Intervention de Jean-Marc Fenet

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 27 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Philippe Parini directeur général des finances publiques chargé de la fiscalité jean-marc fenet directeur général adjoint des finances publiques chargé de la fiscalité et jean-louis gautier conservateur général des hypothèques ancien chef du service du contrôle fiscal de la direction générales des finances publiques

Jean-Marc Fenet, directeur général adjoint des finances publiques :

Je commencerai en faisant masse des premières questions posées, qui tournaient autour de la définition de l'évasion fiscale internationale et de l'anatomie des différentes sortes de fraudes qui sont dans notre viseur.

Il n'y a pas de définition homologuée de ce qu'est l'évasion fiscale, que ce soit d'ailleurs au niveau national ou au niveau international. On peut la qualifier par opposition au civisme, cela va de soi, mais également en la distinguant de l'optimisation fiscale, qui est, si j'ose dire, le « bon côté du fleuve », l'évasion étant le mauvais côté. L'optimisation révèle en quelque sorte l'habileté du contribuable à gérer au mieux sa situation, mais toujours en conformité avec la législation en vigueur. De l'autre côté du fleuve, l'évasion fiscale suppose, elle, un certain degré d'occultation, de distorsion par rapport à la réalité, de sous-évaluation, bref, de malhonnêteté, pour prendre une formulation morale.

Bien évidemment, une fois posée cette définition, qui vaut au niveau tant international qu'au niveau national, il faut déterminer comment elle s'incarne dans les faits.

Pour ce qui est de la fraude internationale, il faut sans doute considérer différents segments : il y a « des » fraudes internationales, comme il y a du reste aussi, sans doute, « des » fraudes nationales.

S'agissant des entreprises, on peut distinguer plusieurs types de comportements frauduleux différents.

En premier lieu, sont concernés les impôts directs des grands groupes transnationaux : c'est toute la problématique des prix de transfert, qui permet en quelque sorte de déplacer du résultat fiscal en fonction des taux d'imposition touchant les différentes entités nationales, notamment par surévaluation ou sous-évaluation de facturations internes. J'ai la faiblesse de penser que nous avons une action extrêmement rigoureuse sur ce phénomène bien connu et répertorié.

Ces grands groupes sont également à l'origine d'un autre type de fraudes : il s'agit de montages, pouvant impliquer des paradis fiscaux, destinés à réduire le résultat imposable en France par le jeu de contrats juridiques ne correspondant pas toujours à la réalité des opérations économiques. Ainsi, la répartition des résultats ou des masses financière ne coïncide pas celle des activités opérationnelles.

Dans ces deux cas, nous disposons de l'arsenal juridique du code général des impôts, dont la mise en oeuvre est plus ou moins complexe. Nous avons surtout des équipes très compétentes, réunies dans la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) et les directions interrégionales, dans une moindre mesure. Ces équipes sont spécialisées par secteur d'activité : brigades « banques », brigades « grande distribution », etc. Elles peuvent en outre bénéficier, en tant que de besoin, du soutien d'équipes de spécialistes de la fiscalité internationale. Il s'agit d'une action qui est donc assez vigoureuse, notamment au niveau des prix de transfert. Dans ce domaine, comme dans tous les autres, aucun pays au monde ne peut avoir la prétention de combattre la fraude dans sa totalité, mais je crois que, à cet égard, la comparaison internationale est plutôt avantageuse pour la France.

Voilà pour le premier « paquet » concernant les entreprises.

Le deuxième paquet relatif à la fraude internationale concernant les entreprises porte sur la question de la domiciliation. Le recours à la fausse domiciliation est un phénomène bien connu pour les particuliers, mais il est aussi le fait de personnes morales. Des entreprises entretiennent l'apparence d'un établissement à l'étranger alors que, en réalité, elles réalisent la totalité de leurs opérations en France et devraient donc être assujetties en totalité à la fiscalité française. Notre action consiste alors en une « redomiciliation », de sorte que la loi fiscale française s'applique à leur encontre.

Le troisième paquet concernant les entreprises recouvre toute la fraude à la TVA, notamment au niveau européen, au travers du système dit du « carrousel ». Ce phénomène, qui tend à se développer, nous inquiète beaucoup parce que les enjeux financiers sont très importants. On est là à la frontière entre l'évasion fiscale et l'économie mafieuse : il ne s'agit plus vraiment de fraude en « col blanc ».

Il s'agit en outre d'une fraude extrêmement complexe. Jusqu'à ces dernières années, nous souffrions d'une certaine inégalité dans le combat que nous menions contre cette fraude. D'un côté, les fraudeurs étaient extrêmement mobiles entre les pays européens. De l'autre, les administrations nationales péchaient dans la communication d'informations. Les États n'étaient pas armés juridiquement pour contrer des sociétés taxis agissant entre plusieurs pays à la vitesse des clics. Cependant, il me semble qu'une partie de cet écart a été comblée depuis quelques années.

La fraude aux quotas carbone a également beaucoup défrayé la chronique, en France comme dans la plupart de ses grands voisins européens. À cet égard, je rappelle que notre pays a été le premier à mettre fin à cette fraude en changeant le régime fiscal de ces quotas, dès le milieu de l'année 2009, alors que l'Allemagne ne l'a fait qu'un an plus tard.

Nous avons tiré de cet épisode un certain nombre d'enseignements sur ces secteurs immatériels, qui sont plus compliqués à appréhender. Il ne vous a sans doute pas échappé que, à l'occasion du collectif budgétaire du mois de février 2012, ont été votées des dispositions de nature à empêcher le développement de fraudes carrousel à partir des quotas de gaz et d'électricité en Europe ou des minutes téléphoniques prépayées. Ces secteurs nous apparaissent en effet particulièrement « fraudogènes ». Il s'agit d'une action totalement préventive. En l'espèce, la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), qui est un peu notre « tête chercheuse », notre service de renseignement, a joué tout son rôle de veille sur le développement de ces nouveaux secteurs.

S'agissant des particuliers, le phénomène est un peu mieux connu. Pour l'essentiel, on recense deux grandes sources de fraudes. La première est la fausse domiciliation, la seconde, le placement d'avoirs et d'actifs non déclarés à l'étranger, sujet sur lequel la DGFiP est très active depuis les années 2007-2008-2009. Nous avons véritablement commencé à nous emparer de ce sujet avec la transmission, par des administrations fiscales « soeurs », d'un premier fichier qui concernait le Liechtenstein. Puis est intervenue l'affaire du fichier HSBC. Entre-temps, l'OCDE a fait pression, il y a eu les paquets de mesures nationales que nous avons pu prendre dans ce domaine. Là, c'est notre direction spécialisée sur les grands comptes particuliers, la DNVSF, qui est en première ligne.

Je tiens à rappeler l'importance de l'information obtenue soit du contribuable, qui peut être désireux de régulariser sa situation, soit de l'assistance internationale, découlant des instruments juridiques internationaux. Ce n'est pas toujours simple ; il faut parfois aller chercher cette information « avec les dents ». Nous pouvons aussi constituer nos propres sources d'informations en créant des fichiers, tels que le fichier Évafisc, grâce à notre droit de communication que nous exerçons auprès des banques ou des opérateurs de cartes bancaires.

Enfin, madame Bricq, je n'avais pas l'impression que nous étions particulièrement en retard pour communiquer l'annexe budgétaire prévue à l'article 136 de la loi de finances pour 2011.

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