ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale est une priorité du Gouvernement depuis 2007, tout simplement parce que c'est d'abord et avant tout une question de justice et d'équité.
Les Français n'ont pas à payer l'addition fiscale que leur laissent tous ceux qui trichent en cherchant à échapper à l'impôt, pas plus qu'ils n'ont à accepter que des fraudeurs tentent, en toute illégalité, d'échapper à la redistribution des richesses ou même, comme aujourd'hui, à l'effort national de réduction des déficits publics.
Depuis cinq ans, notre détermination pour lutter contre cet incivisme intolérable est donc totale, avec trois maîtres mots : dissuasion, contrôle et répression.
Et parce que, sous l'impulsion du Président de la République, nous y consacrons des moyens considérables et sans précédent, nous commençons à gagner ce combat.
En quatre ans, nous avons ainsi doté l'administration fiscale de moyens qui ne lui avaient jamais été donnés pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, notamment contre les fraudes les plus complexes, et donc les plus coûteuses.
Notre priorité a été d'améliorer notre capacité de contrôle en renforçant considérablement notre arsenal juridique, technique, informatique et humain.
En effet, en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, il n'y a qu'une stratégie qui soit vraiment efficace : la peur du gendarme. Et, pour que le gendarme fasse peur, il faut qu'il soit beaucoup mieux armé que les fraudeurs.
C'est le sens du renforcement des outils de l'administration fiscale, que nous avons organisé méthodiquement, avec pas moins de vingt-trois mesures prises depuis 2007.
D'abord, nous avons renforcé la capacité d'enquête de la direction générale des finances publiques, la DGFiP, pour que ses contrôles soient mieux ciblés et les plus efficaces possibles.
L'éventail des outils juridiques que nous avons mis en place est très large, et nombre des vingt-trois mesures fiscales ont été votées à l'unanimité au Parlement.
Je veux insister principalement sur quatre outils.
Premièrement, nous avons mis en place un droit de communication pour que l'administration fiscale puisse obtenir de toutes les banques installées en France des informations sur les opérations de transferts de fonds réalisées à l'étranger. Concrètement, le fisc peut désormais connaître très facilement tous les mouvements de fonds réalisés par tel ou tel contribuable avec tel ou tel État, numéros de compte à l'appui.
Au total, 449 banques ont ainsi pu être interrogées sur l'identification des personnes ayant réalisé des virements supérieurs à 15 000 euros à destination de paradis fiscaux, ce qui a permis d'établir une liste de 1200 contribuables.
Deuxièmement, nous avons créé le fichier des évadés fiscaux, EVAFISC, qui nous permet d'avoir une base de données laissant présumer la détention de comptes bancaires hors de France par des particuliers ou des entreprises. EVAFISC est nourri par les réponses des banques, ainsi que par le service TRACFIN - Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins - et par tous les outils de l'État. Il comporte à ce jour plus de 95 000 informations sur des comptes bancaires de particuliers ou d'entreprises.
Troisièmement, nous avons mis en place une police fiscale, qui permet désormais au fisc d'utiliser des prérogatives de police judiciaire, comme la mise sur écoute ou les perquisitions, lorsqu'il travaille sur des formes de fraudes complexes. Alors que cette police fiscale compte moins d'un an d'activité, près de 60 affaires sont déjà traitées par les treize officiers fiscaux judiciaires de la DGFiP.
Pour vous donner un exemple très concret de la différence entre le fisc et la police fiscale, alors que le fisc doit prévenir au préalable le contribuable chez lequel il veut perquisitionner - on est dans une démarche administrative -, la police fiscale, elle, a le droit de perquisitionner - sous le contrôle du juge, évidemment - sans prévenir, démarche vraiment beaucoup plus efficace qu'un simple contrôle administratif du fisc « ancienne manière ».
Quatrièmement, enfin, nous avons instauré des outils de lutte contre la fraude de type « carrousel » de TVA. Face à ce phénomène européen de grande ampleur, nous avons pris des mesures législatives dissuasives à l'échelon national et placé la lutte contre cette fraude au coeur de la stratégie des services de contrôle fiscal.
S'il est vrai que nous avons d'abord été un peu surpris et pris de court par ces mécanismes, nous en avons maintenant véritablement fait une question centrale : nous avons évidemment agi non seulement sur le plan national, mais aussi sur le plan européen ; nous avons mis en place un système d'échange d'informations entre États membres, EUROFISC, lequel a été adopté au second semestre 2008, sous la présidence française de l'Union européenne, donc sous notre impulsion.
