Intervention de Jean-François de Vulpillières

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 2 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-François de Vulpillières conseiller d'état honoraire président de la commission des infractions fiscales

Jean-François de Vulpillières, président de la Commission des infractions fiscales :

La Commission des infractions fiscales, ou CIF, traite évidemment des affaires d'évasion fiscale.

La part de ces affaires dans l'ensemble de celles qui sont soumises à la commission devrait s'accroître du fait des réformes intervenues en 2009.

L'origine de la Commission des infractions fiscales est une commission présidée par un conseiller maître à la Cour des comptes, M. Aicardi, et une loi du même nom en date du 29 décembre 1977.

Pourquoi une telle commission ?

D'abord, l'effort fiscal demandé aux Français depuis la dernière guerre a été très important et les procédures de recouvrement de l'impôt ont été sans cesse perfectionnées.

Une résistance s'est organisée : le poujadisme, la révolte des artisans et des commerçants, l'affaire des polyvalents, autant d'événements à l'origine d'une atmosphère qui ne s'est pas détendue, car la pression fiscale n'a cessé d'augmenter.

En 1977, M. Valéry Giscard d'Estaing et le Gouvernement de M. Raymond Barre ont pensé qu'il fallait donner des garanties de procédure supplémentaires aux contribuables. Il est en sorti la Charte du contribuable vérifié et notamment la Commission des infractions fiscales.

Quel est l'objet de cette commission ? Composée de hauts fonctionnaires, elle est appelée à jeter un dernier coup d'oeil sur les dossiers pour lesquels l'administration veut déposer une plainte pénale.

Les plaintes pénales sont un des éléments de l'action contre la fraude fiscale. Le délit de fraude fiscale est prévu à l'article 1741 du code général des impôts et est puni de cinq ans d'emprisonnement maximum et d'amendes pouvant aller jusqu'à 37 500 euros.

L'idée est qu'il faut éviter l'acharnement sur les contribuables. L'administration fiscale est soumise à une forte pression. Ses directions départementales sont invitées régulièrement à présenter à l'administration centrale des dossiers de plaintes fiscales. Par conséquent, il n'est pas inutile de jeter un dernier coup d'oeil sur ces dossiers.

La procédure pénale est infamante pour l'immense majorité de nos concitoyens. Même si, ultérieurement, il y a relaxe, le fait d'avoir été engagé dans une affaire correctionnelle est très déstabilisant. Il n'est donc pas invraisemblable que l'État se contrôle lui-même en donnant à cette commission une telle responsabilité.

La particularité est que la commission ne donne pas un avis. Elle donne une autorisation à l'administration. Si la commission refuse qu'une plainte, dans le dossier qui lui est soumis, soit déposée, le ministre ne peut pas déposer la plainte. C'est donc tout à fait exorbitant par rapport aux procédures habituelles.

De plus, comme vous le savez, la justice n'a pas le droit de se saisir elle-même de fraude fiscale. Le procureur de la République ne peut pas instruire un dossier de fraude fiscale s'il n'est pas saisi par l'administration. Par conséquent, c'est vraiment le passage obligé pour une plainte pénale.

Cette commission est constituée de douze titulaires et de douze suppléants, pour moitié des conseillers d'État, pour moitié des conseillers maîtres à la Cour des comptes. Elle ne doit pas comporter, en ce qui concerne les membres titulaires, plus de 50 % de retraités. Ces fonctions sont quasi bénévoles. Elle est organisée en quatre sections de trois membres chacune, avec un quorum de deux membres. Il y a quelques séances plénières par an pour lesquelles le quorum est de huit membres. Elle tient neuf à dix séances par mois.

Le contribuable est avisé que son dossier est soumis à la Commission des infractions fiscales. Il a trente jours pour faire valoir ses observations, mais il n'est pas entendu. Ce n'est pas une juridiction. Tout ce qui concerne le paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a rien à voir avec cette commission administrative.

La décision n'est pas motivée. On a parlé de « boîte noire » ! En réalité, son objet n'est pas la motivation et elle ne pourrait pas être motivée. Cela interférerait complètement avec les autres procédures.

