Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Merci pour ces paroles de bienvenue, venir devant votre commission est un plaisir renouvelé.

La discrétion étant de mise en période électorale, la Cour des comptes n'a publié aucun document de sa propre initiative depuis le 1er mars dernier, manière de laisser place au débat démocratique. La LOLF nous conduit néanmoins à présenter au Parlement l'acte de certification des comptes de l'État ainsi que le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État. Ces deux synthèses sont adoptées par la formation interchambres permanente que Raoul Briet préside depuis sa prise de fonctions en mars.

Ce rendez-vous est le premier d'une série qui donnera à la Cour l'occasion de dresser un panorama complet de la situation de nos finances publiques. Il sera suivi d'une présentation du rapport sur la certification des comptes du régime général de la sécurité sociale le mois prochain, puis du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Si ce dernier est traditionnel en ce sens que la LOLF le prévoit, il comportera, cette année, des analyses approfondies sur les années 2012 et 2013 afin de répondre à la demande du Gouvernement. Je mesure les attentes exprimées à l'égard de cet audit et la responsabilité, qui est celle de la Cour, d'y répondre en apportant toutes les garanties d'indépendance et de neutralité, de précision et de pertinence. Soyez certains que, le moment venu, la Cour délivrera un message clair et impartial sur les enjeux du redressement des comptes publics.

Le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État consiste à mettre en regard l'exercice budgétaire de 2011, qui est clos, et les prévisions de la loi de finances initiale, celles des quatre lois de finances rectificatives et les dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour la période 2011-2013. S'il évoque des opérations susceptibles d'emporter des effets sur les prochains exercices, il vise d'abord à éclairer le débat sur la loi de règlement pour 2011. Pas moins de soixante analyses détaillées par mission budgétaire lui sont annexées. Fait nouveau, celles-ci sont intégralement publiées sur notre site Internet qui vient de faire peau neuve.

Quant à l'acte de certification, il porte sur la comptabilité générale de l'État. Cette comptabilité en droits constatés est distincte de la comptabilité budgétaire, par encaissements et décaissements, analysée dans le rapport sur l'exécution budgétaire. Cet acte, lui aussi, ne porte que sur les comptes de 2011, bien qu'il contienne des éléments sur le provisionnement de certains risques durables pouvant affecter les exercices ultérieurs.

C'est donc en juin, et seulement alors, que la Cour délivrera son analyse sur l'état des finances publiques. Ce sera l'occasion de mettre en évidence l'ampleur des efforts à consentir pour tenir la trajectoire de réduction des déficits sur laquelle le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés. Aujourd'hui, je m'en tiendrai à planter le décor.

D'abord, l'exécution budgétaire de 2011 est marquée par l'amélioration réelle et incontestable du solde budgétaire. Et ce, pour la première fois depuis 2007. Cette évolution était attendue, les dépenses budgétaires exceptionnelles qu'ont constituées le plan de relance, les investissements d'avenir et la réforme de la taxe professionnelle venant à leur fin. En 2011, le déficit du budget de l'Etat s'élève à 90,72 milliards d'euros. Il représente 4,55 % du PIB, contre 7,70 % en 2010, ce qui est conforme à la prévision de la loi de programmation et du programme de stabilité. Ainsi, l'État, qui est l'une des trois composantes du déficit public avec les collectivités territoriales et la sécurité sociale, a rempli ses objectifs.

L'amélioration, si l'on neutralise l'effet des dépenses exceptionnelles en 2010, s'élève plutôt à 14 milliards que 58 milliards. Nous la devons au fait que l'objectif de redressement a constamment sous-tendu la programmation et l'exécution budgétaire. La loi de programmation actuelle, contrairement à la première, mise entre parenthèses en raison de la crise, a guidé la construction du budget voté en loi de finances initiale. Surtout, en dépit des aléas de la conjoncture économique, les lois de finances rectificatives se sont efforcées de ne pas dégrader la prévision de déficit. Des annulations de crédit ont compensé les abondements de crédit ; les mesures fiscales sont venues augmenter le produit des impôts, non le réduire.