Ensuite, toujours dans le cadre du renforcement des outils de l'administration fiscale, nous avons amélioré la coopération entre les services de l'État, notamment par des croisements de fichiers, ce qui était également absolument indispensable.
Par exemple, cette coopération a joué à plein dans l'exploitation des fichiers HSBC et du Lichtenstein par l'administration fiscale, laquelle a travaillé avec la justice, la police et les douanes.
Nous avons également approfondi, avec la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, les échanges entre l'administration fiscale et les organismes nationaux de protection sociale. Ces échanges permettent de croiser les fichiers et, notamment, d'éviter le versement de prestations indues. Bien évidemment, ils nous permettent aussi d'améliorer encore nos contrôles sur les trains de vie des allocataires de prestations sociales ou de minima sociaux et, ainsi, de déceler certaines fraudes.
Dernier axe de renforcement : la cellule de régularisation, qui a fonctionné d'avril à décembre 2009. Ayant décidé que le contrôle devait être beaucoup plus strict pour les contribuables ayant des comptes non déclarés, nous avons tendu la main à ceux qui souhaitaient se mettre en conformité avec le droit plutôt que d'être rattrapés par le contrôle. Via la « cellule de régularisation », ces derniers ont pu déclarer leurs actifs et sortir de l'illégalité, sous réserve de payer les impôts et les pénalités afférents.
Enfin, sur le plan des ressources, aucun poste de vérificateur fiscal n'a été supprimé dans le contrôle fiscal depuis 2007. Nous n'avons pas appliqué à l'aveugle la règle du non-remplacement de un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, dont on parle souvent ; nous en avons fait un usage ciblé.
Les emplois de ces agents, qui sont en première ligne dans la lutte contre la fraude, ont donc été sanctuarisés pendant le quinquennat.
Mesdames, messieurs, nous avons su être cohérents : lutter contre la fraude nécessite non seulement des outils juridiques adaptés, mais aussi des moyens humains. L'effectif des 4500 vérificateurs en charge de lutter contre la fraude a donc été stabilisé. Cet effort est d'autant plus important que, sur la même période, c'est-à-dire depuis 2008, les effectifs de la direction générale des finances publiques ont été réduits de 10 %, ce qui correspond à 12 500 postes de moins.
Lutter contre l'évasion fiscale, c'est aussi mettre fin, par la loi nationale, aux schémas d'optimisation, en supprimant les « trous » dans l'assiette. Je parle sous le contrôle de Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances : elle sait que nous avons comblé beaucoup de trous.
Le combat contre l'évasion fiscale ne se gagne pas uniquement par des moyens coercitifs ; il suppose également de sécuriser la législation fiscale afin de ne plus permettre, par le jeu de montages ou d'interprétations inventives, les « évaporations » de matière imposable.
Afin de fermer toutes les voies d'optimisation, la loi doit donc être aussi précise que possible ; elle doit être adaptée.
En la matière, le bilan du quinquennat démontre la volonté du Gouvernement : c'est plus d'une trentaine de mesures fiscales qui ont été prises pour renforcer l'assiette fiscale, qu'il s'agisse de l'impôt sur les bénéfices des entreprises ou de l'impôt sur le revenu.
J'en prendrai plusieurs exemples.
Nous avons supprimé les mécanismes d'optimisation des quotes-parts pour frais et charges dans l'application du régime « mère-fille » de taxation des dividendes.
Nous avons renforcé les règles de lutte contre la sous-capitalisation, laquelle permet à certaines sociétés de maximiser la déduction d'intérêts d'emprunts.
Nous avons taxé les biens détenus dans le cadre des trusts.
Nous avons supprimé la possibilité pour les non-résidents d'utiliser des sociétés civiles immobilières pour échapper à l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF.
Nous avons plafonné les niches fiscales, ce qui était inédit, et nous en avons baissé plusieurs fois le plafond.
Enfin, à l'automne dernier, nous avons, mis en place l'exit tax.
Ce n'est là qu'un florilège de la trentaine de mesures de comblement de l'assiette fiscale que nous avons prises.
