adjoint au maire de Paris, chargé du budget, des finances et du suivi des sociétés d'économie mixte. - À Paris, nous avons une fâcheuse tendance à ne pas distinguer le département de la ville et nous établissons des tableaux consolidés.
D'abord, la mise en oeuvre de la réforme. Par son ampleur, elle méritait beaucoup de prudence et de précision. Cela ne nous semble pas avoir été le cas car, de notre point de vue, cette mise en oeuvre fut chaotique et brutale. Les informations nécessaires sur les ressources ne nous ont pas été délivrées en temps et en heure alors que les dépenses ont cru de manière certaine. Le délai pour appliquer la réforme, votée fin 2009, était court, Paris adoptant son budget vers le 15 décembre depuis 1977. En conséquence de ce télescopage avec le calendrier parlementaire, alors que nous avions annoncé pour 2008 et 2009 une hausse des impôts dont les taux étaient bloqués depuis 2000, nous n'avons pas pu les augmenter fin 2009. Du coup, la compensation-relais de 2010 (814 millions) n'a pas pris en compte la hausse des taux, et il en est résulté un manque à gagner de 30 millions d'euros. Cela illustre la perte partielle de la maîtrise du levier fiscal
L'autre mauvaise surprise a été l'absence de rôles supplémentaires émis par l'administration fiscale en 2011. De ce fait, Paris enregistre chaque année un manque à gagner de 10 millions d'euros. Notre cas n'est pas isolé. À cela s'ajoute la variation des recettes de CVAE notifiées en 2011 : 1 094 millions en mars, 1 289 millions en octobre, 1 170 millions finalement. Quand les collectivités sont contraintes à l'équilibre budgétaire, plus ou moins 10 % sur une recette de cette ampleur, ce n'est pas convenable.
Dernière étape, des modifications ont été apportées, si bien que nous n'avons pas bénéficié de la croissance des recettes de CVAE en 2011 : le montant a été figé à 1 170 millions d'euros, si bien que 2011 est devenu une année blanche. Enfin, le passage aux droits constatés à partir de 2012 a provoqué un manque à gagner l'année du changement de méthode.
En revanche, le volet « dépenses » s'est mis en place très massivement et très brusquement ; je veux parler de la péréquation. Vous en avez fait une base de votre questionnaire. Les ministres (Mme Lagarde, MM. Baroin, Hortefeux et Marleix) ont, dans leur lettre de janvier 2010 aux présidents de conseils généraux, lié la réforme fiscale et la péréquation. Le poids de ces transferts est considérable pour Paris.
Disons-le sans équivoque, la ville est favorable à la péréquation. Le maire de Paris l'a dit et je l'ai confirmé au comité des finances locales. Des collectivités exsangues conjuguent des difficultés structurelles avec des capacités limitées et l'État, soyons réalistes, ne peut plus corriger seul ces écarts de richesse. Cette solidarité, conforme à nos valeurs, répond à un besoin indiscutable. Néanmoins, et je l'avais également dit devant le comité des finances locales, cette réforme ne doit pas être brutale. Paris, ville et département, est touchée par toutes les réformes. Sa contribution aux divers fonds de péréquation a crû de 189 millions de 2010 à 2012, soit 7 points de fiscalité locale directe, alors que ses dépenses sociales obligatoires ont augmenté de 150 millions de 2007 à 2012 dans un contexte contraint.
S'agissant des droits de mutation à titre onéreux, Paris contribue au fonds de péréquation à hauteur de plus de 15 %. Paris est aussi le premier contributeur du Fonds de solidarité des communes d'Ile-de-France (FSRIF) ; il le finance à plus de 50 %. Ensuite, notre contribution au fonds de péréquation des recettes intercommunales et communales - FPIC (22 millions d'euros en 2012) dépassera une centaine de millions en 2015. Enfin, le fonds de péréquation de la cotisation économique sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui n'est pas encore créé, entrera en activité en 2013.
Bref, alors que la péréquation, pour être efficace, doit être lisible, la stratification des fonds, les règles de plafonnement et leur complexité paralysent le mécanisme, empêchant les collectivités territoriales et le citoyen d'en avoir une lecture claire, ce qui apparaît problématique dans une démocratie. Il y a évidemment une interaction entre la création de ces fonds et la diminution des dotations de l'Etat, illustrée par le gel de la DGF.
