À l'instar de mes confrères et néanmoins concurrents, je commencerai en présentant le groupe auquel j'appartiens.
Le groupe Alpiq est la première entreprise de négoce d'énergie et de services énergétiques en Suisse. Le groupe est né en 2009 du rapprochement de deux pionniers de l'énergie hydraulique en Suisse : le groupe Atel et Énergie Ouest Suisse, un groupe alémanique et un groupe roman. Comme vous pouvez le constater, Alpiq est un groupe qui n'est pas simplement actif en Suisse ; il est également actif dans une vingtaine de pays en Europe, et a réalisé un chiffre d'affaires en 2011 de plus de 11 milliards d'euros. Il est actif dans la production, le transport, la vente et le négoce d'énergie.
En Suisse plus particulièrement, Alpiq assure environ un tiers de l'approvisionnement électrique du pays. En Europe, il dispose d'un mix énergétique constitué à 38 % d'énergie hydraulique, à 12 % de nucléaire, à 39 % de thermique classique et à 3 % de nouveau renouvelable.
Dernier point important, et cela a été mentionné auparavant, le capital d'Alpiq est détenu, dans une situation très suisse, essentiellement par deux consortiums suisses qui rassemblent des électriciens locaux des cantons, donc un ensemble de sociétés à capitaux publics, et nous avons aussi à notre capital la particularité d'avoir EDF en tant qu'actionnaire minoritaire sans capacité de contrôle, ni même de co-contrôle de l'entreprise.
Pour Alpiq, la France constitue un marché clé. Le groupe y est présent depuis dix ans, depuis 2002, sur le segment de la fourniture d'électricité aux grands consommateurs industriels et tertiaires au travers de sa filiale Alpiq Énergie France, que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui. En 2011, Alpiq Énergie France a livré environ 15 térawattheures d'électricité à cet ensemble de grands consommateurs.
Par ailleurs, le groupe Alpiq a développé, et continue à développer un parc de production d'électricité en France. Notre première centrale est une centrale à cycle combiné gaz qui a été mise en service l'an dernier à Bayet dans l'Allier et qui est opérationnelle depuis un peu plus d'un an. Nous disposons également de manière plus limitée de capacités de production hydroélectrique, petit hydraulique, ainsi que de renouvelable éolien.
Après cette présentation, je ferai un petit aparté. Nous n'avons pas reçu la nouvelle liste de questions, qui a dû nous être envoyée mais se perdre. Vous voudrez donc bien m'excuser si mon intervention ne correspond pas parfaitement à la nouvelle liste des questions. Elle était axée sur la liste précédente, en particulier sur la première question, qui était et reste pour nous une question d'importance, s'agissant notamment du fonctionnement de la concurrence en France et de la mise en place du mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH.
Mais j'ai cru comprendre que nous aurons la possibilité d'y revenir si nous en avons le temps ; je l'espère.
J'en viens à la question que M. le rapporteur vient de nous poser. Je souhaite apporter quelques éclaircissements sur la situation en Suisse en matière de marché de l'électricité, qu'il s'agisse de production ou de distribution.
La Suisse est un petit pays, par comparaison avec la France. Ce pays a la particularité d'avoir une production d'électricité à 40 % nucléaire et à 60 % hydraulique. Il y a très peu de thermique classique et peu de nouveaux moyens de production renouvelable. La Suisse est un pays montagneux dans lequel il n'est pas aisé d'installer des productions éoliennes ou solaires, ce qui ne signifie pas que cela ne se fera pas.
C'est donc un mix énergétique assez particulier en Europe. Finalement, cela reflète plus la géographie et les conditions locales qu'une stratégie délibérée d'aller en ce sens. La production hydraulique a été une priorité dans chacun des pays : on épuise d'abord le potentiel de production hydraulique avant de se lancer dans des productions de type différent.
Même si c'est un petit pays, la Suisse est une plaque tournante du commerce de l'électricité, de manière historique. Sa position au centre de l'Europe, même si elle n'appartient pas à l'Union européenne, la met vraiment au coeur des mouvements d'électricité et de l'équilibrage au niveau européen. La Suisse importe beaucoup d'électricité de base, à production constante, toute l'année, et exporte beaucoup d'électricité, mais cette fois-ci de pointe et d'extrême pointe vers l'ensemble des pays limitrophes. Cela reflète aussi les capacités propres de son parc de production, avec beaucoup de barrages de haute chute en matière de production hydraulique.
La situation en matière de distribution d'électricité est aussi assez particulière. Le marché n'a pas été complètement libéralisé à la suite de votations, de référendums suisses, qui ont repoussé la libéralisation en cours. Le système de distribution suisse reste très localisé, très décentralisé, avec plusieurs centaines d'opérateurs. À l'échelle du pays, on a quasiment autant d'opérateurs en Suisse aujourd'hui qu'il y en avait en Allemagne en 1999, pour un pays dix fois moins peuplé.
