Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 30 mai 2012 : 1ère réunion

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin, rapporteure de la mission d'information sur le métier d'enseignant :

Je passerai rapidement sur le constat et le diagnostic et me concentrerai sur nos préconisations pour surmonter la crise actuelle du métier d'enseignant.

Personne ne contestera, après les auditions, la réalité de la souffrance ordinaire des enseignants. Ces derniers sont soumis en permanence à des injonctions contradictoires qui les empêchent de mener à bien leurs missions. Ils ont l'impression de ne pouvoir faire du bon travail, de devoir répondre aux injonctions extérieures, plus ou moins légitimes, et de ne pas réussir à incarner ce que doit être un « bon enseignant ». Parallèlement, les conflits s'exacerbent au sein du monde scolaire, notamment avec les chefs d'établissement. Pourtant, malgré cette souffrance, les enseignants font tout au quotidien pour amortir les conséquences des réformes sur la scolarité de leurs élèves. Je salue leur engagement et leur dévouement.

Les causes de la crise du métier sont à chercher en partie du côté de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a systématiquement mis les impératifs financiers devant l'ambition pédagogique, mais la succession rapide des réformes aboutissant à une prolifération des missions imparties à l'école et au déplacement du coeur de métier en est aussi responsable. Enfin, de l'aveu général, la mastérisation est un échec qui a fragilisé dangereusement la formation des enseignants. Elle a été appliquée différemment selon les académies et les universités, au mépris du principe d'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Elle a affaibli la préparation à l'entrée au métier et asséché le vivier de recrutement.

Que pouvons-nous faire pour redresser la situation ? Pour soigner le métier d'enseignant, il faut avant tout soigner l'école. Le tort des réformes récentes est d'avoir brouillé le sens de l'école pour les élèves, les parents et les enseignants. L'idée même d'une éducation nationale garantie à tous s'est affaiblie avec la multiplication des expérimentations non évaluées, les disparités des politiques académiques et l'accroissement de la pression évaluative sur les enfants et sur les personnels.

Pour refonder l'école, il faut redonner un cap clair au service public de l'éducation. Un mot pour le définir : l'émancipation. Il faut recentrer l'école sur l'objectif de démocratisation de l'accès au savoir.

Le précédent gouvernement réservait des dispositifs, comme les internats d'excellence, aux élèves dits méritants. Parallèlement, on a stimulé le préapprentissage et miné le collège unique, tandis que les biais sociaux et sexués dans l'orientation perduraient. C'est là un dévoiement de la logique méritocratique qui finit par justifier les inégalités scolaires, en faisant de l'échec scolaire la sanction d'une supposée incapacité personnelle de l'élève, presque consubstantielle à sa nature. Je souhaite que prime sur la fonction de sélection de l'école celle d'éducation de tous les enfants.

Le métier d'enseignant doit être redéfini pour répondre à cet objectif de démocratisation de l'accès au savoir, au coeur de la mission de l'éducation nationale. Les pratiques didactiques et pédagogiques doivent s'appuyer sur la conviction que tous les enfants sont capables d'apprendre. Le fondement du renouveau de l'école et du travail enseignant réside, selon moi, dans le principe du « tous capables ». Il faut développer une autre vision des élèves, dénaturalisée, humaniste et ambitieuse, en adéquation avec la recherche en psychologie du développement, en sociologie et en sciences de l'éducation.

Avant d'engager toute nouvelle réforme, qui nécessitera par ailleurs une concertation approfondie, des mesures urgentes doivent être prises pour soutenir un métier en crise. L'arrêt de la RGPP doit être immédiatement prononcé et un premier collectif budgétaire adopté pendant l'été afin de suspendre les suppressions de postes prévues à la rentrée 2012. Parallèlement, il faut lancer un plan de recrutement pluriannuel pour couvrir les départs en retraite et les évolutions démographiques à venir. Dans ce cadre, l'école maternelle devrait bénéficier d'un effort particulier afin de permettre la préscolarisation dès 2 ans de tous les enfants dont les familles le souhaitent, notamment en éducation prioritaire et en zone de revitalisation rurale. De même, un volet spécial devrait être consacré à l'outre-mer afin de permettre notamment une pleine scolarisation en primaire dès 6 ans de tous les enfants.

Pour refonder le métier, il faut remettre à plat la formation. Je propose de retenir cinq grands axes : garantir un cadrage national fort pour contenir les disparités des politiques académiques et universitaires et améliorer leur coordination ; maintenir des structures spécifiques de formation au sein des universités en renforçant leur autonomie financière et leurs liens avec la recherche ; ouvrir des pré-recrutements dès la licence ; assurer une professionnalisation progressive au cours du master et rétablir une véritable année de stage avant la titularisation ; tenir compte de la diversité du métier d'enseignant, notamment en maternelle et au lycée professionnel.

