Intervention de Jean Merckaert

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 24 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Mathilde duPré chargée de plaidoyer au comité catholique contre la faim et pour le développement -terre solidaire et coordinatrice de la plateforme « paradis fiscaux et judiciaires » de Mme Maylis Labusquière chargée de plaidoyer à oxfam france de M. Jean Merckaert administrateur de l'association sherpa de Mme Jacqueline Hocquet responsable de l'animation et du plaidoyer internationaux au secours catholique et de M. Harold Heuzé qui représente l'association anticor

Jean Merckaert, administrateur de l'association Sherpa :

Je vais évoquer les problèmes que soulève la difficile territorialisation de l'assiette fiscale.

J'ai participé à la création de la plateforme « paradis fiscaux et judicaires », il y a sept ans, lorsque je travaillais pour le CCFD-Terre solidaire. J'ai ensuite rejoint l'association Sherpa, qui s'est fait une spécialité de la lutte contre la criminalité économique internationale.

Les directeurs financiers de grandes entreprises françaises que nous avons rencontrés nous ont expliqué que leur groupe produisait une valeur ajoutée à l'échelle mondiale et que les législations en vigueur leur permettaient de la localiser à peu près où ils voulaient. Autrement dit, alors que l'impôt est déterminé à l'échelon national, les entreprises multinationales peuvent « loger » leurs bénéfices plus ou moins où bon leur semble.

Il en résulte une perte sèche pour les finances publiques, au Nord comme au Sud. Ce manque à gagner aggrave les déficits et rend plus difficile le financement des dépenses publiques.

La charge fiscale se trouve en outre reportée des assiettes les plus mobiles vers les assiettes les moins mobiles. En particulier, les pertes enregistrées au titre de l'impôt sur les sociétés sont compensées par des hausses de TVA.

Enfin, ces pratiques encouragent le dumping fiscal et profitent aux territoires dont l'offre, dans la division internationale du travail, repose sur l'opacité.

Il nous paraît très étonnant que trente-six paradis fiscaux, dont la superficie cumulée représente la moitié de la Belgique et qui pour vingt-deux d'entre eux sont dépourvus de défense, puissent parvenir à faire trembler la planète entière...

En réalité, il faut comprendre qu'aux Îles Vierges britanniques, aux Bermudes, à Jersey, peut-être même au Luxembourg, ce n'est pas la population qui fait la loi, car la souveraineté a été marchandée depuis longtemps. Ces territoires ont vendu leur législation au plus offrant, c'est-à-dire, bien souvent, aux grandes banques internationales et aux big four : Deloitte, KPMG, Ernst & Young et PricewaterhouseCoopers.

Ces acteurs se font les intermédiaires des grandes fortunes et des entreprises multinationales pour obtenir une adaptation des législations de ces tout petits territoires à leurs besoins. En somme, ils jouent un rôle de courtiers de l'évasion fiscale.

Récemment, par exemple, Barclays a refait la législation du Ghana lorsque ce pays a souhaité devenir un paradis fiscal. De même, le cabinet Baker & McKenzie, spécialisé dans l'optimisation fiscale, a conseillé la Jamaïque, qui voulait réformer sa législation afin de se transformer en paradis fiscal.

Au coeur du problème, de notre point de vue, il y a le fait que les acteurs les plus puissants de la mondialisation se parent des attributs de la souveraineté dans un certain nombre de petits territoires.

Toutes ces pratiques se traduisent par un grand écart entre la géographie de l'économie réelle et celle qui est présentée dans les comptes des entreprises. Cette situation est illustrée par toute une série de statistiques parfois loufoques que vous trouverez dans le rapport que j'ai co-écrit pour le CCFD-Terre Solidaire intitulé « L'économie déboussolée ». Par exemple, on s'aperçoit que l'île Maurice est, depuis dix ans, le premier investisseur mondial en Inde, où elle réalise 44 % des investissements étrangers, ce qui est assez surprenant. De même, 830 000 sociétés sont enregistrées aux Îles Vierges britanniques, soit trente-quatre sociétés par habitant !

Enfin, une étude menée en 2003 sur les entreprises américaines fait apparaître que, si l'on rapporte le bénéfice localisé au nombre des salariés, les salariés des Bermudes semblent quarante-quatre fois plus rentables, en moyenne, que ceux des autres filiales...

Toutes ces statistiques assez surprenantes nous amènent à nous interroger sur la fiabilité des indicateurs qui servent de boussole aux instances internationales de gouvernance économique.

Maylis Labuquière vous présentera dans quelques instants les mesures que nous préconisons. Je précise que nous ne détaillerons pas ici celles ayant trait à la réduction de la concurrence fiscale, même si votre Commission gagnerait à se pencher sur les processus très importants qui se mettent en place, à l'échelon européen, pour harmoniser les assiettes de l'impôt sur les sociétés.

Pour terminer, je voudrais souligner qu'une profession est chargée de vérifier que les comptes des entreprises reflètent fidèlement la réalité de leur activité économique : celle des commissaires aux comptes. Or, de notre point de vue, un vrai problème se pose au sujet de cette profession, car de même que les agences de notation sont les otages de leurs principaux clients, à savoir les banques, les commissaires aux comptes sont un peu les otages des leurs, qui sont les entreprises multinationales, celles-ci désignant elles-mêmes les professionnels appelés à examiner leurs comptes.

On pourrait imaginer qu'une intermédiation publique soit mise en place dans ce domaine, par le biais d'une sorte de caisse publique financée par les entreprises et chargée d'attribuer les mandats de certification des comptes. Je pense que cette proposition mériterait d'être étudiée par votre commission d'enquête.

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