Mon propos liminaire sera bref puisque vous avez eu l'amabilité de nous communiquer des questions précises, auxquelles nous allons nous efforcer de répondre.
Je veux simplement faire des présentations plus complètes, car seuls deux noms ont été cités, outre le mien, alors que nous sommes venus à quatre. Cela vous permettra d'ailleurs de connaître l'organigramme de la direction générale des finances publiques, la DGFiP.
Je suis le directeur général des finances publiques ; à mes côtés se tiennent Jean-Marc Fenet, directeur général adjoint en charge des questions fiscales - pour faire court, disons qu'il dirige ce qui correspond à l'ancienne direction générale des impôts -, puis Jean-Louis Gautier, ancien responsable du contrôle fiscal, aujourd'hui conservateur des hypothèques, et Alexandre Gardette, son successeur à la tête du contrôle fiscal depuis une quinzaine de jours.
Nous vous répondrons donc à plusieurs voix.
À titre de préambule, j'aborderai de manière assez générale l'organisation de la DGFiP pour lutter contre la fraude fiscale internationale.
Administrativement, c'est le service du contrôle fiscal qui est en charge de ces affaires. Cette situation de service est assez récente : il y a encore quelques mois, c'était une simple sous-direction. À ma demande, le ministre a accepté de renforcer ses moyens et d'en faire un service à part entière.
Une telle organisation existe depuis de longues années : elle existait au sein de la direction générale des impôts ; elle a été conservée telle quelle, dans son organisation, ses prérogatives et ses modes de fonctionnement, lorsque la DGI et le Trésor public ont fusionné.
La fusion n'a donc pas eu d'incidence directe sur le fonctionnement du contrôle fiscal. Elle a eu des incidences indirectes, dont nous espérons des résultats, notamment une meilleure synergie entre le contrôle et le recouvrement, une même administration, en l'occurrence celle qui est dirigée par Jean-Marc Fenet, étant désormais en charge des deux missions. Mais, s'agissant de l'exercice proprement dit du contrôle fiscal, la continuité s'est imposée.
Il existe donc un service du contrôle fiscal au sein du pôle fiscal de la DGFiP, à Bercy. Ce dernier a des « bras » nationaux, régionaux, ou plutôt interrégionaux, et départementaux.
À l'échelon national, trois directions spécialisées ont été progressivement créées au cours des années : la première s'occupe des grandes entreprises, la deuxième des particuliers et la dernière du renseignement.
Notre organisation repose également sur dix directions du contrôle fiscal, les DIRCOFI, compétentes à l'échelon interrégional.
Enfin, nous disposons de directions départementales des finances publiques, autrefois dénommées directions des services fiscaux. Là encore, la fonction de contrôle fiscal est bien identifiée au sein de ces structures.
Comment se fait la répartition entre ces trois niveaux de compétence ? La politique générale est fixée par le service et présentée au ministre. Plusieurs de vos questions portant sur cette articulation, j'y reviendrai précisément plus tard. Les trois directions nationales sont composées de spécialistes extrêmement pointus, recrutés en fonction de profils très précis, qui sont compétents pour évoquer les dossiers soit particulièrement complexes, soit porteurs d'enjeux très importants, voire les deux.
Les directions interrégionales s'intéressent au « milieu du panier », c'est-à-dire les dossiers de montants financiers intermédiaires. Les directions départementales ont pour vocation d'assurer la couverture du territoire. Elles peuvent traiter de petits dossiers, mais elles ont surtout pour mission de s'assurer que l'égalité républicaine est respectée sur le territoire et que tout contribuable accomplit ses obligations en matière fiscale. Elles réalisent donc un certain nombre de contrôles.
Telle est l'organisation administrative de la lutte contre la fraude fiscale.
La politique du contrôle fiscal a été formalisée voilà une dizaine d'années. Je suis personnellement chargé d'en présenter chaque année les grandes orientations nationales, pour validation, au ministre du budget. Nos moyens n'étant pas illimités et les contrôles prenant du temps, nous devons en effet définir des priorités.
Nous poursuivons trois objectifs, lesquels sont ensuite déclinés de manière très précise. L'exercice du contrôle fiscal se fait à partir d'éléments objectifs, extrêmement professionnels, avec un reporting très précis de la part de ceux qui le mettent en oeuvre. Le déclenchement de contrôles fiscaux se fait, non pas de manière aléatoire, mais à partir d'axes de programmation soigneusement prédéfinis.
Les trois objectifs, qui mobilisent chacun, en gros, un tiers de nos moyens, et ne sont donc pas hiérarchisés, sont les suivants.