Pour autant, la vigilance s'impose quand le déficit de 2011 est très supérieur aux niveaux atteints avant la crise : 34,4 milliards de plus qu'en 2008 et 52,3 milliards de plus qu'en 2007. Si la part des collectivités territoriales et, surtout, celle des régimes de sécurité sociale dans le déficit public ne variaient pas, le déficit de l'État en 2011 resterait près de deux fois supérieur à celui qui permettrait de stabiliser le poids de la dette publique dans le PIB, soit 2,6 % environ. Un constat qui illustre combien la dégradation du solde budgétaire au cours des derniers exercices, qu'elle soit liée à la crise, aux initiatives budgétaires et fiscales ou aux deux à la fois, a durablement affecté une situation détériorée par un déficit structurel vieux de trente ans. Cela impose des efforts de redressement très importants et continus pour sortir notre pays de la zone dangereuse dans laquelle il est entré. Il faudra non seulement stabiliser, mais aussi réduire l'endettement.

Ensuite, parce que chaque exercice est caractérisé par de bonnes et de mauvaises surprises, 2,5 milliards d'euros d'éléments exceptionnels ont amélioré le solde de 2011. A ce stade, nul ne sait s'ils s'inverseront en 2012. Toujours est-il ce que, sans être considérables, ils ont permis le respect de la trajectoire.

L'amélioration du déficit repose essentiellement sur un redressement des recettes fiscales de 16 milliards d'euros si l'on neutralise l'impact de la réforme de la taxe professionnelle. Cela confirme le rebond observé en 2010. Toutefois, le niveau de ces recettes demeure inférieur de 12 milliards en euros courants à celui atteint avant la crise.

Deuxième constatation, les dépenses sont maîtrisées, quoique les objectifs de réduction restent lointains. La progression des dépenses du budget général a nettement ralenti puisque, hors plan de relance et investissements d'avenir en 2010, elle a atteint 0,32 %, soit un taux sensiblement inférieur à l'inflation de 2,1 %.

Conformément à la loi de programmation, ont été appliquées au budget 2011 la norme « zéro volume », qui impose aux dépenses du budget ainsi qu'aux prélèvements sur recettes une progression au plus égale à l'inflation, et la norme « zéro valeur », plus stricte en ce qu'elle prescrit une stabilisation des dépenses en euros pour le même périmètre, hors charge de la dette et pensions. Si les périmètres sont trop restreints et les normes contournées par les dépenses fiscales ou les débudgétisations, l'outil a indéniablement contribué à la maîtrise de la dépense. Le résultat est méritoire quand certaines composantes sont très dynamiques. Je pense, en particulier, à la charge de la dette qui a augmenté de 5,2 milliards par rapport à 2010 - c'est dire la sensibilité de notre pays à son endroit.

Pour parvenir à l'objectif d'une consolidation budgétaire durable, la maîtrise des dépenses publiques devra être encore plus résolue sur les champs que la loi de programmation désigne comme prioritaires : les dépenses de personnel, les dépenses fiscales, les dépenses d'intervention et les dépenses destinées aux opérateurs de l'État.

La progression quasi-mécanique des dépenses de personnel a fortement ralenti en 2011, notamment parce que la masse salariale a augmenté de 0,48 % seulement. Il y a deux lectures de ce chiffre : l'une, optimiste, fera valoir qu'il s'agit de la plus faible progression depuis des années ; l'autre, pessimiste, soulignera l'importance de ce chiffre malgré la diminution des effectifs de 32 000 emplois en 2011 et le gel du point d'indice. Trois raisons expliquent ce paradoxe apparent : le coût du retour catégoriel, - qui a représenté dans certains ministères davantage que la moitié des économies générées -, l'impact mécanique du « GVT positif », - c'est-à-dire des avancements de carrière -, la croissance des heures supplémentaires, principalement dans l'Education nationale. La réduction en valeur de la masse salariale, que la loi de programmation évoque pour 2013, sera très difficile à atteindre.

D'autant que les dépenses de pensions restent dynamiques, avec une augmentation de 1,8 milliard d'euros sur le programme du compte d'affectation spéciale. Les réserves accumulées des exercices précédents ont été réduites, puisque l'on a décidé de ne pas augmenter le taux de contribution de l'État employeur en 2011. Le même choix ayant présidé à la loi de finances initiale pour 2012, le fonds de roulement sera consommé à brève échéance. Pour le reconstituer, l'Etat, dès 2013, devra consentir une hausse significative de sa contribution. Preuve, s'il en est, que certaines décisions peuvent affecter les dépenses futures.