En cohérence avec cette conception de l'éducation nationale, je considère que le métier d'enseignant s'apprend d'abord pour s'adresser aux enfants qui n'ont que l'école pour apprendre. Les enseignants doivent pouvoir aider ceux qui ne sont pas dans un rapport de connivence avec l'institution scolaire et pour lesquels apprendre n'est pas une évidence. Il faut imposer des contraintes nationales fortes sur la définition des parcours de masters des universités autonomes, tant sur les stages que sur les maquettes de cours, afin de servir cet objectif d'intérêt général.

La formation des enseignants doit intégrer les résultats des recherches sur les origines de l'échec scolaire et sur les processus cognitifs et sociaux d'acquisition des connaissances. Ces travaux ne doivent pas simplement être présentés aux étudiants au cours de modules spécifiques, mais irriguer leur formation disciplinaire. Des modules d'histoire et d'épistémologie de la discipline devraient être intégrés dans tous les masters, afin de conduire les futurs enseignants à questionner l'évidence et à penser le statut et les processus de construction des savoirs qu'ils ont acquis.

Pour piloter la formation et assurer sa liaison avec la recherche, il me paraît nécessaire de garder des structures spécifiques qui s'apparenteraient à des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) rénovés. L'autonomie des structures de formation au sein de l'université est légitime. Elle permettra le dialogue entre les disciplines, l'accompagnement des étudiants visant les premier et second degrés et les échanges entre formations initiale et continue. Une indépendance totale vis-à-vis des universités romprait le lien essentiel avec la recherche vivante et les connaissances de pointe ; l'assimilation à une unité de formation et de recherche (UFR) risquerait au contraire de privilégier trop le registre académique, au détriment de la didactique. La solution la plus simple serait d'adapter le statut actuel des IUFM, en renforçant leur autonomie et leur contrôle sur leurs ressources financières et humaines. Un fléchage obligatoire des moyens et des postes dédiés aux IUFM dans les budgets des universités éviterait qu'ils ne deviennent des variables d'ajustement.

Pour restaurer le vivier de recrutement très affaibli, tout en accroissant la diversité sociale du corps enseignant, je propose des pré-recrutements dès la licence. Il me paraît souhaitable d'organiser un concours national en fin d'année de L3 avant l'accès aux deux années de master enseignement, sur la base d'épreuves purement disciplinaires. Le pré-recrutement confèrerait un statut particulier d'élèves-enseignants ouvrant droit à une rémunération suffisante pour ne pas avoir à cumuler études et emploi. En échange, les élèves-enseignants s'engageraient à suivre les deux années de master, à se présenter aux concours de l'enseignement et à servir comme fonctionnaires de l'État pour un nombre minimum d'années en cas de réussite. Les étudiants qui n'auraient pas été pré-recrutés garderaient la possibilité de suivre les masters et de présenter les concours. Le volume des pré-recrutements et le niveau de la rémunération des élèves-enseignants sont difficiles à fixer et nécessiteront un arbitrage.

Les concours finaux d'entrée dans la fonction publique pourraient avoir lieu en fin de M2. La détention du master vaudrait validation des connaissances académiques pures. Les épreuves du concours doivent servir à évaluer le degré de professionnalité déjà acquis durant les cours et les stages. Le bénéfice de l'admissibilité pourrait être maintenu pour trois ans, afin d'éviter aux étudiants de tout reprendre à zéro chaque année. En outre, je suis favorable à la suppression du verrou supplémentaire des certificats de langues étrangères et d'informatique : ces compétences doivent être acquises au cours du parcours universitaire en licence et en master.

La formation ne s'arrête pas après l'entrée dans le métier. Il est illusoire de penser qu'elle n'a pas besoin d'être actualisée et complétée au cours d'une carrière. Je plaide pour une politique ambitieuse de formation continue au sein de l'éducation nationale, élément clef d'une gestion des ressources humaines moderne et attentive, notamment pour faciliter les fins de carrière des enseignants et les aider à surmonter l'usure. Elle est essentielle pour que les enseignants prolongent leur activité dans de bonnes conditions.

Le volant d'enseignants bénéficiant régulièrement d'une formation doit donc augmenter. Cela exige d'accroître les moyens de remplacement, par la reconstitution de brigades dans le premier degré et par l'augmentation du nombre de titulaires sur zones de remplacement dans le second degré. Mais la formation continue doit aussi être améliorée. Il ne s'agit pas simplement de présenter les réformes en cours, les dispositifs nouveaux imposés par le ministère !

