Intervention de Bernard Cazeau

Mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables — Réunion du 5 juin 2012 : 1ère réunion
Point d'étape sur les travaux de la mission

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau, rapporteur :

La création de notre mission d'information répondait à l'émotion suscitée par le scandale des prothèses PIP. Cette affaire, qui est désormais entre les mains de la justice, est venue malheureusement confirmer les craintes que nous avions exprimées à l'automne, lors de l'examen de la loi sur la sécurité du médicament et des produits de santé : après le Mediator, nous touchons du doigt un domaine encore largement ignoré, celui des dispositifs médicaux, qui jouent pourtant un rôle de plus en plus important en matière de santé. Afin de maitriser tous les enjeux de cette politique publique, nous avons étendu le champ de nos investigations aux interventions à visée esthétique, qui connaissent un succès croissant.

Les auditions, visites sur le terrain et déplacements auxquels nous avons procédé ont confirmé le défaut d'organisation du contrôle de la filière des dispositifs médicaux et l'absence de véritable réglementation du secteur de l'esthétique, à l'exception notable de la chirurgie, qui ne semble pas poser de difficulté majeure. Dans ce domaine, la France fait plutôt figure d'exemple, même si des ratés existent.

Les dispositifs médicaux constituent un ensemble très varié de dizaines de milliers de produits, du pansement au pacemaker, de l'abaisse-langue à la prothèse de hanche. Ils sont fabriqués aussi bien par de grands groupes multinationaux que par des petites et moyennes entreprises (PME). Dans tous les cas, ces produits s'adressent à des personnes qui souffrent de problèmes de santé. La mesure du rapport entre le bénéfice attendu et le risque encouru est au coeur de l'analyse des produits.

C'est pourquoi nous nous sommes focalisés sur les dispositifs les plus risqués, des classes IIb et III, qui sont implantés dans le corps humain pour une durée supérieure à un mois. Lorsque la vie même du patient est en cause, on peut accepter un certain niveau de risque. Mais encore faut-il que ce risque soit correctement mesuré avant la commercialisation du produit et fasse l'objet d'un suivi précis après l'implantation. Malheureusement, nous en sommes loin. C'est d'autant plus préoccupant que les progrès de la science ouvrent de nouvelles perspectives, qui se traduiront par une plus grande individualisation des dispositifs et, donc, une plus grande difficulté à les suivre.

La problématique des interventions à visée esthétique est fondamentalement différente : le plus souvent, il ne s'agit pas de réparer une infirmité, de lutter contre la maladie ou de prolonger la vie des personnes. L'esthétique s'adresse à des personnes en bonne santé ; on ne peut donc admettre que la vie des gens qui y recourent soit mise en danger.

Je dirais même qu'il est logique que ces interventions ne présentent aucun danger. Une prise de conscience semble se dessiner, si j'en crois le recul sensible des techniques les plus invasives. En clair, la chirurgie esthétique n'a plus la cote. En revanche, de nouvelles techniques de médecine esthétique apparaissent sans cesse. Chacun veut sa part du marché, bien sûr, qu'il s'agisse des médecins, des dentistes, des professionnels de l'esthétique ou des industriels. L'imagination est sans limite et si elle n'est pas condamnable en soi, la volonté de nos contemporains de vivre en meilleure forme ne doit pas leur faire perdre de vue l'essentiel : ne pas nuire à leur santé. Evidemment, toutes ces interventions ont un coût ; en conséquence, un nouveau marché est né, celui du tourisme médical, et avec lui de nouveaux risques sanitaires.

En matière de dispositifs médicaux, les affaires récentes ont démontré les graves insuffisances des mécanismes de contrôle au niveau européen. La première directive ne date que de 1990, quinze ans après la création d'un mécanisme de certification aux Etats-Unis. Le marquage CE est né de la « nouvelle approche » destinée à assurer la libre circulation des marchandises. A cette époque, l'Europe a adopté une classification proche de celle des Etats-Unis. Les exigences de sécurité sont plus fortes pour les dispositifs les plus risqués mais d'une manière générale, la réglementation n'est pas plus exigeante pour un pacemaker que pour un grille-pain ou un aspirateur, même si les normes sont différentes.

Le contraste avec le médicament est flagrant : en matière de dispositif médical, pas d'autorisation de mise sur le marché, pas d'agence centrale. La certification est confiée à des sociétés privées, les organismes notifiés, payés par les fabricants. Il est ahurissant d'apprendre, comme on nous l'a affirmé, qu'un fabricant débouté par un organisme peut obtenir la délivrance du marquage CE par un autre organisme notifié. Cela montre toute la fragilité du système !

