Je ne dirais pas que le marché de l'art est le vecteur idéal de la fraude, du blanchiment ou de l'évasion fiscale mais, vous avez raison sur ce point, il en constitue l'un des vecteurs.
Qu'est-ce qu'un tableau ? C'est un bien meuble corporel. Il suffit de le posséder - si on en est possesseur de bonne foi - pour que l'on nous en considère, au bout de trente ans, comme le propriétaire de bonne foi.
Deux problèmes se posent.
Premièrement, les oeuvres d'art ne sont pas soumises à l'impôt de solidarité sur la fortune. Je considère déjà que l'on pourrait se poser la question de l'éventuelle rupture d'égalité qui en découle entre les contribuables : il y a là un vrai problème éthique. Avec d'un côté, le travail et, de l'autre, des biens que l'on peut acquérir pour réaliser un investissement, nous sommes, je crois, dans des valeurs d'ordres complètement différents, qui ne s'annulent pas, mais doivent se respecter. Il conviendrait peut-être que l'éthique s'impose en la matière.
Deuxièmement, l'oeuvre d'art est un véhicule parfait de l'évasion du patrimoine.
L'exemple des Wildenstein nous le montre. Vous avez compris que les milliers d'oeuvres, de tableaux des Wildenstein sont intégrés dans des trusts - situés aux îles Caïman, aux Bahamas, à Guernesey - que j'ai fait émerger. C'est une technique que les Wildenstein ont utilisée de génération en génération, recourant à une astuce, que vous devez comprendre - pour « combattre tous nos adversaires », il faut bien comprendre leur système - : la dématérialisation de la propriété.
Au tout début, Nathan Wildenstein avait une société et un stock. Il n'a jamais intégré le stock dans sa société pour ne pas lui donner de valeur. Il l'a toujours, dirais-je, laissé dans un magma.
Au palais, j'ai toujours plaidé la confusion de patrimoine chez les Wildenstein ; on ne m'a jamais écoutée. Ils ont pourtant utilisée cette technique, pour tous types de besoins et de raisons, que ce soit en vendant un tableau pour une société en déficit ou pour leur bien personnel, afin d'avoir des revenus, du cash à donner à leurs enfants ou leurs petits-enfants... Je le prouve, et cela figure dans mon livre.
Il y a là quelque chose qui s'apparente à un neuvième continent ; c'est ce que je vous disais tout à l'heure. Imaginez que nous ayons, au-dessus de nos têtes, le réseau internet et, au-dessus encore, se promenant au gré du vent, au gré de la stratosphère, tous les éléments d'actifs et de fortune de beaucoup de personnes. Nous devons faire retomber sur terre ces éléments et fixer des règles d'organisation.
Donc, oui, les oeuvres d'art sont un vecteur idéal d'évasion du patrimoine.