De ce fait, le prix de l'électricité en Suisse, qui est aussi basé sur un niveau de prix de marché, suit d'assez près les prix que l'on peut observer en Allemagne, qui sont le prix directeur sur la plaque ouest-européenne. Le prix de l'Allemagne et le prix de la France, en dehors du mécanisme de l'ARENH, suivent quasiment les mêmes trajectoires.
Si je passe à la question du mix électrique compétitif, la première chose que nous souhaiterions mentionner est qu'il faudrait en réalité, me semble-t-il, sortir de la logique du mix énergétique compétitif et passer à une logique consistant à penser ce mix énergétique au regard de son efficacité en termes d'intégration des nouvelles énergies renouvelables. Cela a d'ailleurs été en partie évoqué par les personnes qui sont intervenues avant moi.
En effet, nous, nous considérons que la question du mix énergétique optimal ne se résume pas simplement à la détermination du meilleur merit order en termes de préséance économique, qui consiste à faire appel aux différentes unités de production électrique en fonction de leurs coûts marginaux de production croissants. Pour nous, l'arrivée des nouvelles énergies renouvelables sur le marché, sur la base des ambitions et objectifs européens et nationaux, trouble complètement cette préséance économique classique.
Pourquoi ? Parce que ces énergies nouvelles et renouvelables ont deux caractéristiques principales : d'une part, la production est fatale et intermittente et, d'autre part, la production bénéficie de subventions en termes de tarif d'achat dans la plupart des pays d'Europe, ce qui incite les producteurs à livrer leur production quel que soit le niveau du prix de marché à l'instant où ces installations produisent.
Du fait de leur intermittence, pour intégrer au mieux ces nouveaux moyens de production au sein de nos systèmes électriques, en dehors de la performance des réseaux, sujet sur lequel je ne reviendrai pas, il faut immanquablement d'autres centrales, des centrales d'appoint en termes de production de pointe et de production de semi-base, qui doivent être capables par leur flexibilité d'être un complément pour faire face à l'intermittence des énergies nouvelles et renouvelables.
Par ailleurs, et cet aspect est plus français, le besoin d'évolution de notre mix énergétique - je parle en tant que représentant d'une société de droit français - concerne à notre sens moins la production de base que la production de pointe et de semi-base. En effet, pour la base électrique en France aujourd'hui, nous ne constatons pas qu'il y ait un déséquilibre entre une demande insatisfaite et une production insuffisante ; c'est même probablement le contraire. À titre d'illustration, les 62 gigawatts de capacité installée nucléaire en France sont très largement au-dessus du niveau de la demande que nous allons constater dans quelques semaines, la demande d'été, lorsque la pointe de consommation dans la journée culmine à moins de 60 gigawatts, donc largement en dessous du dimensionnement du parc nucléaire, et que le minimum approche simplement les 40 gigawatts, donc plus de 20 gigawatts en dessous du parc de production nucléaire.
La problématique aujourd'hui que nous constatons pour la France n'est pas tellement l'adaptabilité ou le dimensionnement de la production de base ; c'est d'être capable de répondre aux besoins de pointe, qui sont cette fois-ci des besoins hivernaux.
Si nous allions cela au renversement de logique qui a déjà été enclenché, et les choses se passent très vite en matière de nouveau renouvelable - le développement du photovoltaïque en Allemagne a abouti en quelques années à mettre en production plus de 25 gigawatts de capacité installée -, nous arrivons à un nouvel équilibre au sein du mix, dans lequel se posera évidemment la question du prix.
Sur ce point, ce que je souhaiterais souligner, c'est que la conjoncture est déterminante. Les hypothèses que nous avons tous aujourd'hui au sein de nos différents groupes en matière de coût de développement de nouveaux moyens de production dépendront d'hypothèses sur le prix d'autres énergies.
C'est en particulier le cas pour tous les moyens de production à partir de gaz naturel. Le gaz naturel, que nous connaissons bien - nous avons mis en service un certain nombre de cycles combinés gaz en France et dans d'autres pays d'Europe au cours de ces dernières années -, a un coût de production qui tourne autour de 75 euros par mégawattheure. C'est sensiblement au-dessus du coût de développement d'un nouveau moyen de production nucléaire aujourd'hui. Mais ce coût dépend, lui, essentiellement du prix du gaz.
Si nous faisons le petit exercice de remplacer le prix du gaz que nous connaissons aujourd'hui en Europe de l'Ouest par le prix du gaz que nous connaissons aujourd'hui en Amérique du Nord, nous passons grosso modo d'un prix de 75 euros par mégawattheure pour un cycle combiné gaz à un prix de 45 euros par mégawattheure. Ainsi, la détermination du mix optimal ne dépend pas simplement de problématiques purement électriques ; elle dépend aussi concrètement de problématiques qui dépassent l'électricité et qui embrassent l'ensemble du secteur énergétique.