Les 800 milliards d'euros correspondent à une estimation faite par un think tank américain, Global Financial Integrity (GFI), créé par l'universitaire, auparavant homme d'affaires, Raymond Becker [auteur du remarquable ouvrage Capitalism's Achilles Heel en 2005], aux côtés de qui travaillent notamment des « anciens » du Fonds monétaire international (FMI). Certes, en la matière, les chiffres doivent être maniés avec beaucoup de précaution, puisqu'ils sont fondés sur des approximations, mais la Banque mondiale leur accorde suffisamment de crédit pour les reprendre à son compte, notamment les estimations liées à l'argent de la corruption.
Le GFI a réalisé des études très complètes sur la destination de ces 800 milliards d'euros : une partie aboutit dans les paradis fiscaux, une autre dans les banques occidentales. L'argent, bien sûr, n'est pas immobile : il transite bien souvent par les paradis fiscaux avant d'être investi dans les principales économies.
Il faut voir aussi que les obligations en matière de vigilance contre le blanchiment s'imposant aux établissements bancaires dans nos pays ne sont pas toujours respectées à la lettre. On peut par exemple s'étonner du réveil tardif des autorités françaises concernant l'argent en provenance de Lybie, devenu tout d'un coup suspect en 2011, alors qu'auparavant il suscitait peu de questions de la part des établissements financiers, la Banque de France y compris, et ne faisait apparemment pas l'objet de déclarations de soupçon.
Quel est l'impact de ces pratiques par pays ? Sur ce point encore, GFI a tenté d'établir des chiffrages précis que nous vous transmettrons [par ex. GFI, Illicit Financial Flows from Developing Countries : 2000-2009, publié en 2011. Cf. iff-update.gfintegrity.org/]. Pour donner un ordre d'idées, le Ghana estime que la fraude le prive de 50 % de ses recettes fiscales, et le chiffre d'environ 40 % de manque à gagner fiscal est avancé concernant la République démocratique du Congo.
En valeur absolue, les pays émergents, comme l'Inde ou le Mexique, sont, bien sûr, les plus lourdement affectés, le poids de leurs économies étant beaucoup plus considérable. Pour l'Inde, par exemple, on chiffre à 213 milliards de dollars la fuite illicite de capitaux entre l'indépendance (1948) et 2008 [28 milliards en 2008, cf. gfintegrity.org/storage/gfip/documents/reports/india/gfi_india.pdf], notamment vers les paradis fiscaux, dont l'île Maurice.