, que l'on observe en Italie, en France, et que les Allemands commencent à constater : que des personnes exercent une activité licite et souhaitent échapper au fisc en exportant leurs capitaux, ou qu'elles exportent leurs fonds dans le cadre d'une activité illicite, on observe partout, depuis la fin de l'année 2011 et surtout depuis le début de l'année 2012, circuler d'énormes sommes d'argent liquide.
Naguère, on voyait peu l'argent circuler : les fraudeurs utilisaient les circuits bancaires, les décaissements, les compensations, selon un système très organisé. Je prends un exemple des situations que l'on observait fréquemment - c'est un modus operandi au sujet duquel il ne faut pas faire trop de publicité. Des fraudeurs montent un carrousel de TVA ou encore passent de faux ordres de virement, à savoir une escroquerie d'envergure. Après six mois de travail, les bandits parviennent, grâce à des sources ouvertes, je le précise, à tout connaître d'une entreprise : le nom du PDG, celui du secrétaire général, les investissements en cours, les projets. Ils se font remettre les comptes rendus des conseils d'administrations. Ils ont accès aux noms et signatures des administrateurs.
Passés six mois, quand ils ont tout compris de la société, lorsqu'ils ont déterminé qui est qui et qui fait quoi, ils passent à l'attaque. Quelqu'un appelle une filiale à l'étranger en déclarant : « la maison-mère a besoin de 1 million d'euros immédiatement, nous allons subir un contrôle fiscal et il nous faut provisionner des sommes. Il faut donc que vous débitiez cette somme de ce compte pour le créditer sur celui-ci. » Quoi qu'il en soit, ces attaques sont bien menées, une fois sur cent elles fonctionnent : un responsable fait le clic et lâche le million d'euros sur le compte indiqué.
Cette méthode est très sophistiquée. Les fraudeurs utilisent des plateformes de dématérialisation des appels téléphoniques. Ainsi, vous appelez un numéro en 06 ou en 07, vous croyez que vous téléphonez en France mais tel n'est pas le cas ; votre interlocuteur parle très bien le français, mais il n'est pas Français pour autant. Et puis, le 06 ou le 07 n'est qu'un numéro acheté, sans la moindre assise sur le territoire national !
Une fois lâché, le million d'euros part à l'étranger, par exemple, en Chine. Cela ne signifie pas que les bandits, français ou étrangers, qui sont à l'origine de cette attaque, vont se précipiter en Chine pour donner un ordre et récupérer l'argent. Peut-être vont-ils décaisser l'argent à Paris même. Pourquoi ? Parce qu'ils auront conclu un accord avec des membres de la communauté chinoise, qui ont accepté d'ouvrir le compte à Hong Kong ou à Shanghai. Le million d'euros va, dès lors, à Shanghai, ce qui soulage bien la personne qui a ouvert le compte, car cela lui permet d'exporter des capitaux qu'elle ne savait pas envoyer à l'étranger, et qui sont issus du travail clandestin.
Ce faisant, cette personne, qui fraude le fisc « à mort » peut exporter cet argent sans rien faire, puisque c'est la société licite, légale, qui a parfois pignon sur rue et que vous connaissez, qui fait le clic pour envoyer le million d'euros. Du coup, ce million d'euros devient celui du commerçant, qui voulait blanchir son travail clandestin et échapper ainsi au fisc. C'est fait !
Quant aux bandits qui ont organisé l'attaque, ils vont voir la personne en question - dans mon exemple, le commerçant chinois - et ils récupèrent le million d'euros en liquide. Ainsi, tout le monde est gagnant : le bandit parce qu'il a encaissé un million d'euros ; le commerçant parce qu'il peut distribuer de l'argent aux personnes qui travaillent avec lui, qui lui ont permis de s'établir et de prospérer dans notre pays.
On a donc deux fraudes au fisc : celle du commerçant, qui peut décaisser ou du moins transférer un million d'euros, ce qu'il ne savait pas faire, car il avait peur d'être signalé par TRACFIN, et le bandit français qui touche du liquide qu'il va pouvoir répartir.