S'agissant des dépenses fiscales, leur coût a diminué de 800 millions d'euros en 2011 par rapport à 2010. Il reste cependant supérieur de 1,9 milliard au niveau de 2009. Ce résultat repose sur des mesures décidées en 2009, ce qui témoigne du temps nécessaire pour inverser la dynamique spontanée des dépenses fiscales. Cet effort ne suffira pas, les dépenses affichant une croissance spontanée souvent soutenue et au-delà des estimations du Gouvernement. Surtout, la stratégie de réduction des dépenses fiscales ne repose pas assez sur l'évaluation de leur efficacité. J'y reviendrai.

La loi de programmation affiche l'objectif très ambitieux de réduire de 10 % les dépenses d'intervention à l'horizon 2013 par rapport à 2010. En réalité, le but était de stabiliser les dépenses de guichet et de réduire les dépenses discrétionnaires. A cette aune, l'exécution de 2011 est conforme aux prévisions de la loi de finances initiale. Cependant, elle traduit, tout au plus, une stabilisation en volume en comparaison de 2010. De surcroît, les modifications de périmètres empêchent toute mesure précise. Parallèlement, de nombreux dispositifs de guichet connaissent, depuis plusieurs exercices, une substantielle croissance spontanée, en particulier les bourses d'enseignement supérieur, l'allocation temporaire d'attente ou encore l'aide médicale d'État. Pour stabiliser durablement les dépenses d'intervention, il faudra en passer par des réformes structurelles et modifier les conditions d'attribution des ces droits.

Enfin, sur l'application des règles transversales aux opérateurs de l'État, il est difficile de conclure quand les universités ayant accédé à l'autonomie, qui reçoivent près de la moitié des crédits alloués aux opérateurs, ont été dispensées de cet effort. Mission par mission, nombreux sont ceux qui ont fait l'objet d'un traitement sur mesure, ce qui pouvait se justifier dans certains cas. Autre difficulté, l'absence de données consolidées, fiables et calculées à périmètre constant. Toutefois, si l'on s'attache aux seules subventions pour charge de service public, l'hypothèse que les dépenses continuent de progresser, comme c'est la tendance depuis le milieu des années 2000, est la plus probable : à périmètre constant, elles ont augmenté de 1 milliard par rapport à 2010.

Troisième observation, les outils de pilotage et d'évaluation des dépenses manquent. Or ils sont indispensables pour suivre l'application de la loi de programmation. La loi ne définit pas les dépenses fiscales, la Cour le déplore régulièrement. Résultat, 62 milliards de dispositifs ne sont pas répertoriés officiellement, un montant équivalent au coût des dépenses fiscales figurant effectivement dans la liste.

Les plafonds d'emplois des opérateurs sont intrinsèquement fragiles. Leur contrôle est tardif et incertain. Et la perpétuation des emplois hors plafond, notamment dans l'Education nationale, ne garantit pas la maîtrise des dépenses de personnel.

Certains crédits ouverts en loi de finances initiale sont manifestement sous-évalués, ce qui pose question au regard du principe de sincérité budgétaire. Il s'agit notamment des bourses étudiantes et des dépenses d'asile.

Cette situation appelle des évolutions rapides. Au cours de la phase contradictoire, la direction du budget a dit travailler à une cartographie précise et opérationnelle des dépenses par sous-ensembles cohérents susceptibles de constituer les briques d'une programmation optimisée. Nous serons particulièrement attentifs à l'avancement de ces travaux.

En outre, la stratégie de maîtrise des dépenses repose très majoritairement, pour ne pas dire exclusivement, sur des normes transversales appliquées à des périmètres donnés. Si une telle approche est nécessaire, l'évaluation et la performance ne sont pas un accessoire de luxe. Elles doivent être mobilisées dans une perspective opérationnelle. Or elles sont peu prises en compte, comme le montre le bilan d'une décennie d'application de la LOLF, pour la programmation des crédits. Idem pour la politique de réduction des niches sociales et fiscales et des dépenses d'interventions. Ont été modifiés, non les cibles prioritaires, mais les dispositifs qui pouvaient être réduits parce que peu rigides.

La Cour, dans son rapport sur le bilan de la LOLF, rappelait l'un des objectifs de la loi organique : réhausser l'importance de la loi de règlement en faisant des résultats des politiques publiques des juges de paix pour l'allocation de la dépense l'année suivante. Cela ne s'est pas produit.

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