Ce volet essentiel de la lutte contre l'évaporation de notre assiette fiscale est trop souvent négligé. C'est la raison pour laquelle je tenais, mesdames, messieurs les sénateurs, à en faire part à votre commission d'enquête. Ces mesures, souvent très techniques, passent quelquefois inaperçues. Pourtant, elles sont au coeur de la lutte contre l'évasion fiscale, car elles seules peuvent faire échec à l'imagination des conseillers fiscaux pour échapper à l'impôt en toute légalité.
Pour être efficace, le combat contre l'évasion fiscale doit aussi dépasser les frontières.
C'est la raison pour laquelle, depuis la fin de l'année 2008, le Président de la République a pris la tête de la mobilisation de toute la communauté internationale contre les États et les territoires non coopératifs.
Ainsi, c'est grâce à l'engagement personnel de Nicolas Sarkozy et à celui de la chancelière allemande que le G20 s'est saisi de la question de la transparence fiscale lors du premier sommet de Washington en 2008 et que des résultats concrets ont été obtenu dès 2009, lors du sommet de Londres.
Désormais, la transparence, la levée du secret bancaire, la coopération entre administrations fiscales sont reconnues à travers le monde entier. Qui aurait pu l'imaginer il y a seulement cinq ans ?
De nombreux pays ont modifié leur législation nationale afin de la rendre conforme aux engagements pris. Sur le continent européen, je pense au Liechtenstein, à l'Autriche, au Luxembourg. Mais je pense aussi à certains grands centres financiers asiatiques, comme Hong Kong ou Singapour, ou encore à des paradis fiscaux comme les Îles Caïman, les Îles Vierges britanniques ou les Bahamas.
Ces évolutions sans précédent ont en particulier été encouragées par la publication par l'OCDE de listes classant les juridictions en fonction de leur degré de transparence en matière fiscale.
Cette stratégie de stigmatisation, qui vise à inciter les paradis fiscaux à revenir dans le droit chemin, a immédiatement porté ses fruits : plus de 700 accords bilatéraux d'échange d'informations ont été signés à travers le monde depuis 2009, soit bien davantage que tout au long de la décennie précédente.
Cet indéniable succès donne une vraie leçon à tous ceux qui doutent de l'action politique parce que, là où tant de responsables politiques se sont contentés de dénoncer les paradis fiscaux sans jamais agir, le Président de la République a su démontrer que l'on pouvait, à force de volonté, avoir raison des citadelles les plus imprenables et, surtout, obtenir un consensus international sur des questions paraissant insolubles - et qui, en tout cas, le sont au niveau national.
Bien évidemment, la signature d'accords d'échange de renseignements n'est qu'un premier pas : nous devons nous assurer que ces accords sont suivis d'effets concrets.
Nous y avons veillé en mettant en place un Forum mondial qui assure le suivi des engagements pris et évalue l'efficacité de l'échange. Ce Forum permet de maintenir une pression très forte sur l'ensemble des paradis fiscaux, lesquels restent sous la menace de sanctions en cas de non-respect de leurs engagements.
Nous avons également veillé à ce suivi en traduisant dans l'ordre juridique national les engagements pris dans les enceintes multilatérales.
Le Gouvernement a très rapidement ouvert des négociations pour signer des accords bilatéraux avec les États figurant sur la liste de l'OCDE. Depuis cette date, 41 accords sont d'ores et déjà entrés en vigueur. Comme vous pouvez le constater, nous sommes donc, en matière de transparence, l'un des pays les plus investis dans la lutte contre les paradis fiscaux.
Parallèlement, nous avons durci les sanctions fiscales pour les États et les territoires qui refuseraient d'être coopératifs.
Parmi ces sanctions figure l'interdiction de principe de déduire les charges afférentes à des dépenses acquittées dans les États concernés - ce qui peut représenter des coûts très importants pour une entreprise.
Autre sanction : la majoration des taux de retenue à la source sur les flux financiers à destination des États concernés, de manière à faire perdre à ces derniers leur attractivité fiscale.
Nous avons également prévu la non-application de l'exonération des plus-values de titres et des dividendes en provenance des sociétés implantées dans un État ou dans un territoire non coopératif.
Enfin, nous avons créé une obligation documentaire spécifique et renforcée en ce qui concerne les transactions de toute nature réalisées par les groupes internationaux avec des entités situées dans un paradis fiscal.