Comment les organismes notifiés travaillent-ils ? Selon quels critères évaluent-ils les produits qui leur sont présentés ? Quels sont les moyens qu'ils mettent en oeuvre ? Autant de questions aujourd'hui sans réponse.

Tout aussi choquante est la façon dont les producteurs peuvent choisir le mécanisme de certification : soit sur dossier, soit après une expertise technique. Dès lors qu'il estime que son produit est similaire à un dispositif déjà utilisé, le fabricant peut s'inscrire dans une ligne générique et échapper à toute démonstration autre que la sécurité du processus de fabrication. Ce fut notamment le cas avec les prothèses DePuy et les sondes Riata.

Tel est bien le noeud du problème : non seulement nul ne sait comment les organismes notifiés travaillent mais la réglementation européenne n'impose en aucun cas que le fabricant démontre le bénéfice apporté par son produit. Aux Etats-Unis, le système d' « équivalence substantielle » existe également mais les exigences sont bien différentes : le fabricant doit à la fois faire la preuve de la fiabilité de la fabrication et démontrer l'efficacité du nouveau dispositif. Le système américain du 510(k) permet de faire agréer un dispositif médical dans le cadre d'une procédure moins contraignante que le droit commun du « pre-market approval » délivré par la Food and Drug Administration (FDA). Il est similaire à ce qui existe en France pour les médicaments génériques.

J'en viens maintenant aux interventions à visée esthétique. Chirurgie esthétique mise à part, nous sommes dans un flou quasi complet. Le développement du tourisme esthétique ne favorise pas la transparence des pratiques. Internet pose aussi problème car ce qui est interdit ou réglementé ici est monnaie courante en ligne : je pense par exemple à la publicité pour la chirurgie esthétique ou à l'achat de produits ou matériels à visée esthétique. Dès lors qu'on se situe hors du territoire national, aucun contrôle n'est possible. J'en veux pour preuve ce que nous avons pu voir chez Eurofeedback la semaine dernière : ce fabricant a volontairement limité la puissance des appareils à lumière pulsée qu'il vend aux médecins et aux esthéticiennes. Mais rien ne dit que ses concurrents font de même et n'utilisent pas des matériels dangereux pour leurs clients.

Pour autant, ce n'est pas parce que l'offre est disponible à l'étranger qu'il ne faut rien faire chez nous. Je sais bien que les techniques évoluent, si ce n'est chaque jour, tout du moins très rapidement. Le temps que nous prenions la mesure du secteur des lasers à usage de dépilation, un nouveau matériel est sorti sur le marché, évidemment présenté comme révolutionnaire. Dans le même ordre d'idées, les appareils à lumière pulsée en vente libre se multiplient. Fort heureusement, la plupart semblent plutôt s'apparenter à des jouets qu'à des objets dangereux. Du fait de leur trop faible puissance, ils auraient même un effet paradoxal, favoriser la pousse des poils. Mais ce n'est pas toujours le cas et vous avez sans doute en mémoire les mises en garde répétées quant à l'utilisation des cabines de bronzage.

Sur le plan économique, chacun veut sa part du gâteau : c'est bien naturel. Je crois d'ailleurs qu'il faut que nous prenions garde à bien concilier sécurité sanitaire et maintien d'une filière industrielle. Il est évident que les intérêts en jeu sont énormes. Ceux d'entre nous qui y ont assisté se souviennent sans doute des débats acharnés qui ont opposé médecins esthétiques, dentistes et dermatologues sur les injections, notamment autour du canal naso-génien. Les dentistes souhaitent pouvoir le traiter car il constitue, selon eux, la continuation de la mâchoire.

Je n'oublie pas non plus les récriminations des esthéticiennes quant à l'interdiction qui leur est faite d'utiliser le terme « massage », en théorie réservé aux seuls kinésithérapeutes, mais très largement utilisé, sous couvert de « massage bien être », « massage traditionnel » ou encore de « massage thaïlandais ». On voit de telles enseignes fleurir dans nos villes.

Le manque de rigueur est tout aussi préoccupant en matière de formation. Le diplôme interuniversitaire en médecine esthétique délivré par l'université de Lyon n'est probablement pas suffisant. Encore faut-il s'entendre sur des priorités et prendre garde à être cohérents dans notre analyse : je rappelle que la commission du développement durable a constitué en son sein un groupe de travail sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire ; on ne peut pas en même temps dénoncer le « désert médical » et suggérer de consacrer des moyens supplémentaire pour une « spécialité » qui, justement, n'en est pas une.

En définitive, le point essentiel est d'inciter les consommateurs à la vigilance, ce qui nous impose de réfléchir en termes de sécurité sanitaire et non pas de techniques. Sinon, nos recommandations seraient très vite dépassées.

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