Elle ne liera pas l'autorité judiciaire sur les personnes nommées. Ce qui sera soumis à l'autorité judiciaire, ce sont les faits de fraude fiscale. Bien sûr, nous indiquons qu'à notre avis la plainte vise telle et telle personne. Mais l'autorité judiciaire gardera l'indépendance et l'autonomie de mettre en cause, à l'occasion de ses travaux de recherche, d'autres personnes.

Si la Commission des infractions fiscales donne l'autorisation, le ministre est-il obligé de déposer une plainte ? C'est un débat tout à fait théorique. Il dépose toujours une plainte.

Nous traitons mille affaires par an et, dans 90 % des cas, nous donnons une autorisation et, dans 10 % des cas environ, un refus.

J'en viens aux types d'affaires. J'ai envoyé à votre rapporteur le bilan de notre activité en 2011. Vous avez pu prendre connaissance de la ventilation de ces affaires. Il y a quand même des dossiers prédominants : le bâtiment, les transports, le gardiennage, le négoce et la réparation, le matériel informatique.

En réalité, à travers toutes ses rubriques, vous voyez apparaître l'économie souterraine. Elle est très importante dans les débats de la Commission des infractions fiscales et je dois dire qu'il y a une proportion d'étrangers importante.

Il y a un problème d'accoutumance à l'impôt et de réticence à reverser la TVA que l'on a collectée. En effet, ces étrangers viennent de pays - la Turquie, l'Égypte, le Maroc, la Tunisie, l'Algérie - où le recouvrement de l'impôt est très aléatoire.

Il y a aussi un problème culturel.

D'abord, ces étrangers ignorent que l'administration fiscale pénètre très facilement dans les comptes bancaires. Les redressements sont faits à partir des crédits bancaires. C'est une méthode de redressement assez dure, car tous les frais déductibles n'apparaissent pas forcément, et donc on travaille sur des forfaits.

Ensuite, pour cette catégorie de contribuables, les peines correctionnelles ont un caractère sans doute moins dissuasif. Il est sûr que, pour une partie de la population, être condamné pénalement, subir tout le processus d'un procès correctionnel est très éprouvant et jette un discrédit social considérable. Mais, pour une partie des gens soumis à la Commission des infractions fiscales, on n'est pas tout à fait sûr du caractère très dissuasif d'un procès correctionnel.

En effet, ils ont disparu. Leur société dans le bâtiment a existé deux ou trois ans, puis a été mise en liquidation judiciaire et le mandataire judiciaire nous déclare qu'il n'a pas retrouvé les responsables. Dans ces conditions, on a un peu l'impression de brasser du vent pour ces contribuables-là ! Évidemment, beaucoup de dirigeants de société viennent aussi devant nous.

Quels sont les critères d'appréciation ? C'est un point qui a préoccupé votre rapporteur. Pourquoi refuse-t-on 10 % des dossiers que nous présente l'administration ? L'élément matériel de la fraude ne joue pas. En général, nous sommes assez convaincus, à lire l'exposé de l'administration, qu'il y a eu un phénomène de fraude fiscale.

Le grand critère est l'élément intentionnel. En matière de déclaration d'impôt, on peut faire des erreurs. Il y a les oublis accidentels. Des personnes de bonne foi pensent qu'elles n'étaient pas imposables.

La charge de la preuve du caractère intentionnel appartient à l'administration. La législation fiscale est complexe. D'où la très grande importance des mises en demeure de la part de l'administration. On regarde dans les dossiers si vraiment le contribuable a été lourdement averti qu'il était en infraction, que les déclarations n'étaient pas souscrites en temps utile ou n'étaient pas souscrites du tout.

Évidemment, cette appréciation sur le caractère intentionnel varie suivant les métiers du contribuable. La commission est très implacable pour les experts-comptables, les commissaires aux comptes, les avocats, les conseils juridiques et fiscaux, les professionnels de l'immobilier. Dans ces cas-là, on pense vraiment que le caractère intentionnel est généralement évident ou impardonnable. C'est l'élément important.

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