Grâce à l'outil fiscal, c'est un véritable arsenal de sanctions économiques contre ces États que nous avons ainsi déployé.
Les sanctions concernent les États identifiés par l'OCDE et n'ayant pas signé d'accords avec la France, mais elles auront aussi vocation à s'appliquer à tous les États qui, avec le recul de l'expérience, n'appliqueraient pas les accords qu'ils ont signés avec la France de manière satisfaisante ; j'insiste sur ce point. Il s'agit d'éviter qu'un État ne signe un accord sans intention de l'appliquer, dans le seul but de sortir de la liste établie par l'OCDE.
Nous restons plus que jamais vigilants. Nous évaluerons chacun des accords ainsi que leur application et, s'il le faut, nous réinscrirons des États sur notre liste nationale, pour leur appliquer les sanctions prévues par notre législation.
Pour terminer, la stratégie face à la fraude et l'évasion fiscales a montré sa redoutable efficacité au travers des recettes fiscales qu'elle a d'ores et déjà rapportées à l'État.
Vous le savez, le contrôle fiscal a rapporté 16 milliards d'euros en 2010, soit 1 milliard d'euros de plus qu'en 2009.
Les premiers éléments - non définitifs - dont nous disposons pour 2011 témoignent de la poursuite de cette progression.
Ainsi, le nombre de comptes bancaires à l'étranger déclarés s'est établi à près de 77 000 en 2010, contre environ 25 000 en 2007 ; il a donc triplé sur la période.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous admettrez que c'est une très forte progression ! Nous ne pouvons que saluer cette volonté de transparence des contribuables, qui montre aussi l'efficacité de l'action gouvernementale.
En outre, la cellule de régularisation que j'évoquais tout à l'heure a permis de régulariser la situation de 4 700 contribuables et de rapatrier en France 7 milliards d'euros d'avoirs, lesquels produiront à l'avenir de nouvelles recettes fiscales. La régularisation elle-même a rapporté à l'État 1,2 milliard d'euros de droits et pénalités. C'est un excellent résultat, qui n'a aucun équivalent dans le passé.
Par ailleurs, vous le savez, un dispositif de contrôle exceptionnel concernant la « liste des 3 000 » de l'affaire HSBC a été mis en oeuvre. Huit cents contrôles ont d'ores et déjà été engagés, dont 350 sont achevés, avec 160 millions d'euros de recettes fiscales à la clé.
Les fraudes à la TVA de type « carrousel » réprimées sur la période 2008-2010 s'élèvent à 1 milliard d'euros. En 2010, l'administration a déposé, à l'encontre de leurs investigateurs, 29 plaintes pour fraude fiscale et 12 plaintes pour escroquerie.
Enfin, le nouveau système EUROFISC a permis l'échange, en 2011, de plus de 45 000 informations, portant sur 16 000 sociétés, pour un montant de transactions de 10 milliards d'euros.
Bien évidemment, ces résultats vont encore s'accroître, parce que tous les outils que nous venons de mettre en place et qui permettent à l'administration fiscale de planifier des contrôles de plus en plus ciblés vont monter en puissance. En réalité, l'enjeu ne porte pas sur le nombre de contrôles effectués ; il s'agit de réussir à cibler le contrôle en amont pour tomber pile sur le fraudeur et, de cette manière, rendre l'administration plus efficace.
Ainsi, la direction générale des finances publiques a mené une action afin d'identifier tous les achats effectués avec des cartes bancaires étrangères par des résidents français. Cela signifie que nous sommes aujourd'hui en mesure d'identifier les résidents français qui détiennent des comptes à l'étranger, y compris, donc, des comptes non déclarés. Ce test a été concluant puisque près de 100 contrôles ont pu être lancés grâce à ce dispositif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est le premier bilan de notre lutte contre la fraude et l'évasion fiscale que je voulais vous présenter en attendant vos questions.
En toute franchise et en toute impartialité - si l'on peut être impartial à la veille des prochaines échéances politiques-, jamais aucun gouvernement n'avait affiché de tels résultats concrets en la matière. Nous avons pris des mesures strictes et audacieuses pour récupérer l'argent qui est dû à la République et à la nation. Dissuasion, contrôle et répression : telle est la voie que nous avons choisie. C'est la plus efficace et, surtout, c'est la seule que les Français acceptent.