Intervention de Édouard Marcus

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 27 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Edouard Marcus sous-directeur du contrôle fiscal de mmes maïté gabet chef du bureau des affaires internationales joëlle massoni chef du bureau politique et animation du contrôle fiscal et M. Marc Emptaz chef de la mission pilotage

Édouard Marcus, sous-directeur du contrôle fiscal :

Non, cela va bien au-delà, en effet. Toutes sortes de contribuables entrent dans ce champ dès lors que les enjeux existent. Mais cette procédure répond à des objectifs bien spécifiques. Elle permet, en gros, de dépouiller l'ensemble des revenus d'un contribuable.

Dans le cas des dossiers très lourds et très complexes de ces gros contribuables, qui déclarent déjà des sommes extrêmement importantes, nous peinons à appliquer la règle du double compte tenu de l'état des revenus et du patrimoine en cause. Ce qui complique encore les choses, c'est qu'il s'agit de dossiers sur lesquels nous recueillons beaucoup d'informations par les sociétés qui gravitent autour, par les recoupements auxquels nous pouvons procéder. Bref, l'EFSP est, certes, un outil mais ce n'est pas forcément notre moyen d'action privilégié.

Vous ne manquerez pas de me demander comment nous faisons finalement pour détecter ces fameux comptes bancaires à l'étranger.

Nous avons commencé par utiliser tous les moyens de recherche pour nous procurer les données nécessaires auprès de ceux qui détiennent l'information.

Je citerai deux exemples. Grâce à l'article L. 96 A du livre des procédures fiscales, qui nous permet d'agir auprès des banques françaises qui font, pour leurs clients, des virements vers les paradis fiscaux, nous pouvons identifier un certain nombre de contribuables. Le deuxième exemple est illustré par l'opération conduite en France sur les personnes utilisatrices d'une carte bancaire étrangère. Nous essayons de rattacher la carte bancaire à un contribuable français, ce qui n'est pas toujours simple.

Nous avons aussi toutes les informations qui sont portées à la connaissance de l'administration fiscale, telles les fameuses listes évoquées tout à l'heure devant notre directeur général. Ces différents éléments sont rassemblés dans le fichier EVAFISC, qui a été déclaré voilà deux ou trois ans à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Ce fichier contient une base des données des contribuables qui n'ont pas forcément des comptes non déclarés à l'étranger mais qui sont susceptibles d'en avoir et donc de donner lieu à des enquêtes.

Je ne reviens pas sur cet autre outil important qu'est la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF).

Il existe une autre manière de lutter contre ces avoirs non déclarés à l'étranger. Nous avons ainsi fortement augmenté les sanctions contre les titulaires de tels actifs qui ne les déclaraient pas. Une première vague a porté l'amende pour compte bancaire non déclaré à 10 000 euros dans le cas des paradis fiscaux. Depuis la fin 2011, en cas de compte bancaire non déclaré à l'étranger supérieur à 50 000 euros, l'amende représente 5 % du solde du compte. Nous ne voulions pas en rester à 10 000 euros parce qu'une telle pénalité n'est pas suffisamment dissuasive lorsqu'elle affecte des comptes de plusieurs millions d'euros. Il s'agissait de toucher dans le vif.

Au nom de la même idée, nous avons appliqué le dispositif existant pour les comptes bancaires aux contrats d'assurance-vie.

Au moment du « collectif patrimoine », à l'été 2011, nous avons également pris des mesures à l'égard des trusts en leur imposant de faire une déclaration et en les soumettant à une obligation de payer un impôt. Nous nous employons à avoir une connaissance plus précise de ce secteur, nouveau pour nous.

Nous avons étendu les délais de prescription. En effet, quand un avoir est dissimulé à l'étranger, l'administration fiscale a besoin de temps pour enquêter, pour le découvrir et pour asseoir ses contrôles. Or, en France, la prescription est courte puisqu'elle est limitée à trois ans dans le cas général et portée à six ans dans certains cas de dissimulation. Nous avons mis en place une règle qui étend la prescription à dix ans lorsqu'un avoir est dissimulé dans tout État étranger.

Cette règle a deux intérêts : outre qu'elle nous donne le temps de conduire nos opérations, elle entraîne une sanction très forte, puisqu'elle expose l'auteur d'une fraude ou celui qui dissimule un avoir à un redressement beaucoup plus lourd portant non pas sur trois ans mais sur dix ans.

Faut-il aller plus loin ? Il arrive un moment où l'administration fiscale est confrontée à la difficulté de récupérer l'information susceptible d'ouvrir la taxation sur des années plus anciennes. Les enquêtes qui remontent le passé se heurtent à des limites. Je ne sais pas quel est le bon critère - dix ou quinze ans ? - mais je souligne que là est la limite du raisonnement.

Toutes ces mesures de prescription allongée, de sanctions renforcées s'appliquent, quel que soit le pays considéré, qu'il s'agisse ou non d'un paradis fiscal. En effet, d'une part, nous cherchons à développer l'échange d'informations - Mme Bricq a évoqué tout ce qui s'est passé depuis 2009 - d'autre part, même si le pays concerné est un pays avec lequel nous pratiquons l'échange d'informations, - nos voisins, nos partenaires, des pays qui suivent la même ligne fiscale que nous - il n'en demeure pas moins qu'un compte bancaire situé dans un autre État ne figure pas dans notre fichier « maison », le Fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) ce qui nous prive d'information. Supposons que nous ayons affaire à un pays étranger coopératif, un pays auquel nous pouvons demander l'information, il subsiste tout de même une frontière, une barrière, sinon opaque, du moins susceptible de rendre nos recherches plus difficiles.

Je me permets de revenir un instant sur nos échanges avec le procureur. Parmi les procédures de contrôle fiscal, il existe toute une série de règles qui nous permettent, même si la transmission par le procureur est tardive, de pouvoir quand même en tirer les conséquences : lorsqu'un fait est révélé dans une instance judiciaire, cela rouvre la prescription. Alors qu'elle est fixée à trois ans en droit commun, il arrive même qu'elle soit reportée jusqu'à dix ans. Les choses sont organisées pour que le délai de réactivité du procureur, s'il est d'une longueur modérée, ne nous soit pas définitivement dommageable.

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