Voilà un exemple typique des montages complexes auxquels nous avons affaire, et qui font appel à des individus maîtrisant parfaitement ces méthodes. Ensuite, il nous faut déterminer pourquoi ils connaissent telle ou telle personne, et pourquoi cette personne a la capacité d'ouvrir le compte à Shanghai ou à Hong Kong. Cela, l'enquête vous l'apprend et, ensuite, vous comprenez comment fonctionne ce système. Comme vous pouvez le constater, ces montages sont un peu complexes !
Toutefois, je le répète, depuis le début de cette année, on constate que les fraudeurs circulent avec des valises de billets. En Italie, les organisations qui fraudent le fisc, qui récoltent de l'argent par le racket, la captation de marchés publics, la corruption, ont vu leur mode de fonctionnement se dégrader violemment, les outils financiers se resserrant avec force autour d'eux. Partant, les plus prosaïques, les plus « paysans » d'entre eux - si vous me permettez cette expression -, ceux qui voulaient palper les billets, se portent un peu mieux que ceux qui font constamment l'objet de signalements, qui ont des enquêtes sur le dos.
Ainsi, on observe un retour du « sonnant et trébuchant » au détriment des circuits : j'ignore si ce phénomène durera toute l'année, mais le constat est très net. Très récemment - je le mentionne, car la presse s'en est fait l'écho - dans une affaire de stupéfiants, à Lyon, nous avons vu un homme récupérer sous nos yeux, dans un premier temps plus de 500 000 euros, puis, dans un second temps, une somme similaire, soit 1 million d'euros en billets de banque, entassés dans un sac à dos qu'il s'apprêtait à remettre à un complice qui partait à l'étranger.
Cet homme est ce que l'on appelle un collecteur de fonds. Dans le trafic des stupéfiants, vous avez des « nourrices », qui gardent l'argent de tout le monde pour un temps donné, puis des collecteurs de fonds qui ramassent l'argent de toutes les nourrices pour le faire passer à l'étranger.
Naguère, le système ne fonctionnait pas nécessairement ainsi : on employait des moyens plus sophistiqués pour exporter l'argent sans matérialisation, sans sacs. Ces méthodes nous rendaient la tâche plus difficile, car il n'y avait rien à voir ! Tout se passait avec des clics ou des appels téléphoniques. Désormais, on voit réapparaître les collecteurs de fonds, les nourrices, les sacs à dos, ce qui nous facilite la tâche : on voit les sacs vides, puis les sacs pleins...
Ainsi, on observe toute la typologie, qui va du très simple - la valise de billets - au très complexe - les transferts, les faux ordres de virement. Il s'agit là de méthodes très pointues, mises en oeuvre par des équipes qui comptent de grands techniciens des circuits financiers.
Si vous le souhaitez, je travaillerai sur une typologie afin de vous remettre un document sur ce sujet.
Enfin, concernant l'entraide judiciaire, je serais peut-être un peu excessif si je vous affirmais que tout va bien, car tel n'est évidemment pas le cas. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que notre manière d'aborder les questions sur l'entraide judiciaire revient souvent à adosser la fraude fiscale sur d'autres infractions.
Je prends un autre exemple : vous aurez du mal à obtenir des informations sur le placement d'argent qui ne découle que de la fraude fiscale, s'il n'y a pas de manoeuvres frauduleuses. En effet, un strict cas de fraude fiscale se limite, de l'autre côté de la frontière, à une évasion de capitaux, et vous ne bénéficiez donc pas de l'entraide. En revanche, si vous abordez ce sujet dans le cadre des manoeuvres frauduleuses, vous disposez d'une réponse selon les conventions qui ont été signées, et si le pays est coopérant ou non.
Voilà pourquoi il est intéressant de travailler en task force, y compris en mixant les infractions : dans le cadre des actions de police judiciaire, si vous abordez votre partenaire en lui précisant qu'il s'agit d'abus de biens sociaux, de fausses facturations et de corruption d'agents publics, français ou à l'étranger, vous obtenez une coopération. Là, vous ne jouez pas sur la seule fraude fiscale, vous vous appuyez aussi sur l'infraction connexe et, dès lors, vous obtenez des informations !