La solitude des enseignants a été fréquemment abordée au cours de nos travaux. L'isolement se manifeste face à la classe, aux parents et à la hiérarchie ; mais il y a aussi l'émiettement des dynamiques collectives au sein du milieu enseignant. Il est indispensable d'aménager des lieux et des temps où les enseignants pourront se rencontrer pour réfléchir entre eux sur leur métier, hors des injonctions et des prescriptions de l'institution.

L'expérience de collectifs d'enseignants, menée sous la houlette de l'équipe de clinique de l'activité du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), offre des perspectives intéressantes. Elle pourrait être imitée et développée. Ces groupes de pairs se réunissent pour échanger sur leur travail sans être sous un regard hiérarchique. Ils ont en particulier le mérite de dégonfler la dimension psychologique des difficultés rencontrées en classe, car les problèmes individuels sont réinterprétés comme des problèmes généraux, liés à l'organisation du travail et non à la personne de l'enseignant lui-même. Les enseignants comprennent qu'ils n'ont pas à tout résoudre seuls, mais qu'ils peuvent mobiliser l'expérience du collectif. Cette démarche va notamment à rebours de la tendance à diffuser des guides de bonnes pratiques, formatées et stéréotypées, qui visent à standardiser les pratiques enseignants pour mieux les contrôler, sans améliorer leur efficacité pédagogique.

Afin de développer des expériences similaires, je suis favorable à des décharges de services pour l'animation de groupes de travail semblables dans les établissements. Un conventionnement entre les établissements et des organismes de recherche universitaires assurerait l'appui extérieur nécessaire dans la phase de lancement.

L'émergence de collectifs d'enseignants en prise sur leur métier nécessite surtout de rendre plus démocratique la vie de l'éducation nationale. Il faut moins d'injonction verticale et moins de prescription, plus de soutien et plus de respect pour le travail des enseignants.

Il faut associer les enseignants à la préparation des futures réformes comme experts de leur métier, au lieu de les considérer comme des obstacles ou de simples objets dont il faudrait forcer l'évolution. Ceci ne remet nullement en cause les prérogatives du politique, ni notre responsabilité dans la définition des missions et des finalités de l'éducation nationale.

La rénovation du statut de 1950 est un chantier important, qui ne peut être amorcé qu'après avoir redonné sens à l'école en la recentrant sur la démocratisation de l'accès au savoir, conforté les moyens alloués à l'éducation et remis à plat la formation et le recrutement des enseignants.

Une fois ces fonctions posées et la confiance restaurée, le débat sur l'adaptation du statut pourra s'ouvrir dans de bonnes conditions.

En outre, le statut des enseignants ne peut être rénové sans transformation de la politique de gestion des ressources humaines du ministère. Il faut élaborer en parallèle un plan d'action ambitieux pour améliorer les conditions de travail, renforcer la médecine de prévention et protéger la santé des personnels. Un accompagnement spécifique des enseignants en fin de carrière devrait également être mis en place rapidement.

En outre, toute adaptation du statut devra s'accompagner d'une revalorisation de la condition enseignante, tant symbolique que matérielle. Il faudra, de plus, contribuer à rendre visible le travail invisible des enseignants : le service des enseignants devrait inclure les travaux qui ne sont pas officiellement reconnus dans les textes, mais qui participent de leur rôle éducatif global.

En revanche, la fixation d'une norme hebdomadaire d'heures de cours devant les élèves est un élément structurant qu'il est important de préserver. Une modulation du service hebdomadaire en fonction de la difficulté du travail peut être envisagée, en prévoyant par exemple moins d'heures de cours dans l'éducation prioritaire.

Enfin, il serait opportun de prévoir un forfait d'heures pour tous les enseignants, afin de leur permettre de mener des projets culturels avec leurs élèves, sur le modèle du dispositif dont bénéficient les enseignants d'éducation physique et sportive pour promouvoir le sport scolaire. Ce « forfait culturel » intégré au service améliorerait le climat de vie scolaire dans les établissements tout en facilitant la démocratisation de l'accès à l'art.

Madame la présidente, mon rapport a été adopté par la mission, sous réserve des modifications que certains membres souhaitent intégrer et me feront parvenir.

Je souhaite de surcroit pouvoir compléter mon rapport pour tenir compte des éléments dont nous venons d'avoir connaissance du fait de la publication de plusieurs rapports de l'inspection, autorisée par le nouveau ministre de l'éducation nationale.

Je suggère une nouvelle réunion autour du 20 juin : le rapport serait alors encore enrichi.

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