Paris souhaite participer à l'élaboration des ajustements et des modifications qui interviendront nécessairement sur le fonctionnement de ces mécanismes, à travers ses parlementaires ou en étant directement consultée. Quelles évolutions doit-on envisager ? Il ne serait pas illégitime de considérer, par exemple, le fait que Paris remplit des missions de centralité. Deux tiers des mineurs étrangers isolés sont gérés par Paris (45%) et par le département de Seine-Saint-Denis (20%) ; leur prise en charge représente 83 millions d'euros dans notre compte administratif pour 2011. De même, notre collectivité qui respecte ses obligations liées à la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) a consacré 4 milliards d'euros en treize ans à la construction de 70 000 logements sociaux, et cet engagement, qui fait l'objet d'un consensus extrêmement fort, pourrait légitimement être pris en compte dans les calculs des prélèvements aux fonds de péréquation. Tout cela pour vous dire que, le moment venu, Paris souhaite participer à la réflexion sur une réforme plus globale, comme nous l'avons fait lors de la réforme du FSRIF dans le cadre de Paris Métropole.
Quel bilan peut-on tirer de la réforme ? Sur le plan budgétaire, la réforme a globalement été neutre en 2010 si l'on met de côté les 30 millions de manque à gagner induits par la non-augmentation du taux, et les 20 millions des rôles supplémentaires. Encore une fois, le Conseil constitutionnel a jugé légitime de ne pas prendre en compte la hausse des taux de 2009 par les collectivités territoriales, pour éviter les effets d'aubaine, et cette décision s'impose à nous, mais à Paris, la hausse avait été annoncée dans la campagne électorale - et Bertrand Delanoë avait même annoncé que son montant serait « inférieur à 10% »...
En actualisant le montant 2010 de taxe professionnelle, et en rajoutant les 20 millions d'euros de rôles supplémentaires mais en soustrayant les 22 millions de plafonnement de la valeur ajoutée, nous aurions reçu 827 millions d'euros ; avec la réforme nous avons touché 772 millions, soit une perte de 55 millions en 2011. Pour 2012, si nous reprenons le chiffre annoncé de CVAE (1 231 millions) - c'est celui que nous avons reçu et il dépasse de beaucoup nos estimations- la perte atteint néanmoins 61 millions d'euros.
Nous avons besoin de recul pour évaluer les conséquences économiques de la réforme. Pour autant, les entreprises parisiennes, qui bénéficiaient d'un taux de taxe professionnelle parmi les plus bas de France, connaîtront du fait du taux uniforme de la CVAE une hausse d'environ 40 % de leur imposition ; et ce n'est qu'un début. Nous prévoyons un impact haussier de 600 millions d'euros en 2014, quand les dégrèvements et les lissages auront disparu. Je l'avais signalé en décembre 2010 devant Mme Lagarde quand elle siégeait au Conseil de Paris. Elle, qui expliquait combien la réforme serait bénéfique pour l'économie parisienne, ne m'avait pas démenti.
L'augmentation sera concentrée sur les grandes entreprises : sur 320 000 contribuables parisiens, 100 acquittent à eux seuls 30 % de la CVAE. Celle-ci touche d'abord le secteur bancaire et celui des assurances, très représentés à Paris. Or ce sont bien ces secteurs qui profitent le moins de la réforme, comme vous l'avez écrit dans votre note d'étape. Les cartes d'attractivité des territoires seront donc rebattues. La municipalité parisienne ne tirera évidemment pas profit du surplus de recettes, puisqu'il sera reversé au Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). Je le précise car la droite parisienne, depuis un an, aime à entretenir l'ambigüité.
Pour conclure, cette réforme est d'une complexité inouïe pour les collectivités territoriales comme pour les citoyens. Pour exemple, la ville de Paris a annoncé qu'elle n'augmenterait plus les impôts jusqu'à la fin de la mandature ; mais les transferts d'impôts ont rendu ce discours difficilement audible, quand le contribuable reçoit sa feuille d'impôt. Cela nuit à la clarté de l'action publique, qui est pourtant un impératif en matière fiscale par les temps qui courent.
En outre, contrairement aux annonces ministérielles, Paris enregistre un manque à gagner cumulé de 120 millions. La visibilité sur nos ressources et les dépenses de péréquation est faible, alors que nous avons besoin d'une programmation pluriannuelle de nos investissements, comme toutes les collectivités auxquelles la loi fait obligation de tenir un débat d'orientation budgétaire pluriannuelle.
Enfin, il n'est pas possible pour les élus que nous sommes d'éluder toute réflexion sur l'autonomie locale, dont l'autonomie fiscale est l'une des bases. Nul ne songe dans cette Haute Assemblée à mettre en cause le prestigieux article premier de la Constitution, qui garantit l'organisation décentralisée de la République. Réduire considérablement les capacités d'action des collectivités territoriales avec l'une de leurs recettes les plus importantes n'est pourtant guère cohérent avec ce principe...