Intervention de Claude Dumont-Beghi

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 24 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Claude duMont-beghi avocate

Claude Dumont-Beghi :

En tout cas, si, en droit, le trustee gère les biens, en équité - equity -, il faut savoir que le constituant est en réalité toujours propriétaire des biens. C'est un leurre. Imaginez un marionnettiste et des marionnettes : un trust fonctionne de la même manière.

Dans le dossier Wildenstein - si vous voulez que je vous en parle d'une façon un peu plus approfondie -, j'ai ainsi prouvé que vous pouvez avoir toutes les nébuleuses de la terre entre les donneurs d'ordre et les bénéficiaires, vous pouvez être passé par les îles Caïman, la Suisse ou New York, vous finissez toujours par arriver aux Wildenstein, qui sont les bénéficiaires économiques.

Comme son nom l'indique - trust, en anglais, signifie « confiance » - le trust est né de la confiance. C'est, comme le dit si bien l'OCDE, - et vous avez sur ce plan un rôle phénoménal à jouer - un instrument licite utilisé à des fins illicites. En effet, contrairement à ce que dit M. Baudouin Prot, quelqu'un qui constitue un trust en France va bien y trouver un avantage. C'est sur ce point que nous devons réfléchir ; la porte est désormais ouverte pour une telle réflexion.

Le trust n'est pas contrôlé, il n'a pas de fiscalité : on fait ce que l'on veut comme on veut.

Peut-être puis-je à cet égard vous donner l'exemple de l'affaire Wildenstein. La loi d'un trust choisi par le constituant est une loi d'autonomie : comme il s'agit d'un instrument anglo-saxon, nous avons affaire au droit anglo-saxon. Dans l'affaire Wildenstein, il y a ainsi un trust dont la loi est celle des Bahamas, soit la loi de la City de Londres. Je reviendrai sur un autre trust, le Georges Trust, quand je vous parlerai des questions de domiciliation, de résidence, etc. et que l'on réfléchira à des solutions.

En tout cas, cette loi doit être respectée durant l'existence du trust, c'est-à-dire durant la vie du constituant.

Dans ce trust, le constituant décide que ses biens seront attribués à sa femme, à ses enfants, de telle et telle façon.

J'attire votre attention sur le fait que les trusts sont constitués « en cascade ». Autrement dit, à la mort de quelqu'un, un trust revient automatiquement à quelqu'un d'autre.

Dieu merci, dans l'affaire Wildenstein, j'ai pu réagir vite et faire anticiper l'évaluation du patrimoine de M. Daniel Wildenstein non pas au jour de sa mort, mais au jour où il est tombé dans le coma. En effet, pendant son coma, des papiers - des faux - concernant l'écurie Wildenstein ont été signés, la signature de Daniel Wildenstein a été imitée... Si vous le souhaitez, nous reparlerons ultérieurement de cet aspect pénal du problème.

En tout état de cause, la loi d'autonomie, les décisions prises par le constituant doivent être respectées par le trustee.

Que se passe-t-il lorsque le constituant décède ? Nous en avons un cas de figure dans l'affaire Wildenstein. Pas mal d'économistes m'ont d'ailleurs dit que mon cabinet était leur laboratoire parce qu'il regroupe tous les cas insensés qu'ils essaient, techniquement, d'identifier.

Que se passe-t-il lorsqu'un résident français qui a constitué un trust décède ?

Un trust est considéré en droit français comme une donation, comme une libéralité. Autrement dit, au décès du constituant, c'est la loi d'autonomie de la succession qui s'applique - et c'est vrai dans quasiment toute l'Europe -, laquelle, j'insiste sur ce point, est d'ordre public.

Nous avons donc, dans l'affaire Wildenstein, une succession ouverte en France, Daniel Wildenstein étant de nationalité française, résident français et décédé en France - bien que, jusqu'au dernier moment - jusqu'en 2010 - et alors que j'avais réussi à prouver le contraire et que l'administration fiscale m'avait donné raison, ses héritiers aient continué à dire qu'il était résident étranger. Et pour cause ! C'était pour eux la seule issue, le seul moyen d'essayer d'éviter l'intégration des trusts dans la succession.

Un trust est donc une donation et, comme tel, depuis toujours présumé rapportable à la succession. En effet, il s'agit d'une avance sur les biens qui sont attribués aux héritiers.

D'après le code général des impôts, on doit, au moment du décès, dans la déclaration de succession, établir la liste des biens dont on est propriétaire et y faire fictivement figurer ce que l'on a donné à ses enfants. Pourquoi ? Il en va de l'évaluation de l'assiette des impôts. Il s'agit également, accessoirement, - je le dis quand même au passage pour mes clientes ! - de pouvoir faire évaluer les droits du conjoint - homme ou femme - survivant.

On doit donc, sous les peines prévues à l'article 1837 du code général des impôts, déclarer les biens que l'on a en France et à l'étranger. Doivent par conséquent être rapportés à la succession tous les trusts qui ont été faits au bénéfice des héritiers directs, des héritiers réservataires, à savoir les enfants : j'insiste sur cette nuance - la nuance est d'ailleurs toujours importante.

C'est ce que j'ai mis en exergue dans l'affaire Wildenstein. Partant de strictement rien - un courrier de quatre pages -, à force d'acharnement, de travail, de détermination, de courage aussi, parce que cela n'a pas toujours été facile, nous avons, petit à petit, reconstitué la succession de Daniel Wildenstein.

J'ai fait annuler la renonciation à succession. En effet, les fils Wildenstein, ne voulant pas que leur belle-mère sache quoi que ce soit, l'ont fait renoncer à la succession en lui disant que son mari était mort ruiné, qu'ils lui donnaient un legs, qu'ils s'occupaient de tout, etc. Le problème, vous le savez, c'est que, entre la parole et les actes, il y a un océan ! Or, quand on renonce à une succession, on est considéré comme n'ayant jamais hérité.

Au départ, on n'avait strictement aucune pièce. Aucune ! Dans un souci de rapidité, j'ai utilisé des méthodes d'urgence. Il faut, parmi les solutions dont nous nous doterons, utiliser tous les moyens de droit qui existent : forcer une partie qui détient seule toutes les pièces à ce qu'elle donne ces pièces ; en cas d'urgence, de péril, assigner l'adversaire à jour fixe. Pour la première fois de leur vie, certains ont vu un dossier de succession plaidé à jour fixe. De ce point de vue, j'ai un peu mis la révolution au palais ! Mais, finalement, cela a porté ses fruits, même si les suites ont été plus difficiles.

J'ai donc fait annuler cette renonciation à succession.

J'ai fait modifier le régime matrimonial, point important pour vous, notamment pour ce qui concerne la résidence.

Je pourrais vous parler jusqu'à ce soir... Combien de temps me donnez-vous pour terminer mon exposé ? Je peux aller très vite.

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