Tout d'abord, nous devons assurer la couverture républicaine du territoire, c'est-à-dire que nous devons être en mesure d'engager des contrôles fiscaux en tout point du territoire, quels que soient les types d'activités et de contribuables. Aucune profession n'est, en tant que telle, suivie ou stigmatisée, et nous devons intervenir dans tous les domaines, de sorte qu'aucun contribuable, personne physique ou personne morale, ne puisse penser qu'il est à l'abri d'un contrôle éventuel. Évidemment, comme le pays compte des dizaines de millions de foyers fiscaux et des millions d'entreprises, ce contrôle de proximité n'intervient pas à répétition chez le même contribuable.
Ensuite, le deuxième objectif, qui s'impose bien sûr aux trois échelons territoriaux, mais qui est surtout mis en oeuvre aux niveaux interrégional et national, est d'engager des opérations de contrôle sur des types de fraudes identifiés - en jargon administratif, nous parlons de secteurs « fraudogènes » -, car nous savons, même si nous nous gardons de toute stigmatisation, que certaines activités permettent plus facilement, par leur nature même, d'éluder l'impôt. Ce champ du contrôle vise aussi des fraudes dites complexes, par exemple la fraude à la TVA, qui emprunte des montages sophistiqués.
Cette deuxième rubrique englobe l'objet spécifique de votre commission d'enquête, monsieur le président, c'est-à-dire la fraude internationale, assimilée pour nous à une fraude complexe.
Enfin, le troisième objectif, est de suivre spécifiquement les contribuables, personnes physiques comme morales, à enjeux financiers importants. En effet, la pratique du contrôle fiscal doit aussi se traduire par des résultats tangibles en termes financiers. En 2010, nous avons ainsi pu récupérer 16 milliards d'euros de droits et pénalités.
Cette programmation annuelle a été formalisée, dans ses grands principes, voilà une dizaine d'années. Depuis que je suis directeur général, elle est discutée de manière extrêmement précise au sein de la direction ; nous disposons pour cela d'une batterie d'indicateurs. J'ai décidé de présenter systématiquement cette programmation au ministre - avant, c'était plus ou moins le cas -, car je considère qu'elle fait partie des orientations générales de la politique fiscale. Le Gouvernement peut ainsi décider d'ajouter une priorité nouvelle à ce que nous envisageons ! Elle est ensuite présentée, de manière détaillée, à tous les responsables interrégionaux et départementaux.
En outre, depuis quelques années, nous nous sommes collectivement efforcés à la fois de conserver et de renforcer le contrôle fiscal.
Le conserver suppose d'abord de garantir, tant qualitativement que quantitativement, une sorte de filière dédiée. Ainsi, alors même que la DGFiP faisait d'importants efforts de productivité, en vertu de la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, les agents chargés des contrôles fiscaux approfondis n'ont pas été touchés par ces économies. Nous avons également veillé à ce que la qualité des formations ainsi que le niveau de recrutement soient préservés. Par exemple, un chef de brigade, responsable du contrôle fiscal local, doit être un inspecteur principal, c'est-à-dire un agent qui a subi une sélection extrêmement rigoureuse. Ces fonctionnaires font partie de nos meilleurs éléments et évoluent dans le cadre d'une filière bien précise.
Par ailleurs, nous avons demandé et obtenu des ministres successifs, tout particulièrement de M. Woerth, le renforcement de nos moyens juridiques. Pour lutter contre des fraudes complexes, très organisées, « volontaristes », il nous a fallu améliorer nos moyens juridiques d'investigation. Personnellement, j'ai le sentiment que la plupart des textes concernant les contrôles fiscaux de ces quinze ou vingt dernières années - je ne parle pas des cinq dernières années - ont eu surtout pour vocation de garantir les droits des contribuables, ce qui est très bien armé par les textes.
Il y a donc eu beaucoup de textes, et c'était bien parce que cela plaçait l'administration et le contribuable dans une situation d'égalité. Mais face à des personnes, éventuellement bien conseillées, qui sont décidées à frauder le fisc, nous avions besoin de moyens d'investigation supplémentaires. Nous commençons à les avoir - je pense notamment à la police fiscale. À mon sens, les voies de progrès pour l'avenir sont dans le renforcement de ces moyens, nous permettant de disposer des informations. En effet, la fraude fiscale, qu'elle se déroule uniquement en France ou qu'elle passe par l'étranger, ne prospère que grâce au secret, et le meilleur moyen de lutter contre la fraude est d'avoir de la transparence et de l'information. Il est donc indispensable pour nous de disposer des moyens d'information nous permettant de poser des questions et, le cas échéant, d'aller plus loin.