Très concrètement, au moment où j'ai fait rétablir ma cliente dans ses droits, j'ai interrogé par écrit un certain nombre de musées. Beaucoup m'ont répondu ; beaucoup m'ont téléphoné. Vous comprenez que, pour des raisons de secret professionnel, de confidentialité ainsi que d'efficacité, je ne dirais pas ici tout ce que je pourrais vous dire.
Je peux vous donner l'exemple de Mme Paulette Helleu-Howard-Johnston et de l'autoportrait de Monet, exposé au musée Marmottan et appartenant aux Wildenstein. Ce tableau, je l'avais identifié et, dès 2008, j'avais expliqué qu'il y avait un problème à son sujet. La suite des événements m'a donné raison parce qu'il est apparu, et cela rejoint notre sujet, que, derrière le cadre de ce tableau, était indiqué « Coutts ». Coutts est le trustee du Delta Trust des Wildenstein localisé aux îles Caïman puis transféré aux Bahamas. Vous avez donc, dans un certain nombre de musées, des contrats de dépôt, de location et de prêt de tableaux appartenant à des trusts, dont les trustees sont localisés dans des paradis fiscaux.
Ce contrat en tant que tel est tout à fait valable : un musée peut contracter avec un trustee. Il n'est pas question de dire que c'est illicite : c'est tout à fait valable.
D'ailleurs, en général, les propriétaires de tableaux dématérialisent leurs biens pour ne pas avoir à payer les assurances. En outre, exposer un tableau, y compris dans le cadre d'expositions temporaires, lui donne de la valeur.
Mais le fond du sujet, grandement susceptible de vous intéresser, c'est l'identification du réel propriétaire du tableau.
Monsieur le président, je vais vous en donner une rapide illustration : Le Joueur de luth du Caravage. Je crois qu'il faut que nous en parlions. Le Metropolitan Museum, qui n'a pas voulu me répondre par écrit, m'a téléphoné et m'a conseillé de retourner voir ses tableaux - bien que je sois allée cinquante fois dans ce musée ! -, de prêter attention à ceux - ils sont assez nombreux - dont le cartel indique « collection privée », « don d'une fondation », « don d'une indivision » - Indivision Picasso, don de la Fondation Thyssen, etc. - et de m'interroger à leur sujet.
C'est, en effet, la spécialité des Wildenstein.
Indépendamment de cela, j'avais fait sur internet des recherches poussées, des investigations sur Le Joueur de luth et j'avais la signature de Daniel Wildenstein qui prouvait qu'il avait donné ce tableau en garantie. Or on ne peut donner en garantie un bien qui ne vous appartient pas ! Les Wildenstein ont plaidé que ce tableau appartenait à un trust mais ils ont ensuite fait marche arrière, redoutant que l'on continue nos démarches. Ils ont donc « lâché » ce tableau, que j'ai fait réintégrer dans la succession.
Vous m'interrogez sur les montants impliqués. La valeur assurance du Joueur de luth s'élève à 25 millions d'euros mais il est bien évident que, lorsqu'il s'agit non plus de un, mais de 10 000 tableaux, le Metropolitan Museum négocie de manière globale la valeur assurance de ces tableaux ! En tout état de cause, les experts de Sotheby's me disent qu'ils estiment Le Joueur de luth à 60, 80 voire 100 millions de dollars ou d'euros.
La fortune des Wildenstein peut être évaluée au montant auquel elle l'a été au moment du divorce d'Alec Wildenstein, deux ans avant la mort de Daniel Wildenstein - on peut imaginer que, en deux ans, ils n'ont pas tout dilapidé -entre 5 et 10 milliards d'euros. En effet, cette évaluation est effectuée par rapport au Joueur de luth. Cependant, la valeur d'un tableau, c'est la valeur du marché au moment où on le met en vente. Par exemple, une version du Cri d'Edvard Munch va être vendue le 2 mai prochain par Sotheby's : nous verrons à combien il sera vendu.
Mais Le Caravage, c'est inestimable. La fortune des Wildenstein est donc inestimable.